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Éthiopie : Abiy Ahmed, un jeune Premier ministre réformateur et faiseur de paix

Éthiopie : Abiy Ahmed, un jeune Premier ministre réformateur et faiseur de paix

L’Érythrée et l’Éthiopie ont signé ce lundi 9 juillet à Asmara une déclaration conjointe formalisant leur réconciliation, a annoncé le ministre érythréen de l’Information Yemane Gebremeskel, permettant ainsi d’appliquer pleinement les accords de paix d’Alger signés par les deux pays en 2000.

Le nouveau premier-ministre éthiopien, Abiy Ahmed, s’était rendu hier dimanche chez l’ennemi d’hier, l’Érythrée où le président érythréen, Issayas Afewerki, lui a réservé un accueil chaleureux et triomphal.

Cette réconciliation intervient après des années de guerres entre les deux frères ennemis de la Corne de l’Afrique, l’Ethiopie et l’Erythrée, en raison d’un différend frontalier apparu après l’indépendance érythréenne en 1993.

L’Ethiopie d’Abiy Ahmed, a décidé d’accepter une décision de la Cour internationale de justice de La Haye attribuant des territoires contestés à l’Erythrée.

Cette volonté de paix du nouveau premier-ministre éthiopien, qui a succédé à Hailemariam Desalegn à la tête du gouvernement éthiopien en avril dernier, illustre le renouveau qu’est en train d’insuffler ce jeune dirigeant à son pays.

Depuis son arrivée au pouvoir, ce quadragénaire est en train d’opérer une rupture radicale avec les méthodes autoritaires des gouvernements précédents en Ethiopie et voudrait concrétiser une ambition de puissance régionale pour son pays.

Aussi bien l’opposition que la population placent de grands espoirs en ce dirigeant qui a échappé à un attentat lors de l’un de ses rassemblements le samedi 23 juin.

Premier dirigeant Oromo de l’Éthiopie

Abiy Ahmed est né en 1976 dans la ville d’Agaro dans l’Oromia. Il est issu d’une famille mixte chrétienne-musulmane, son père étant Oromo musulman et sa mère Amhara chrétienne.

Les Oromos sont une composante du peuple éthiopien qui est depuis des décennies, politiquement, économiquement et culturellement marginalisée en dépit du fait qu’ils soient majoritaires dans le pays.

Les Oromos ont d’ailleurs été à l’origine de plusieurs vagues de manifestations anti-gouvernementales depuis la fin 2015 et qui ont été violemment réprimées par le gouvernement éthiopien faisant des centaines de morts.

A la fin des années 1980, Abiy Ahmed rejoint l’Organisation démocratique du peuple oromo (Opdo), dont il est actuellement le dirigeant. L’Opdo est l’un des quatre partis à forte connotation ethnique qui composent le gouvernement du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE).

Abiy Ahmed a servi dans l’armée avec le grade de lieutenant-colonel et a contribué à l’organisation des services de renseignement éthiopiens.

Après avoir contribué à sa création, il devient le directeur de l’Agence du réseau et de la sécurité informatique éthiopienne chargée de la cybersécurité.

Dans un pays où le gouvernement exerce un contrôle étroit sur l’internet, Abiy Ahmed deviendra même ministre des Sciences et des technologies de l’Information de 2016 à 2017.

A sa désignation à la tête du FDRPE en mars dernier, Abiy Ahmed devient le premier dirigeant oromo de l’Ethiopie.

Le fait qu’il soit identifié comme étant un chrétien orthodoxe de religion et en même temps Oromo de filiation, est souvent vue comme un facteur d’unité dans le pays. D’ailleurs, il bénéficie d’un énorme soutien parmi la jeunesse oromo mais aussi au sein d’autres groupes ethniques du pays.

Un Premier ministre réformateur…

A sa prise de fonction en avril 2018, Abiy Ahmed a hérité d’un pays qui a connu l’une des croissances économiques les plus rapide du monde au cours des dernières années, mais dont le gouvernement a été accusé de violations des droits de l’homme, y compris de torture et d’exécution extrajudiciaire de dissidents politiques.

Abiy Ahmed a multiplié les initiatives visant à ramener le calme dans le pays tout en rompant avec les réflexes autoritaires du passé. Il a aussi engagé une libéralisation partielle de l’économie tout en tendant la main à ses voisins avec qui l’Ethiopie entretient des relations exécrables, surtout avec l’Erythrée.

Dès sa nomination, le nouveau premier-ministre éthiopien a ordonné la libération de centaines de prisonniers, ouvert certaines entreprises publiques à l’investissement privé et a considérablement assoupli les restrictions imposées aux médias en autorisant des centaines de titres de journaux et de télévisions d’activer.

Le 30 mai, il a été annoncé que le parti au pouvoir modifierait la loi antiterroriste du pays, largement perçue comme un outil de répression politique.

Le 1er juin, Abiy Ahmed a annoncé que le gouvernement chercherait à mettre fin à l’état d’urgence deux mois avant l’expiration de son mandat de six mois, en invoquant une amélioration de la situation intérieure. Le 4 juin, le Parlement a approuvé la législation nécessaire, mettant fin à l’état d’urgence.

Côté économie, le premier ministre et la coalition au pouvoir ont annoncé leur intention de poursuivre la privatisation à grande échelle des entreprises d’État et la libéralisation de plusieurs secteurs économiques clés longtemps considérés comme intouchables, marquant un tournant décisif dans le modèle de développement étatique du pays.

