
En demandant à son Premier ministre, François Bayrou, de prendre de nouvelles mesures contre l’Algérie, Emmanuel Macron semble avoir définitivement tourné la page de toute tentative d’apaisement entre Paris et Alger.
Cette décision marque un tournant décisif et précipite une relation déjà minée par une crise sans précédent dans une impasse historique dont nul ne peut prédire l’issue. Elle dissipe les derniers espoirs de normalisation, pourtant encore portés par certains cercles des deux rives de la Méditerranée.
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Jusqu’ici perçu comme un acteur clé d’un éventuel règlement de la crise diplomatique, Emmanuel Macron s’était gardé de franchir certaines lignes rouges.
Mais mercredi, il a surpris en adressant une lettre à François Bayrou, dans laquelle il lui intime de « prendre des mesures supplémentaires » afin « d’agir avec plus de fermeté et de détermination » contre l’Algérie.
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Parmi les mesures annoncées figure la suspension officielle de l’accord de 2013 qui dispensait de visa les détenteurs de passeports diplomatiques algériens et français.
Déjà gelé de fait après le refoulement de plusieurs diplomates, auquel Alger avait répliqué en invitant les fonctionnaires détenteurs de passeports diplomatiques de ne pas se rendre en France, ni d’y transiter, ce texte est désormais dénoncé formellement.
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Emmanuel Macron a également ordonné à son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, de refuser les visas de court séjour pour les détenteurs de passeports diplomatiques ou de service, et d’interrompre la délivrance des visas de type D (long séjour) à tous les demandeurs algériens.
Une décision qui s’attaque directement aux étudiants algériens qui veulent poursuivre leurs études en France, à ceux qui veulent faire un regroupement familial, et aussi aux entreprises françaises installées en Algérie, qui avec la réciprocité décrétée par Alger, ne pourront pas obtenir les permis de travail pour leurs cadres expatriés.
Il souhaite également entraîner les pays de l’Union européenne dans cette nouvelle ligne restrictive. Dans sa lettre, le président français justifie ce durcissement par l’« absence de coopération » des autorités algériennes, qu’il accuse d’avoir fait le « choix délibéré de ne pas répondre à nos appels répétés à travailler ensemble ». Face à ce constat, il affirme ne « plus avoir le choix » que de changer d’approche.
Quand Macron entérine les choix de Retailleau
Au-delà du procédé de communication qui interroge, ces décisions risquent d’entraîner des conséquences majeures, bien au-delà des seuls détenteurs de passeports officiels. Elles pourraient affecter un grand nombre de ressortissants algériens, de binationaux et même des employés français en Algérie, si Alger décide d’appliquer des mesures de réciprocité.
Par bien des aspects, elles semblent s’inscrire dans le prolongement de la « réponse graduée » promise depuis plusieurs mois par son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau que l’avocat Jean-Pierre Mignard accuse d’être un « fervent partisan de l’Algérie française presque avoue ». Pourquoi ce brusque changement de ton de la part d’Emmanuel Macron, longtemps perçu à Alger comme un interlocuteur privilégié ?
Lors d’une interview télévisée diffusée le 22 mars, le président Abdelmadjid Tebboune assurait que « l’unique point de repère pour moi, c’est le président Macron », affichant ainsi sa volonté de traiter tous les différends exclusivement avec lui ou avec la personne qu’il désignerait, notamment le ministre des Affaires étrangères.
Il estimait que le contentieux entre Alger et Paris était « préfabriqué » et que, du côté algérien, le dossier était désormais « entre de bonnes mains », en référence au ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf. Quelques jours plus tard, les deux chefs d’État échangeaient au téléphone à l’occasion de l’Aïd el-Fitr.
Un appel marqué par une volonté commune de relancer le dialogue bilatéral, autour de la Déclaration d’Alger d’août 2022. Ils se sont convenus de reprendre immédiatement la coopération sécuritaire et migratoire, et de raviver la relation franco-algérienne dans un esprit d’égalité, d’efficacité et d’amitié. Une confiance partagée, aujourd’hui gravement compromise. D’autant que, dans la même période, alors que Bruno Retailleau plaidait pour l’abrogation de l’accord de 1968, Emmanuel Macron était monté au créneau, en rappelant que « les accords de 1968 sont un cadre bilatéral important » et mettait en garde contre toute abrogation précipitée motivée par des considérations de politique intérieure. « Ce sont des sujets qu’il faut traiter avec méthode, responsabilité, et dans le cadre du dialogue avec les autorités algériennes », affirmait-il. « Une relation complexe comme celle que nous avons avec l’Algérie ne peut être gérée par des gesticulations. Il faut tenir compte de l’histoire, de la réalité humaine, des millions de binationaux », ajoutait-il, par ailleurs, lors d’un échange avec les parlementaires de sa majorité.
Le spectre de la rupture
Aujourd’hui, en entérinant la politique de fermeté de son ministre de l’Intérieur, Emmanuel Macron reprend à son compte les recommandations de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, proche de l’extrême-droite, qui prône lui aussi une posture dure à l’égard d’Alger.
Driencourt considère, en effet, que les leviers les plus efficaces face à l’Algérie sont : la question des visas, la révision de l’accord de 1968 et les biens immobiliers détenus par des responsables algériens en France. Comme lorsqu’il a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara en juillet 2023, à l’origine de la dégradation de la relation avec Alger, Emmanuel Macron semble avoir cédé aux pressions des lobbies et de l’extrême-droite, hostiles à l’Algérie.
Ce courant qui compte des nostalgiques de l’Algérie française, revigoré par ses succès électoraux de ces dernières années, considère les Algériens comme les boucs émissaires des maux qui gangrènent la société française. Une approche qui fait recette électoralement.
L’Algérie au cœur des luttes intestines franco-françaises
Aussi, Emanuel Macron cherche visiblement à désamorcer les critiques internes liées à sa promesse de reconnaître l’État palestinien, une décision très contestée à Paris, ou encore son impuissance à influer sur les dossiers embarrassants de Boualem Sansal et du journaliste Vincent Gleizes, dont la détention en Algérie embarrasse l’Exécutif.
Affaibli sur la scène intérieure, marginalisé sur la scène internationale, comme en témoignent ses multiples échecs en Afrique, Emmanuel Macron entend manifestement jouer l’ultime carte pour redorer son image : celle de la confrontation avec Alger, un thème porteur auprès de l’opinion publique française.
En donnant le feu vert à Bruno Retailleau pour agir contre l’Algérie, Emmanuel Macron cherche aussi à mettre son ministre de l’Intérieur devant ses responsabilités, lui qui était jusque-là dans le beau rôle, en critiquant depuis des mois, le manque de fermeté de son président dans cette crise, pour justifier son impuissance à obtenir ce qu’il cherche, avec des menaces et des injonctions, d’Alger. Désormais, le locataire de Beauvau a les mains libres et doit obtenir les résultats, sans rejeter la responsabilité sur les autres.
Dans un climat aussi tendu, rien ne laisse présager une éventuelle amélioration des relations entre les deux capitales. Et rien ne garantit également que la situation évoluera favorablement d’ici la fin du mandat de Macron. Plus que jamais, les deux pays sont au bord de la rupture.