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Financement non-conventionnel : souveraineté et responsabilité

Financement non-conventionnel : souveraineté et responsabilité

CONTRIBUTION. Le vent de panique qui a suivi la publication des notes de la Banque Mondiale et du FMI la semaine dernière montre à quel point le sujet dit de la planche à billets imprègne et oriente encore le débat économique national mais aussi celui des experts en charge du suivi de l’économie du pays des dites institutions internationales.

C’est peu dire que le microcosme a fort peu goûté la décision algérienne de s’en remettre à court terme à la création monétaire interne. Vu la prégnance de l’orthodoxie économique dans ce milieu-là, il eut été cocasse que ses représentants applaudissent la manœuvre. Néanmoins, la lecture de la première mouture de la note de la Banque Mondiale a de quoi surprendre : avec une désinvolture digne d’un blog en mal de fake news, la note annonce une crise financière bientôt en Algérie ! L’indigence intellectuelle et scientifique de cette mouture (basée sur un scénario catastrophe non explicité) a conduit la direction de la Banque Mondiale (et c’est tout à son honneur) à apporter le correctif ardemment requis. Pour inapproprié que soit cette sortie ébouriffante de la Banque Mondiale, elle n’en demeure pas moins qu’elle identifie bien un réel risque.

Nous revenons ici brièvement sur la question du financement non-conventionnel en Algérie. Bien sûr, le gouvernement algérien a actionné en toute souveraineté cette modalité de financement, et nous avons appelé à cette décision en mars 2016 et l’avons soutenu l’automne dernier à son annonce au vu de l’assèchement paroxystique des liquidités bancaires à partir de 2016. Il est utile de rappeler ici que la liquidité bancaire est passée de 2731 milliards (mds) DA à fin décembre 2014 à 1833 mds à fin 2015 puis à 821 mds à fin 2016, pour en arriver à 780 mds DA à fin juin 2017.

De la même manière, le ratio des prêts bancaires sur celui des dépôts (à vue et à terme) est passé de 76,5% à fin décembre 2014 à 87,3% à fin décembre 2015, 97,2% à fin décembre 2016 et à 99,3% à fin juin 2017. Ceci a amené la Banque d’Algérie à prêter de l’argent aux banques en reprenant ses opérations de réescompte à partir d’août 2016 et d’open market en mars 2017. À fin juin 2017, le montant global de ces opérations était de 387 mds DA.

La responsabilité du gouvernement requiert une vision de moyen/long terme du financement de l’économie algérienne qui ne peut naturellement pas se résumer en des « poussées » périodiques de non-conventionnel.

1. La création monétaire (ou « planche à billets ») est une politique économique comme une autre. Nous enseignons ses modalités et ses implications dès la première année du cursus universitaire tout comme les expansions dites fiscales au titre des politiques de stabilisation/stimulation économique. Le caractère aussi bien expansif qu’inflationniste du stimulus monétaire est établi. Mais le diable est dans le détail.

Justement, il est en principe du devoir des experts de ne pas ruer dans les brancards et de regarder les détails, ce qui inclut non seulement les paramètres de l’encadrement temporel et quantitatif de la création monétaire, mais aussi les cibles de l’allocation monétaire extraordinaire.

Ce sont ces derniers aspects qui déterminent principalement le biais inflationniste du stimulus. Après, et tous comptes faits, c’est le gouvernement souverain qui décide selon qu’il veut plus ou moins de croissance et plus ou moins d’inflation à court terme (arbitrage inflation/croissance). Ce qu’annoncent les institutions internationales pour 2018 n’est que la traduction des mécanismes décrits ci-dessus : la croissance a été stimulée par l’expansion monétaire (+3% prévu finalement) mais il est probable qu’il y ait un effet (retardé) sur l’inflation.

