
ENTRETIEN. Abderrahmane Benhazil est le directeur général du commerce extérieur au ministère du Commerce. Dans cet entretien, il répond à la lettre de dénonciation des importateurs de viandes, se défend de tout favoritisme et annonce un dépôt de plainte.
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Dans une lettre au Premier ministre, des importateurs de viandes rouges ont dénoncé des « manipulations malsaines » dans l’octroi des licences d’importation. Quelle est votre réaction ?
Pour commencer, je tiens à préciser que le ministère va saisir la justice contre l’auteur de ces propos diffamatoires. Il n’y a aucune pratique malsaine. Le comité technique chargé d’examiner les dossiers des opérateurs économiques est composé de représentants de plusieurs secteurs, en l’occurrence le commerce, l’industrie, l’agriculture, la douane et les impôts. Notre travail se fait dans une transparence totale. Pour les licences d’importation de la viande, le comité a traité sur la base des courants d’échanges traditionnels. C’est-à-dire par rapport aux flux d’échanges traditionnels de chaque opérateur.
S’agissant d’un produit sensible -sa durée de vie entre l’abattage et la consommation ne devrait pas excéder les 21 jours- le comité a opté pour les professionnels. Nous avons vérifié les quantités importées ces trois dernières années. Donc pour le contingent quantitatif des viandes, nous avons reçu 53 demandes. Le travail de vérification nous a permis d’éjecter de la liste 11 opérateurs inscrits au fichier national des fraudeurs. Six autres ont présenté des registres du commerce qui contiennent la même adresse et le nom du même gérant. Donc, sur les 53 opérateurs, seulement 36 ont été retenus par le Comité.
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La deuxième phase a consisté à faire une sélection selon le mode du commerce traditionnel. Nous avons constaté que 20 opérateurs seulement ont réalisé des importations de viandes fraîches les trois dernières années. 17 opérateurs ont été sélectionnés (16 privés et un opérateur public). Pourquoi on n’a pas donné de licences pour les 3 autres opérateurs retenus dont l’auteur de la lettre au Premier ministre, Sofiane Bahbou ? Ce dernier, et à travers sa Sarl, a demandé uniquement 22 tonnes. Mais dans sa lettre, il n’a pas précisé ce qu’il a importé ces derniers temps, à savoir 387 tonnes de viandes sans se soumettre aux licences d’importation.
Comment a-t-il pu le faire sachant que la viande fraîche est soumise aux régimes des licences ? Qui lui a accordé la domiciliation bancaire ?
Il a mis les autorités devant le fait accompli. S’agissant d’une importation de viandes à coups de devises, financée par les banques de l’État, les services de l’État lui ont accordé une dérogation pour lui permettre d’acheminer et de commercialiser sa marchandise. Cet importateur a dû introduire son dossier de domiciliation à la veille de la publication du communiqué du ministère du Commerce (1er avril) qui fixe la liste des produits soumis aux licences d’importations. On aurait pu le bloquer, les importations ont été faites même après le 1er avril, mais on ne l’a pas fait. Je rappelle que la marchandise importée avant la signature des licences d’importation a été défalquée du quota fixé. En d’autres termes, les autorités ont signé des licences pour 20.000 tonnes de viandes fraîches, mais uniquement 15.000 seront importées.
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Selon les signataires de la lettre, certains importateurs ont entamé les démarches d’importation de viandes rouges avant la signature des licences. Est-ce que c’est vrai ?
C’est archifaux.
Avez-vous les moyens de suivre la traçabilité des viandes importées tant au niveau local qu’à l’international ?
Le produit est soumis à une autorisation des services vétérinaires du ministère de l’Agriculture. Ces services vérifient notamment que l’abattage se fait selon le rite musulman. À l’arrivée, le produit sera contrôlé aux frontières par les services vétérinaires.
Concernant la traçabilité sur le marché local, le ministre (du Commerce) a signé une instruction qui fait obligation aux boucheries de prévoir des présentoirs frigorifiques distincts pour la viande d’importation avec une précision que la viande est réfrigérée et importée avec l’affichage des prix de vente. La même chose pour la viande locale.
Avez-vous les moyens de vérifier sur le terrain l’application de cette instruction ?
On va le faire. Lors de la remise des licences, les importateurs ont été sommés aussi de suivre la traçabilité du produit en termes de conservation et des prix pratiqués. Si nos équipes constatent un non-respect des engagements signés, le produit sera saisi et l’importateur rayé de la liste des opérateurs retenus pour les prochaines opérations d’importation.
Combien coûtera cette viande ?
Elle ne devrait pas dépasser les 700 DA le kilogramme. Je précise qu’il s’agit de la viande bovine et non ovine.
Pourquoi a-t-on bloqué l’importation de la viande congelée ? Cela ne risque-t-il pas de pénaliser les petites bourses ?
La viande congelée est très sensible. La majorité de nos boucheries ne disposent pas de moyens de stockage appropriés.
Pourquoi le ministère ne publie pas les noms des importateurs et des fournisseurs des viandes fraîches ?
Pourquoi le faire ? Les importateurs sont connus. Le seul critère est le flux d’échanges traditionnels concernant les licences d’importation pour la viande fraîche. Dix opérateurs activent au niveau du Centre du pays, cinq à l’Ouest, quatre à l’Est et un dans le sud du pays. Il n’y a aucun favoritisme. Le ministre veille à ce qu’il n’y ait aucune intervention.
Initialement, tous les produits destinés à la revente en l’état devaient être concernés par les licences d’importation. Ensuite, vous avez fixé une liste de 21 produits seulement. Quelles en sont les raisons ?
La déclaration du ministre a été mal interprétée. Il s’agissait en fait des produits qui pèsent sur la facture de l’importation.
L’introduction des licences d’importation a fait gagner combien au trésor public ?
Environ 5 milliards de dollars en 2016. Nous atteindrons 8 à 10 milliards cette année.
Le recours aux licences d’importation a provoqué la pénurie de certains produits, comme la pomme par exemple…
Pour la pomme, nous avons suspendu les importations en attendant d’écouler la production nationale.
Mais cela a fait flamber le prix de ce fruit…
De toute manière, la pomme est soumise au régime des licences d’importation. Les autorisations seront signées prochainement.
Comment expliquez-vous le retard affiché dans la signature des licences d’importation pour les véhicules ?
Le Comité travaille sur ce dossier. De toute manière, en 2016, il y a eu du retard dans la signature de ces licences. Les dernières importations de voitures ont été faites à la fin de l’année passée. Le Comité a commencé par les produits alimentaires pour approvisionner le marché à la veille du Ramadan. Il y a d’autres produits nécessaires, comme les aliments de bétails. C’est le contexte qui nous a conduits à procéder selon un ordre de priorité.
La lenteur dans le traitement des licences d’importation ne risque-t-elle pas de pénaliser un pays entièrement dépendant du marché international ?
Parfois, nous avons 2.000 demandes pour un seul produit. Il faut tout vérifier : le numéro d’identification fiscale, l’adresse, le registre du commerce, la sécurité sociale, etc. Après le traitement administratif, on passe à la distribution des quotas. En tout cas, le régime des licences ne va pas rester éternellement. C’est provisoire en attendant que les caisses de l’État retrouvent leurs équilibres.
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