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Erdogan sous la menace d’une défaite : le « modèle turc » vacille

Erdogan sous la menace d’une défaite : le « modèle turc » vacille

Un siècle après, la Turquie s’apprête peut-être à vivre une autre révolution, de moindre envergure certes, mais susceptible d’apporter de profonds changements dans un pays dirigé pendant 20 ans par le même personnage.

En 1923, Mustafa Kemal Atatürk, mettait fin au califat ottoman et proclamait la république turque moderne et laïque. En ce mois de mai 2023, Recep Tayyip Erdogan, le président idéologiquement proche des Frères musulmans, pourrait se voir contraint de remettre les clés du pouvoir qu’il a exercé pendant deux décennies, d’abord comme en Premier ministre puis en tant que président de la République à partir de 2014.

Le premier tour de l’élection présidentielle a lieu ce dimanche 14 mai. Et pour la première fois depuis 2003, Erdogan et son parti, l’AKP, pourraient être bousculés par une opposition enfin unie.

Erdogan n’a pas encore perdu l’élection, mais les sondages donnent au candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, présenté par une coalition hétéroclite de plusieurs partis laïcs, des chances au moins égales au président sortant.

Kiliçdaroglu a même été pendant plusieurs semaines en tête des intentions de vote, avant qu’Erdogan ne remonte quelque peu la pente. Il est quasiment certain que les deux candidats ne seront départagés qu’au deuxième tour.

Trois jours avant le scrutin, jeudi 11 mai, le troisième homme de cette présidentielle, Muharrem Ince, a annoncé son retrait, renforçant davantage les chances de l’opposition de l’emporter.

A l’ombre de cette présidentielle, se joue également le contrôle du Parlement à travers des législatives prévues le jour même au scrutin proportionnel, donc à un seul tour.

Selon les analystes, Erdogan est sérieusement affaibli par la gestion par son gouvernement des conséquences du séisme du 6 février dernier qui a dévasté le sud de la Turquie et le nord de la Syrie.

La catastrophé a fait plus de 50 000 morts, dont la majorité en Turquie, et des centaines de milliers de sans-abri. La lenteur des secours et de la prise en charge des sinistrés a exacerbé la colère de la population, y compris dans les bastions traditionnels de l’AKP.

Mais c’est le bilan de 20 années de gestion qui sera surtout sanctionné par les électeurs turcs. Un bilan qui peut se décliner en deux phases pour Erdogan, celle, glorieuse de sa première décennie au pouvoir, et celle, moins euphorique de ces dernières années.

Les deux visages du « modèle turc »

Sa popularité incontestable qui lui a permis une telle longévité, Erdogan la doit aux succès de sa politique économique. Ayant hérité d’une Turquie en crise, il en a fait une puissance économique intermédiaire. Au début des années 2010, la croissance de la Turquie était comparable à celle de la Chine, à 8%.

Le modèle qu’il a mis en place, un savant dosage de  libéralisme économique, démocratie et conservatisme social et religieux, a subjugué au-delà de la Turquie, notamment dans le monde musulman. Le succès de ce modèle est sans doute pour quelque chose dans l’accession au pouvoir dans certains pays musulmans de partis issus du même courant idéologique, en Egypte et en Tunisie particulièrement. Même en Algérie, le modèle turc a des émules.

Mais Erdogan a scié lui-même une des branches sur lesquelles il était assis, en optant de plus en plus pour l’autoritarisme. Gestion de la crise kurde, chasse aux opposants, restrictions sur la liberté de la presse, le bilan du président turc en matière de démocratie et des droits de l’homme n’est pas reluisant.

Après la tentative avortée de coup d’Etat de 2016, le président turc a opéré un tour de vis supplémentaire sur les libertés notamment après la tentative de coup d’Etat avortée de juillet 2016.

En 2017, il a fait modifier la constitution pour établir un régime ultra-présidentiel et autoritaire. Ce qui fait craindre à certains observateurs un refus du président sortant de reconnaitre son éventuelle défaite et le déclenchement de violences postélectorales.

Dans le même temps, l’économie stagne avec une hyperinflation de 44% en avril après un pic de 85% en octobre dernier, la dégringolade de la livre turque qui a perdu près 80% de sa valeur face au dollar en cinq ans et la baisse du niveau de vie de la population.

Face à une population excédée par la détérioration de son pouvoir d’achat et conscient de son impact sur le scrutin présidentiel, Erdogan a multiplié les cadeaux sociaux. Mardi 9 mai, il a annoncé une hausse de 45% des salaires des fonctionnaires. En décembre dernier, il avait augmenté le salaire minimum à l’équivalent de 450 euros et permis à 2,2 millions de Turcs de partir en retraite anticipée pour un coût de 18 milliards de dollars. Entre temps…

L’opposition met tout sur le compte de la politique économique du président et les multiples fronts qu’il a ouvert sur le plan international : intervention en Syrie, en Libye et en Azerbaïdjan, bras de fer épisodiques, tantôt avec la Russie, tantôt avec l’Occident (France, Allemagne, Suède…).

La première alerte pour Erdogan a été la défaite en juin 2019 du candidat de son parti à la mairie d’Istanbul. L’éventualité qu’il perde maintenant le pouvoir n’est pas exclue, ce qui entérinerait l’échec du « modèle turc », que le président Erdogan reconnaisse ou non sa défaite.

Ce qui constituerait un tournant pour la Turquie et tout le monde musulman. Toutefois, et malgré les difficultés économiques de la Turquie dont le modèle vacille, et l’usure du pouvoir d’Erdogan, la coalition qui le menace reste fragile. Hétéroclite et composée de six partis unis uniquement pour faire tomber Erdogan, elle risque de trouver des difficultés pour diriger un pays.

De nombreuses questions divisent encore l’opposition et les kémalistes du CHP, principal parti de l’opposition, les nationalistes, les partis démocratiques (Parti démocratique des peuples et Parti démocrate), les divisions idéologiques sont nombreuses. En face, l’AKP d’Erdogan reste un bloc uni et solide, avec une base électorale importante.

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