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Huitième vendredi de manifestations populaires : ce qui s’est passé à Alger

Huitième vendredi de manifestations populaires : ce qui s’est passé à Alger

Le huitième vendredi de mobilisation nationale contre le pouvoir a failli virer au drame à Alger où des affrontements, parfois violents, ont opposé, vers la fin de la journée, forces de l’ordre et casseurs.

La marche d’aujourd’hui commence, comme lors des sept précédents vendredis, dans le calme et une ambiance bon enfant. À la Grande Poste où les manifestants ont dû « partager » la place avec de nombreux CRS pendant toute la matinée avant que ces derniers ne se retirent, tout s’est déroulé comme d’habitude. Slogans contre le pouvoir, chants patriotiques et populaires, banderoles et pancartes, drapeaux algériens, amazighs et palestiniens : tout est prêt pour une nouvelle manifestation festive et pacifique.

Ambiance bon enfant

Vers la mi-journée, les manifestants, hommes et femmes, jeunes ou âgés, beaucoup en familles, affluent vers le centre de la capitale. Les rues Didouche Mourad et Hassiba Ben Bouali se remplissent peu à peu d’une foule pacifique mais déterminée à « dégager le système ».

À la place Maurice Audin, la foule est déjà très compacte à 14 heures. À ce moment là, des milliers de manifestants pacifiques sont rassemblés, et en face, un épais cordon de CRS bloque l’entrée du boulevard Mohamed V, qui monte vers les hauteurs d’Alger. Le temps passe, l’atmosphère devient de plus en plus tendue, les marcheurs tentent, comme à leur habitude, de forcer le cordon des CRS pour remonter le boulevard pour tenter, une énième fois, d’atteindre le palais de la Présidence. Alors que d’habitude le cordon de police fermant l’entrée du boulevard Mohamed 5 cède en début d’après-midi, ce vendredi, il tient plus longtemps face aux manifestants.

Affrontements

Pour tenir leur position, les policiers antiémeute utilisent le canon à eau pour tenter de repousser les manifestants. « C’était une riposte aux nombreux jets de projectile provenant de casseurs infiltrés et qui avaient déjà causé plusieurs blessures parmi les policiers », témoigne un secouriste bénévole présent sur place.

Les manifestants arrosés reculent pour un moment, avant que le face-à-face ne se durcisse et que le cordon formé par les CRS ne cède. À ce moment précis que les choses commencent à prendre une mauvaise tournure.

Nombreux blessés et dégâts matériels

En remontant le boulevard Mohamed V, les manifestants, précédés par les casseurs, découvrent les traces du passage de ces derniers. Voitures saccagées et mobilier urbain vandalisé donnent à voir un triste spectacle jusque-là inédit. En haut du boulevard, un autre cordon de CRS bloque le passage aux manifestants et, encore une fois, des « infiltrés », tel que les a décrits la DGSN, attaquent les policiers avec divers projectiles.

La police ne se retient pas. Elle tire de nombreuses grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants mélangés aux casseurs. L’air devient irrespirable dans le tout le quartier ex-Debussy.

Pendant les affrontements violents à Télemly, de « très nombreuses blessures » sont signalées dans les rangs des policiers, selon des secouristes. Un autre secouriste, témoigne des affrontements, explique que les policiers, pris d’assaut, étaient obligés de riposter « en tirant des balles en caoutchouc, provoquant plusieurs blessures dans les rangs des manifestants ».

Refoulés par les CRS jusqu’à Audin vers la fin de la journée, les casseurs, toujours mêlés aux manifestants, continuent de jeter des projectiles sur les policiers. Les policiers ripostent en tirant des grenades lacrymogènes.

Les gaz irritants envahissent la place Audin, obligeant tous ceux qui s’y trouvaient à évacuer l’endroit. À ce moment-là encore, à quelques mètres de là, sur la rue Didouche Mourad, la manifestation se poursuit pacifiquement. Les tirs de lacrymogènes se sont poursuivis et des grenades atteignent l’intérieur du tunnel des facultés, selon plusieurs témoignages, asphyxiant les manifestants.

Manifestants en danger

Une action dénoncée par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme et démentie, dans la soirée, par la DGSN qui parle de « fumigènes et feux d’artifice » allumés à l’intérieur du tunnel par des « manifestants dont le comportement est subitement devenu agressif ».

Les policiers ne s’arrêtent pas là. Il continuent leur tir massif de grenades lacrymogènes sur la rue Didouche Mourad, obligeant les manifestants qui s’y trouvaient encore en nombre à évacuer toute la rue. Des enfants sont blessés. Le drame est évité de justesse.

L’élément qui a tout changé ce vendredi est que l’habituel affrontement entre les casseurs et la police avait lieu, lors des sept précédents vendredi loin des lieux où se déroulait la manifestation pacifique, c’est-à-dire le centre d’Alger, « fief » des manifestants pacifiques.

Jusque-là, la police affrontait les éléments agitateurs au niveau de l’école des Beaux-arts, du rond point d’Addis-Abeba, ou du Palais du peuple, épargnant ainsi les marcheurs pacifiques qui restent, dans leur écrasante majorité, au niveau des rues Didouche Mourad, Hassiba Ben Bouali, la Grande Poste et la place Maurice Audin. Ce vendredi, les casseurs ont été refoulés par la police jusqu’à Audin, ce qui a permis à ceux-ci de s’abriter parmi les manifestants pacifiques.

Des policiers du Gosp en renfort

L’intervention de la police a été, vers la fin de la journée musclée, spectaculaire, des centaines d’agents, en uniforme et en civil et des agents de la BRI sont descendus sur Didouche et ont poursuivi les casseurs, souvent au milieu des manifestants pacifiques, mettant ces derniers en danger. Des agents du Gosp, l’unité d’élite de la police, ont été même appelés en renfort, pour réprimer des manifestants pacifiques. Ces policiers, formés pour intervenir dans des situations à très hauts risques, portent des armes à feu, ce qui augmente considérablement le risque d’accidents mortels et de bavures.

Vers 19 heures, le calme n’est pas encore tout à fait revenu à Alger centre. Les affrontements opposent encore des petits groupes de jeunes aux policiers. Mais, sur Didouche et Audin, de nombreux manifestants se tiennent, avec drapeaux et pancartes près des policiers, sans êtres inquiétés.

Le bilan des violences de ce vendredi 12 avril est lourd, des dizaines, voire des centaines de blessés à de degrés de gravité divers parmi les manifestants, au moins 83 policiers blessés et 180 interpellations, selon le bilan officiel de la police nationale.

Provocations

De nombreuses voitures appartenant à des particuliers et même une ambulance, sont saccagées, du mobilier urbain vandalisé. Mais le plus grave est sans doute le bilan moral de cette journée de manifestation à Alger. La non-violence des manifestations ne sera sans doute pas écornée par les affrontements de ce vendredi.

Vers la fin de la journée, alors que des centaines de manifestants s’affairent à nettoyer les rues d’Alger centre, un jeune citoyen se tenant devant une voiture saccagée jure que « les manifestants n’ont rien à voir avec ça », que « les manifestants n’ont jamais rien cassé ni attaqué les policiers ».

Une opinion partagée par de nombreux autres Algérois et manifestants venus des villes voisines et même par les secouristes qui ont été en première ligne et les témoins privilégiés de ce huitième vendredi. « Des provocateurs ont été les premiers à être violents, provoquant la réaction des policiers et entraînant avec eux un certain nombre de manifestants inconscients », explique un secouriste.

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