Il n’est pas du tout clair à la lecture de la note de la Banque Mondiale par exemple qu’il y ait eu une prise en compte rigoureuse de l’affectation des 2185 mds de DA de financement non-conventionnel (entre les créances de la Sonatrach, la dette de Sonelgaz, et le reste, par exemple). L’inflation sera-t-elle de 5,5% (Loi de finance 2018) ou de 7,5% comme le prévoit la Banque Mondiale ? Le chiffre de mars 2018 qui vient d’être annoncé (4,6%) est plutôt de nature à conforter le gouvernement. Pour notre part, nous avons déjà expliqué ailleurs que nous ne croyons pas du tout à une spirale inflationniste en Algérie dans les 2/3 prochaines années, et nous reviendrons plus loin sur cette question.

2. Arrêtons-nous avant sur un argument maintes fois évoqué dans la presse nationale et assumé pleinement par les institutions internationales. Tandis que les États-Unis et l’Union européenne vivent intensément de « planche à billets » suite aux crises de liquidité  bancaire et des dettes souveraines depuis le début de la décennie, les Algériens ne seraient bons que pour l’endettement extérieur. Avec quel argument ? « Les États-Unis et l’Union européenne, ce n’est pas la même chose », répondent certains.

Justement. L’Algérie est un pays intermédiaire, qui a fait un stimulus monétaire dont le montant est pour le moment raisonnable (11,3% du PIB) par rapport à ce que pratiquent les grands de ce monde (30,5% de PIB pour les États-Unis et 18% pour la Zone Euro).

C’est un pays qui a une faible dette interne, et qui est encore pour quelque temps dans un régime de contrôle des capitaux, du taux de change et des importations. Enfin, le stimulus en question n’est en aucun cas conçu pour faire exploser la demande comme nous le verrons plus loin.

La France de Mitterrand, sous le gouvernement Mauroy I (1981-1983), a pratiqué un stimulus keynésien en plein environnement international récessif post-deuxième choc pétrolier, notamment par indexation des salaires sur l’inflation (!) ; le résultat en fut que les déficits français se sont brutalement creusés en quelques mois et que le Franc français fut dévalué 3 fois sur cette période, la France faisant partie à cette époque du fameux Système Monétaire Européen. L’Algérie est structurellement et conjoncturellement très loin de ce cadre catastrophique d’école. Les biens connues « fuites » du multiplicateur keynésien dans le contexte actuel sont contrôlables, encore faut-il que la coordination entre le gouvernement et la Banque d’Algérie soit de très bonne qualité et que le financement non-conventionnel soit utilisé le plus parcimonieusement possible.

3. Revenons donc à l’inflation. L’inflation algérienne a de nombreuses sources comme partout ailleurs. Trois sont à l’index régulièrement, la dérégulation des marchés, la baisse du dinar, et la croissance de la masse monétaire.

La première a joué et joue un rôle très important (en particulier depuis l’instauration des licences d’importation) dans l’évolution des prix comme l’a clairement montré la Banque d’Algérie dans ses rapports. Dans la période actuelle, un rôle beaucoup plus actif de l’État est requis ; il peut le faire (comme le montre le récent épisode sur le prix des voitures montées au pays), il doit en faire une priorité absolue pour alléger la perte de pouvoir d’achat de nos concitoyens.

La baisse du dinar a évidemment un impact sur l’inflation, mais son impact est relativement contenu : ainsi, entre juin 2014 et mars 2018, le dinar a baissé de 30,4% par rapport au dollar américain et de 22,8% par rapport à l’euro, alors que l’inflation totale a été de 20,9%.
L’inflation de type monétaire est par contre entièrement du ressort de la Banque d’Algérie. Les opposants à l’expansion monétaire mettent en avant le biais inflationniste qui en résulte, argument scolaire s’il en est. Mais ce biais peut être plus ou moins important selon qui bénéficie de la création monétaire.

