La guerre que mène Israël à Gaza et la question palestinienne restent une passion en France. Elles divisent à tous les niveaux, depuis l’entourage du président Emmanuel Macron jusqu’au plus profond de la société.
Dans ce débat pour la condamnation des agissements de l’armée israélienne, la diaspora algérienne est partie prenante.
En 2004, Denis Sieffert, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Politis avait intitulé son livre sur la question palestinienne : « Israël-Palestine, une passion française ».
Dernier épisode de la confrontation entre soutiens inconditionnels du gouvernement israélien et pro-palestiniens : à la mairie Marseille où le groupe de l’opposition a demandé au maire de revenir sur la décision d’octroyer une subvention de 80.000 euros à l’UNRWA et a fait part de sa volonté de saisir le préfet des Bouches-du-Rhône.
Confrontations dans les médias
La chaîne Web Arrêt sur Images, qui se donne comme objectif de passer à la loupe le contenu des programmes TV, faisait récemment ce terrible constat : Gaza a disparu des écrans, et titrait « TF1, France 2 : 29 heures de Journal télévisé, 5 minutes pour les Gazaouis ». Sur une dizaine de jours, seul le journal de 20 heures de France 2 a consacré quelques minutes au sort des civils à Gaza.
L’Association Action-CRItique-MEDias (Acrimed) qui est un observatoire des médias relève que « du 1er janvier au 1er octobre 2023, le 20 heures de France 2 n’a consacré que dix sujets au conflit. Sur ces dix mois, le temps de parole de Palestiniens fut de trente-trois secondes ».
Dans le numéro de février du Monde Diplomatique, Serge Halimi et Pierre Rimbert, sous le titre : « Le journalisme français, un danger public » décortiquent la façon dont la presse française rend compte de la guerre à Gaza.
Ils dénoncent les médias qui « entérinent sans vérification ni recul la plupart des récits du gouvernement et de l’armée israéliens », des communicants rompus à l’exercice qui « parlent souvent parfaitement l’anglais et connaissent les codes journalistiques du public-cible ».
Le Diplo, comme l’appellent couramment ses lecteurs, donne l’exemple du Figaro Magazine dont la journaliste Judith Waintraub écrit à propos de Julien Bahloul, un jeune franco-israélien : « Né en France dont il est parti pour fuir l’antisémitisme » et qui « après cinq ans sur la chaîne de télévision i24News remet l’uniforme pendant ses périodes de réserve, qu’il effectue en tant que porte-parole de Tsahal ».
Dans la matinale de France Inter, Sonia Devillers lance le 10 octobre 2023 à son invité, l’étudiant franco-israélien Yoval qui part rejoindre l’armée israélienne : « Merci Yoval, bonne route ! »
Serge Halimi et Pierre Rimbert poursuivent avec l’exemple de Brice. Cet auditeur de France-Inter qui intervenait par téléphone pour poser une question à l’invité du jour, François Hollande : « À partir de combien de dizaines de milliers de morts en Palestine va-t-on enfin décider de demander à tous vos intervenants s’ils condamnent sans ambiguïté les atrocités de l’armée israélienne ? » Question systématiquement posée à leurs différents invités à propos des morts du 7 octobre côté israélien.
Confrontations dans les partis politiques
La confrontation se situe également dans l’arène politique. Le 22 octobre, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, se rend en Israël accompagnée de députés du groupe Les Républicains, Éric Ciotti et Meyer Habib. Ce déplacement intervient après qu’elle ait déclaré son « soutien inconditionnel » à Israël.
Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France Insoumise (LFI) réagit en accusant Yaël Braun-Pivet de « camper à Tel-Aviv pour encourager le massacre » à Gaza. « Pas au nom du peuple français ! » lance-t-il sur le réseau social X.
De tous les partis politiques, LFI est celui qui reçoit le plus de coups pour avoir refusé de stigmatiser le Hamas après le 7 octobre 2024.
Les tentatives de délégitimation de LFI n’arrêtent pas. Comme lors de l’hommage national rendu le 7 février par le président Emmanuel Macron aux Français morts en Israël de l’attaque du Hamas.
Rompus au combat politique, les députés LFI ne plient pas. À l’Assemblée nationale, les interventions détonnent par leur force. Ni la chef de file des députés LFI, Mathilde Panot, ni le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, ne s’en laissent compter.
Quand il est invité sur les chaînes d’information en continu et qu’à plusieurs occasions les journalistes l’assaillent de questions en ne le laissant pas dérouler son argumentation, cet ingénieur en informatique titulaire d’un doctorat en mathématiques reste serein face à toutes les tentatives de déstabilisation et aux provocations du député Meyer Habib.
Un député dont Frédéric Métézeau de Radio France signe avec une consœur un article intitulé « Meyer Habib : le député français qui murmure à l’oreille de Benyamin Netanyahou ».
Aux côtés de LFI, les députés du PCF interpellent sans relâche les ministres lors des séances de questions au gouvernement. C’est le cas ce 7 février lorsque Soumya Bourouaha, née à Ghazaouet en Algérie, et élue en Seine-Saint-Denis : « Avec une délégation d’élus, nous nous sommes rendus aux portes de Gaza. La bande de Gaza est un champ de ruines. Il n’y a pas que les bombes qui tuent, il y a aussi la pénurie désespérée de médicaments, de nourriture, d’eau. La voix de la France est importante, quelles actions sont mises en œuvre pour obtenir un cessez-le-feu immédiat ? ».
Confrontations entre colleurs d’affiches
Dans les villes et en particulier à Paris, la confrontation est visible sur les murs. Les affiches appelant à la libération des « otages » du Hamas sont régulièrement arrachées. Place de la République, sur la façade de Wall Street English, par précaution, ces affiches ont été collées très en hauteur.
