Société

Houris de Kamel Daoud : de nouveaux éléments dévoilés

La première audience a eu lieu ce mercredi 7 mai dans le procès intenté en France contre Kamel Daoud par Saada Arbane qui l’accuse d’avoir reproduit son histoire personnelle dans son roman “Houris”, prix Goncourt 2024. Ayant eu accès à certains documents et témoignages, le journal français Libération a fait de fracassantes révélations sur cette affaire dans laquelle la justice française aura à trancher si l’œuvre de l’écrivain franco-algérien relève ou non de la fiction.

Une affaire similaire a été jugée en 2013 et a valu à la romancière Christine Angot d’être condamnée à payer 40 000 euros pour atteinte à la vie privée de l’ex-campagne de son conjoint. Si ce procès est rappelé, c’est parce qu’il est “rarissime” mais aussi parce que c’est le même avocat, qui a réussi à faire condamner la romancière, Me William Bourdon, qui défend Saada Arbane contre Kamel Daoud, rappelle Libération.

Cette femme algérienne de 32 ans est la seule rescapée de sa famille d’un massacre perpétré par un groupe armé islamiste pendant la période de terrorisme en Algérie, alors qu’elle  avait six ans. Elle garde encore de graves séquelles de la tentative d’égorgement qu’elle a subie, dont une longue cicatrice au cou, la perte de la voix et le port d’une canule pour pouvoir respirer.

Saada Arbane – Aube, d’étranges similitudes

A un moment donné, elle a été soignée par la femme de Kamel Daoud, Aïcha D., psychiatre. Elle soupçonne la praticienne d’avoir répété son histoire à son mari qui l’a mise en roman sans son consentement. Une plainte a été déposée en Algérie et une autre en France contre l’écrivain. L’ancien chroniqueur du Quotidien d’Oran a toujours nié, maintenant que son œuvre est une pure fiction.

Selon Libération, la défense de la jeune femme a mis dans le dossier les 150 pages, sur les 400 du roman, qui contiennent des similitudes flagrantes entre l’histoire de Saada Arbane et celle d’Aube, le personnage principal de “Houris”. Ils ont aussi joint des témoignages de proches et des échanges de SMS entre la plaignante et sa psychiatre.

Libération retrouve une interview parue le 5 septembre dernier dans le Nouvel OBS et “passée inaperçue”. Kamel Daoud a reconnu qu’il a “connu une femme avec une canule” et qui est “la métaphorisation réelle de cette histoire qui ne peut être racontée alors qu’elle a été subie”.

Dans le dossier remis à la justice, les similitudes entre la femme réelle et le personnage de fiction sont nombreuses et frappantes : la longueur de la cicatrice à la gorge, leurs années de naissance, 1993 et 1994, toutes deux vivent à Oran, Arbane est mariée à un algéro-espagnol, possède un salon de coiffure et pratique l’équitation à bon niveau, tandis qu’Aube vit avec un homme qui souhaite déménager en Espagne, possède un salon de beauté et se passionne pour l’équitation.

Des mandats d’arrêt internationaux lancés contre Kamel Daoud

Les parents de Mme Arbane, des bergers, et ses cinq frères et sœurs, ont été assassinés en juillet 2000, et elle a été laissée pour morte après avoir été égorgée, sauvée et adoptée par la pédiatre Zahia Mentouri, qui la fait soigner à Paris où on lui place une canule. Aube, elle, est fille d’éleveurs de moutons,  massacrés par un groupe armé islamiste. Elle a été adoptée par une avocate. La similitude est poussée aux moindres détails comme la profession des pères adoptifs, l’un est professeur d’histoire, l’autre publie des manuels scolaires ou encore l’horreur qu’ont les deux mères adoptives, la vraie et la fictive, à célébrer le sacrifice de l’Aïd.

A l’école, Arbane est surnommée Donald à cause de sa voix,  Aube évoque Donald Duck, qui avait la même langue qu’elle. Et ce n’est pas fini. Les deux femmes tombent enceintes et songent à avorter, rêvent toutes les deux d’un remède révolutionnaire, cachent leur canule…

Sur certains détails, l’écrivain n’a pas pris la peine de changer quoi que ce soit, comme le nom du lycée ou le nom d’un légiste ami intime de la famille adoptive.

L’affaire dépasse toutefois le cadre d’un litige littéraire à cause de sa “politisation”. Kamel Daoud et sa défense tentent de faire le parallèle entre cette affaire et celle de Boualem Sansal.

“Alger peut déposer plainte contre Kamel Daoud en France ; la France ne peut même pas envoyer son avocat à Alger”, a-t-il déclaré début avril au Figaro, ce qui lui a valu une autre plainte en diffamation de Saada Arbane. La première audience de ce nouveau procès est prévue le 13 juin prochain.

Outre les plaintes déposées en France, Daoud est également poursuivi en Algérie, devant le tribunal d’Oran. Ce mercredi 7 mai, le journal Le Point, pour lequel Daoud travaille comme chroniqueur, a rapporté que la justice algérienne a lancé des mandats d’arrêt internationaux contre le lauréat du prix Goncourt. Un mandat d’arrêt a été lancé en mars dernier contre l’écrivain, “qui s’est vu en notifier un second au début de ce mois de mai”, a précisé le média, citant les avocats de l’écrivain. Même s’il reconnaît qu’il est  difficile de connaître les motifs de “cette notice rouge”, le journal indique que ces mandats d’arrêt seraient lancés par le tribunal d’Oran. Ses avocats ont annoncé qu’ils contesteront ces mandats “auprès des instances concernées”.

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