La Lettre de conjoncture de la Banque d’Algérie du second semestre 2017 permet d’apporter quelques réponses à cette dernière interrogation. D’abord, sur le plan quantitatif, la masse monétaire (M2), après avoir quasiment stagné en 2015 et 2016, a augmenté de 4,27 % au premier semestre de 2017 et de 3,83 % au second semestre (8,27 % pour toute l’année 2017). Hors dépôts du secteur des hydrocarbures, l’accroissement de M2 en 2017 a été plus faible (4,88 %). On est loin des 14,6% en 2014, 8,4% en 2013, 10,9% en 2012 ou 19,9% en 2011. Plus spécifiquement, les chiffres précédents impliquent que sur les 2185 mds de financement monétaire non conventionnel initié en octobre, on ne retrouve que 400 mds dans la masse monétaire M2 entre septembre et décembre. Plusieurs raisons expliquent ce faible accroissement.

Une bonne partie de la monnaie injectée a quitté le pays (certaines entreprises étrangères auront fait sortir leurs dividendes, Sonatrach aura probablement remboursé des dettes envers ses partenaires…). Par ailleurs, la situation de compte de la Banque d’Algérie de Novembre 2017 nous donne deux informations.

D’abord, le montant des opérations d’open market était de 4 mds DA à fin novembre contre 595 mds à fin octobre. Autrement dit, la Banque d’Algérie a fait du monitoring de sa politique monétaire en reprenant d’une main ce qu’elle a donné de l’autre, les banques n’ayant plus besoin de l’open market (dont le taux d’intérêt était proche de 3,5%). De fait, la liquidité bancaire a augmenté sous l’effet du remboursement de la dette de l’État envers Sonatrach (452 mds DA) et de Sonelgaz auprès des banques (700 mds DA selon le site TSA). Il en a résulté une augmentation de la liquidité bancaire à 1380 mds DA à fin décembre 2017 contre 780 mds à fin juin 2017.

L’autre information est le montant créditeur du Trésor auprès de la Banque d’Algérie : il était de 990 mds DA à fin novembre 2017 contre 272 mds DA à fin septembre 2017. Ce qui nous amène à conclure que 718 mds DA ne sont pas encore injectés dans la masse monétaire et l’économie. À l’évidence, le Trésor a pris le parti de dépenser graduellement les liquidités mises à disposition, selon les nécessités. Sage approche qui est de nature à éviter des poussées inflationnistes abruptes, et qui illustre également la parfaite entente entre le Trésor et la Banque d’Algérie. Rappelons aussi que la Banque d’Algérie a augmenté en janvier 2018 le taux de réserves obligatoires des banques le passant de 4 à 8% (soit le gel de près plus de 320 mds DA), opération qui fait partie des outils de la Banque d’Algérie pour faire un bon monitoring de sa politique monétaire (dont le programme de financement non conventionnel fait partie). Le monitoring de la Banque d’Algérie et sa coordination avec le Trésor sont des actions essentielles pour la réussite du programme de financement non conventionnel et de la maîtrise de l’inflation.

4. Ce qui nous amène à notre conclusion. Toute politique économique dans la situation fragile où se trouve notre pays requiert un maniement responsable et devrait trouver sa place dans une vision pluri-annuelle de sortie par le haut de la crise. À cet égard, le recours au financement non- conventionnel pour cet exercice budgétaire, et le suivi postérieur fait aussi bien par le gouvernement que par la banque centrale, sont adéquats, et ne méritent pas cet excès d’indignité.

Reste que ce financement n’est certainement pas la clé de voûte d’un système moderne de financement que nous réclamons pour notre pays depuis janvier 2015. L’Algérie pour le coup n’est pas les États-Unis, et la Banque d’Algérie n’a pas la capacité de réguler des flots incessants de stimuli monétaires. Il faudrait donc être ambitieux et gagner en crédibilité. La diversification du financement de l’économie algérienne doit être une ambition existentielle pour le gouvernement algérien, les clés sont connues mais les initiatives vraiment structurantes tardent à venir.

Pour la crédibilité de notre pays, il est de toute première instance que le gouvernement profite des niveaux actuels des prix des hydrocarbures, non pas pour relancer les dépenses tout azimut, mais pour affiner la consolidation budgétaire pluriannuelle et relever les défis de la modernisation et de la diversification, à commencer par respecter les montants des dépenses annoncés dans la LF 2018 pour les années 2019 et 2020.

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