Les monopoles d’État dans les secteurs des télécommunications, de l’aviation, de l’électricité et de la logistique devraient prendre fin avec une ouverture de ces industries à la concurrence du secteur privé.

Les capitaux des entreprises d’État dans ces secteurs, y compris celui d’Ethiopian Airlines, la compagnie aérienne la plus importante et la plus rentable d’Afrique, seront ouverts aux investisseurs nationaux et étrangers, bien que l’Etat éthiopien va rester actionnaire majoritaire dans ces entreprises.

Cependant les entreprises d’État dans les secteurs jugés moins stratégiques, comme les chemins de fer, le sucre, les parcs industriels, les hôtels et diverses entreprises manufacturières, pourraient être entièrement privatisées.

Cette libéralisation économique vise à améliorer les réserves de change du pays qui, à la fin de l’exercice 2017, étaient équivalentes à moins de deux mois d’importations mais aussi à alléger une dette en augmentation.

En plus de représenter un changement idéologique en ce qui concerne les opinions sur le degré de contrôle gouvernemental sur l’économie, cette mesure a été considérée comme une mesure pragmatique.

Au niveau politique, dans une allocution au Parlement le 18 juin dernier, Abiy Ahmed a annoncé qu’il créerait une commission chargée de réexaminer le système de fédéralisme ethnique qui, selon lui, ne permettait pas de traiter de manière adéquate la prolifération de conflits locaux et menait à la domination d’une ethnie sur d’autres.

Faiseur de paix

Mais le fait le plus marquant depuis sa prise de fonction a été sa promesse de mettre pleinement en œuvre l’accord de paix d’Alger entre l’Ethiopie et l’Érythrée.

L’Érythrée a obtenu son indépendance de l’Éthiopie en 1993 après un long conflit mais les deux pays voisins continueront à se disputer des zones frontalières, telle que la ville frontalière de Badme.

En 1998, cela provoquera des combats qui causeront la mort de dizaines de milliers de personnes jusqu’en 2000, date de la signature d’un accord de paix à Alger.

Conformément aux accords d’Alger est créée en 2002 une commission frontalière en collaboration avec la cour d’arbitrage international de La Haye.

Une décision de la cour attribuera à l’Érythrée les territoires frontaliers contestés, ce que l’Éthiopie refuse d’accepter dans un premier temps avant de reconnaitre la décision en 2004. Cependant l’Ethiopie maintien des troupes sur les territoires contestés et y exerce toujours un contrôle de facto.

En juin, Abiy Ahmed accueille une délégation érythréenne à Addis-Abeba avant d’aller lui-même rencontrer le président érythréen Isayas Afewerki à Asmara, dimanche 08 juillet. L’Ethiopie a décidé d’accepter que les territoires contestés reviennent à l’Erythrée.

Les observateurs estiment que cet élan de paix du nouveau premier-ministre éthiopien fait partie d’une stratégie plus large de transformer la région de la Corne de l’Afrique.

Abiy Ahmed a également déclaré qu’il abolirait les barrières commerciales avec la Somalie et a fait part de son désir d’une intégration plus étroite avec le voisin érythréen dans un effort plus large visant à créer un marché unique dans la Corne de l’Afrique.

Des réformes qui ne plaisent pas à tout le monde

Cependant, le programme de réformes a suscité la résistance de certains groupes au sein du pouvoir déjà divisé par des luttes entre les quatre partis majoritaires du pays représentants les grands groupes ethniques en Ethiopie. Ce pouvoir est aussi marqué par une concurrence féroce pour le contrôle des institutions, notamment l’armée dont les services de renseignement sont contrôlés par les Tigréens.

Les Tigréens, représentant environ 6% de la population, et dont sont issues les élites qui dominent la politique, l’appareil sécuritaire et les affaires dans le pays, n’ont pas apprécié la rapidité d’exécution des réformes.

Les militaires Tigréens tenants d’une ligne dure, et le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), qui était jusque-là la force dominante de la coalition au pouvoir, se sont montrés de plus en plus mécontents de la ligne réformiste de la gouvernance du nouveau premier-ministre, préférant revenir aux méthodes autoritaires.

De même, l’annonce d’une paix durable avec l’Erythrée n’a pas non plus été accueillie favorablement par tout le monde en Ethiopie puisque certains Éthiopiens près de la frontière avec l’Érythrée ont protesté contre l’accord de paix.

Le FPLT a même déclaré que l’accord de paix avec l’Erythrée, pourtant à majorité tigréenne, avait été annoncé avant la réunion du congrès de la coalition au pouvoir, laissant entendre qu’il n’avait pas été associé à la décision.

Le samedi 23 juin, une attaque à la grenade faisant 02 morts, s’est produite lors d’un rassemblement politique à Addis-Abeba au moment même où Abiy Ahmed, qui en était probablement la cible, prenait la parole.

Les observateurs estiment que cette attaque à la grenade pourrait bien être liée aux extrémistes qui ne veulent pas de réconciliation avec l’Erythrée et pas de réformes en interne.

Elle pourrait aussi être une réaction à des réformes que les Tigréens ressentent comme une forme de marginalisation.

De son côté, le premier-ministre Abiy Ahmed, qui a appelé à l’unité et à la paix après l’attaque, reste imperturbable.

Celui qui est en train de s’affirmer comme un exemple pour les futurs dirigeants de l’Afrique, a même souligné la nécessité d’engager plus de réformes.

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