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Evolution du discours d’Ouyahia : avant et après le mouvement populaire

Evolution du discours d’Ouyahia : avant et après le mouvement populaire

Le discours d’Ahmed Ouyahia a connu une brusque et étonnante évolution depuis quelques jours. Après son limogeage de la tête du gouvernement la semaine dernière, il s’est adressé aux militants du RND dont il est le secrétaire général dans une lettre datée du dimanche 17 avril. Contre toute attente, il y a affirmé qu’il « faut répondre dans les plus brefs délais » aux revendications des Algériens qui demandent le départ du pouvoir, dont il est une des figures les plus connues.

Mieux encore, le mardi 19 mars, sur le plateau d’EL Bilad TV, Seddik Chihab, porte-parole du RND et connu pour être le bras droit d’Ouyahia, a enfoncé le clan présidentiel en affirmant que « des forces non-constitutionnelles » dirigent le pays depuis « au moins ces cinq, six ou sept dernières années ».

Les déclarations d’Ahmed Ouyahia et de Seddik Chihab pourraient faire croire à celles d’éternels opposants au pouvoir si leurs auteurs n’étaient pas secrétaire général et porte-parole du RND, deuxième parti le plus important de l’alliance présidentielle, un des principaux piliers du pouvoir.

Ces revirements ont toutefois peu de chances de faire oublier les positions d’Ahmed Ouyahia et de son parti qui ont défendu le pouvoir durant les quatre mandats passés d’Abdelaziz Bouteflika ainsi que la tentative de candidature de celui-ci à un cinquième mandat.

« Nous avons toujours défendu le cinquième mandat »

Au lendemain de l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat, Ahmed Ouyahia déclarait au micro de France 24 à Addis-Abeba que « le peuple algérien est très content de l’annonce de la candidature du président ». Il a également affirmé qu’il ressentait « de la joie et de la sérénité », en apprenant la candidature du Président.

Avant même l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia avait fait la promotion de cette candidature et était même allé jusqu’à expliquer que le futur candidat n’allait pas mener de campagne électorale. Lors de la conférence de presse qu’il a donné le samedi 2 février, il a déclaré que « le peuple connaît Bouteflika et il sait que sa santé aujourd’hui n’est plus celle d’hier ».

« Rien n’empêche le Président de se porter candidat », a dit Ouyahia lors de la même conférence de presse. Il s’est même emporté contre une journaliste qui avait rappelé l’état de santé de Bouteflika : « C’est vous qui le dites ma chère madame ! Je lis El Watan avec beaucoup d’attention, vous en êtes malades ! Et vous en êtes malades depuis 2004 ! », avait répondu Ouyahia.

Lors de cette même conférence de presse du 2 février, Ouyahia avait dit, sans aucune ambiguïté : « Nous avons toujours défendu le cinquième mandat ». Ces déclarations contrastent fortement avec ce qu’a dit hier Seddik Chihab sur le plateau d’El Bilad TV. Il a qualifié le soutien au cinquième mandat d’« erreur » et en expliquant : « nous avions manqué de perspicacité. Naturellement, c’était une aventure ».

Sur la période de transition

Dans la lettre qu’il a adressée aux militants de son parti, Ahmed Ouyahia a jugé « obligatoire » que « tout le monde accepte des concessions », afin de convaincre les citoyens de la « crédibilité du processus de transition démocratique », voulu par Bouteflika.

Ces propos qui expriment l’adhésion d’Ouyahia à un processus de transition tranchent avec ce qu’il a dit, à propos d’un tel processus, en juin 2014. A l’époque, les partis de l’opposition s’étaient réunis pour discuter de la meilleure façon d’empêcher un quatrième mandat et sur la manière dont devait se gérer « la transition » après le départ de ce dernier. En réaction, Ahmed Ouyahia, alors ministre d’Etat Directeur de cabinet de la Présidence avait affiché son opposition à une période de transition telle que proposée par l’opposition à l’époque. Proposer une période de transition était, selon lui « l’une des plus dangereuses formes d’opposition ». « L’Algérie aujourd’hui est un Etat aux institutions démocratiques et n’a nullement besoin de période de transition », avait-il déclaré, cité par le jour d’Algérie du 21 juin 2014.

Menaces contre les manifestants

Ahmed Ouyahia a, à maintes reprises, mis en garde le peuple et les partis de l’opposition contre tout recours à la rue pour exprimer leur opposition au pouvoir. Il a aussi prôné et justifié la répression des manifestations, notamment à Alger. Lors de son discours de clôture des travaux de la conférence gouvernement-walis, fin janvier 2018, il avait appelé les walis à avoir recours aux « importantes forces de police et de gendarmerie parfaitement formées pour contenir toutes tentatives de semer le troubles dans les cités, dans les stades et sur la voie publique ».

Quelques jours avant, lors d’une conférence de presse, il avait rappelé que les manifestations étaient interdites à Alger. « Tant qu’on ne saura pas marcher en paix, on ne marchera pas ! », avait-il lancé.

« Si vous avez peur qu’il y ait de la répression en 2019, je dis que la constitution n’a pas tout permis. Tant que les manifestations sont interdites dans la capitale, il est naturel qu’ils en seront empêchés », a-t-il poursuivi, laissant présager une répression des manifestations contre le cinquième mandat, auxquels appelaient déjà de nombreuses voix.

Ahmed Ouyahia avait même insinué que les Algériens étaient incapables de manifester pacifiquement. « Dans les autres pays, des manifestations d’un million de personnes restent pacifiques. Pourquoi avons-nous interdit les manifestations en Algérie ? Lors des manifestations de 2001, ni les citoyens, ni les biens publics n’ont été épargnés », a-t-il déclaré, affirmant que « c’est ça l’Algérie ! ».

Ces propos qui remettent en cause la capacité des Algériens à manifester pacifiquement sont non seulement démentis par sa lettre qu’il a envoyée à ses militants et dans laquelle il « salue » le pacifisme des manifestants mais également par les événements. Les Algériens manifestent par millions partout en Algérie depuis le 22 février sans provoquer aucun trouble, destruction de biens publics ou privés, en dehors des incidents signalés à la fin des manifestations pacifiques à Alger et qui n’impliquent, de l’aveu même de la DGSN, que des individus qui n’ont rien à voir avec les manifestants.

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