Société

France : les musulmans ne cachent plus leur peur

La France a marché ce dimanche 11 mai contre l’islamophobie. L’assassinat du jeune Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard, il y a trois semaines, est perçu par les musulmans de France comme le point de basculement de l’islamophobie ambiante, passant de la stigmatisation verbale au meurtre. La communauté vit désormais dans une peur qu’elle ne cache plus.

“En France, l’islamophobie atteint des proportions historiques (…) On peut mourir parce qu’on est musulman(e). Cela doit cesser”, a écrit sur X le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) dans un appel à rallier la marche de ce dimanche à Paris.

Depuis quelques années, la pression est montée crescendo sur les musulmans en France, stigmatisés dans la rue ou au travail et attaqués dans les médias, notamment sur les chaînes télés. Depuis l’éclatement de la guerre contre Gaza en octobre, cette pression s’est accentuée.

En 2024, le livre “La France, tu l’aimes et tu la quittes”, fruit d’une enquête de trois sociologue, a levé le voile sur un phénomène nouveau : de plus en plus de cadres musulmans, ‘’bien installés”, songent à quitter la France où l’ont déjà fait. Les témoignages décrivaient un climat irrespirable dû à la stigmatisation et la libération de la parole raciste.

Musulmans de France : le malaise

Tareq Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux, avait sonné l’alerte à la sortie du livre : “Le malaise est profond chez les musulmans et ne l’a jamais autant été. Il y a de grandes interrogations, une angoisse même face à l’avenir politique et social d’une France qui se crispe.”  Hélas, le danger n’a pas été pris au sérieux.

Qu’en sera-t-il maintenant que l’extrémisme est passé à l’acte avec l’assassinat d’un musulman dans une mosquée alors qu’il était en train de prier. Un mot revient en tout cas sur toutes les lèvres depuis le drame du 25 avril dernier : la peur.

Deux jours après le crime, une marche était organisée à Paris. Une femme musulmane s’était ainsi plainte à Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France Insoumise (LFI) : “On ne se sent plus en sécurité, nous les musulmans. On sort la boule au ventre. Il y a une ligne rouge qui a été franchie.”

Musulmans de France : “On ne se sent plus en sécurité”

Cette ligne rouge franchie a été l’acte islamophobe de trop, qui a fait réagir musulmans et non musulmans, en dehors évidemment du courant xénophobe et islamophobe.

“Une culture du mépris se diffuse et peut favoriser les passages à l’acte”, a mis en garde dans La Croix le père Jean-François Bour, délégué national pour les relations avec les musulmans à la Conférence des évêques de France.

Les musulmans de France, attachés ou non à leurs traditions religieuses, ont peur, pour eux-mêmes et leurs enfants à qui ils apprennent, dès leur jeune âge, qu’on peut être agressé, moqué ou insulté parce qu’on est musulman”, a-t-il constaté, appelant à cesser cette “querelle indécente sur le vocabulaire”, en allusion au refus de certain d’admettre que ce que subissent les musulmans de France est de l’islamophobie.

Le climat était délétère et invivable depuis plusieurs années. En 2024, le ministère de l’Intérieur a comptabilisé un total de 173 faits antimusulmans, dont des mosquées vandalisées ou incendiées.

Vendredi 25 avril 2025, une nouvelle étape a été franchie dans la haine des musulmans. La peur est bien là. Le journal Libération a publié des témoignages qui en disent long sur le climat de crainte, voire la paranoïa qui s’est emparée des musulmans de France.

Une peur latente depuis plusieurs années et que beaucoup expriment ouvertement depuis l’assassinat d’Aboubakar. “La mort d’Aboubakar a tout fait remonter. On voyait, on entendait des histoires. Des mosquées vandalisées, des agressions et tout mais ça passait. Des histoires où les victimes ne portent même pas plainte parce qu’ils se disent que ça ne sert à rien. Cette fois c’est trop”, résume un retraité.

Une étudiante voilée qui craint d’être agressée physiquement

“Le jugement des autres ne me gêne pas. Ce qui m’inquiète est physique. Je me dis que je peux me faire frapper en rentrant un soir”, confirme une étudiante voilée. Une inquiétude qui se justifie puisque depuis l’assassinat de Aboubakar Cissé, deux femmes voilées ont été agressées dans la rue en France.

Un point commun entre tous les témoignages recueillis par le journal suffit à décrire l’état de peur que vivent les musulmans en France : leurs auteurs ont refusé de se faire filmer et de s’exprimer à visage découvert.

Si l’assassinat d’Aboubakar a exacerbé la peur chez les musulmans, il a aussi permis aux langues de se délier et aux représentants de la communauté de désigner la source du mal, qui est ce discours de haine banalisé chez une partie de la classe politique et dans beaucoup de médias. Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Mosquée de Paris, a laissé entendre que la communauté n’acceptera plus d’endurer ce qu’elle a vécu jusque-là.

“Ce silence-là, nous ne l’accepterons plus” et “nous refusons d’assister, une fois encore, à la répétition du même cycle d’émotion stérile, suivi d’un oubli institutionnalisé”, a-t-il écrit après la levée du corps d’Aboubakar Cissé à la mosquée de Paris.

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