À proximité du cimetière du Père Lachaise quelques-unes de ces affiches ornent les murs. Le long du boulevard Ménilmontant et dans les rues adjacentes d’autres affiches sont collées sur les murs entre les commerces de boucheries hallal et magasins pour pâtisseries orientales. Signées Samidoun (résistance), elles appellent au boycott de Carrefour et à la défense de Gaza.
Des affiches, LFI en édite également. Ses affiches et autocollants appellent à un cessez-le-feu immédiat. En la matière, LFI n’est pas avare. Son site en ligne propose gratuitement aux groupes locaux et aux sympathisants affiches, tracts et autocollants.
Nous avons suivi Smaïn, sympathisant du parti de Mélenchon lors de son passage au siège parisien de LFI. Objectif, récupérer une commande de 2.000 tracts et de 100 autocollants.
Passées les deux portes protégées par un digicode, on arrive dans le hall où des étagères et des palettes sont chargées de piles de tracts et d’affiches. Smaïn n’a d’yeux que pour une palette d’un mètre cube composée de tracts pour Gaza. Ce vieux militant de la cause palestinienne en a déjà distribué plus de 6.000.
Il raconte : « Au début je photocopiais des tracts par mes propres moyens. J’ai ainsi dépensé plus de 85 euros. Puis, un jour dans la rue, voyant collé sur un lampadaire un autocollant de LFI pour Gaza, je suis allé sur leur site Internet ». C’est ainsi qu’il a découvert la variété du matériel de communication disponible.
« Attention, on ne peut pas se servir. Il faut attendre le responsable et communiquer le numéro de commande reçu par mail », explique-t-il.
Le responsable des groupes locaux traverse le hall et la discussion s’engage : « Lors des distributions sur la voie publique, soyez toujours à plusieurs », conseille-t-il. Smaïn est adepte du « boxing », c’est-à-dire glisser les tracts dans les boîtes aux lettres de son quartier et des alentours.
Tracts et autocollants dans le sac, nous sortons. Dans la rue des Vinaigriers à proximité du Canal Saint-Martin, un habitant sort de son immeuble et avant que le portail ne se referme, Smaïn me lance : « Vite, suis-moi ». Dans le hall, contre le mur, une quarantaine de boîtes aux lettres sont alignées. Smaïn tire des tracts de son sac et les glisse dans les boîtes aux lettres.
Revenu dans son quartier, à l’entrée de la cage d’escalier d’un immeuble, Nacéra, une collégienne, discute avec une amie. Smaïn demande s’il peut entrer pour glisser des tracts pour Gaza. À ce mot le visage de la jeune fille s’illumine et fièrement rappelle que des jeunes ont écrit le mot Palestine sur les murs de la cité. Elle demande : « Je peux vous aider ? ».
En un tour de main, les boîtes sont servies. « Vous en avez d’autres ? », questionne la jeune fille en précisant : « Je vais en mettre chez mes voisins ».
Avec les groupes politiques, de nombreuses associations de soutien à la Palestine appellent à des regroupements dans les différentes villes de France.
Début février, face à une centaine de personnes réunies devant l’Hôtel de ville d’Alès, Salima Mellah, secrétaire locale de l’Association France Palestine Solidarité (Afps), appelait à un cessez-le-feu.
Le 14 février à Paris devant le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, un regroupement à l’appel d’un collectif d’associations et de partis politiques en soutien à Gaza s’est tenu. Keffieh autour du cou, Yasmine s’indigne : « On a poussé des gens à Rafah et là on [l’armée israélienne] est en train de bombarder ».
Sur les réseaux sociaux également les confrontations sont nombreuses. Les comptes des internautes pro-palestiniens sont souvent l’objet de blocages. Quant aux vidéos des médias français, elles sont le plus souvent suivies de commentaires dénonçant le parti pris en faveur d’Israël de certains journalistes et de leurs invités.
Par contre les rares invités qui s’opposent à la doxa que tentent d’imposer certains médias sont félicités. C’est le cas de l’ancien député européen Karim Zéribi qui, sur la chaîne C8 ou Cnews dénonce les bombardements de l’armée israélienne sur Gaza.
Confrontations dans les urnes
Va-t-on assister à de telles confrontations lors des prochaines élections européennes ? Déjà en 2004, Olivia Zemor, une passionaria pro-palestinienne lançait la liste « Euro-Palestine » lors des élections au Parlement européen et obtient 50.000 voix notamment au niveau de « certaines régions d’Ile-de-France, par moments, dépassant les Verts et le Parti communiste dans les quartiers pauvres à forte présence arabe ».
Face au pilonnage médiatique que subissent les partis de gauche et les écologistes du fait de leur soutien à Gaza, leur stratégie pour survivre semble consister à se tourner vers l’électorat le plus large.
Problème, de nombreux jeunes en âge de voter ne sont pas inscrits sur les listes électorales.
C’est ce qui a poussé Manuel Bompard à demander le 14 février au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’urgence d’une campagne nationale d’inscription sur les listes électorales.
« Alors que les élections européennes approchent à grands pas, prévues pour le 9 juin 2024, aucune initiative gouvernementale de cette envergure n’a été entreprise. La date limite d’inscription est fixée au 3 mai », note le site Linsoumission.fr.
Dans sa cité, Smaïn tend ses tracts à un groupe de jeunes adultes. Mohamed, originaire de la région d’Oujda, demande : « À quoi cela sert-il ? Gaza est pratiquement détruite ! ». Inlassablement, Smaïn explique : « Il faudra aller voter ».