L’Algérie n’aura pas son industrie automobile avant bien longtemps. À l’occasion de la séance de l’APN, jeudi 22 novembre, le ministre de l’industrie et des Mines a douché tout un pays qui, depuis 34 ans, s’est mis à rêver d’une voiture « made in Algeria » mais doit encore attendre 30 autres années pour pouvoir se doter d’une industrie automobile.
« L’Algérie a besoin de 20 à 30 ans pour asseoir une industrie automobile intégrée à même d’offrir des produits concurrentiels à la portée du consommateur algérien, de pallier aux importations et d’atteindre l’exportation », a lâché, sans sourciller, M. Yousfi, non sans préciser que le principal objectif des autorités algériennes avec leur appui des projets automobiles « n’est pas le montage » mais plutôt « asseoir une véritable industrie automobile », qui, de son avis, « prendra entre 20 à 30 ans ».
Son explication : « Construire une vraie base industrielle dans ce domaine passe en premier lieu par des projets de montage puis par une intégration progressive de la sous-traitance, à travers l’industrialisation locale de composants de qualité aptes à être intégrés par les constructeurs ». Soit. Mais dans 30 ans, la technologie aura réalisé des progrès phénoménaux et l’industrie automobile sera complètement révolutionnée.
La voiture du futur
À voir tous les constructeurs qui investissent dans la voiture électrique, celle-ci va supplanter, à cette échéance, le véhicule à moteur combustible qui, lui, sera carrément interdit de vente à l’horizon 2040, dans de nombreux pays.
Les très prévoyants Chinois vont imposer dès l’année prochaine aux constructeurs implantés sur leur sol la production d’un quota de voitures électriques et qui sera revu à la hausse avec les progrès qui seront réalisés sur la batterie, le talon d’Achille de la voiture électrique. C’est dire que l’avenir de l’industrie automobile est peut bien être dans la voiture électrique.
Le gouvernement algérien a-t-il prévu quelque chose dans ce sens ? Pas sûr. D’ailleurs, on ne voit aucune trace de la voiture électrique dans le jargon officiel qui se nourrit beaucoup plus des préoccupations prosaïques des Algériens que de projections sur l’avenir.
Que ferait l’Algérie en 2040-2050 des voitures obsolètes roulant avec du carburant issu de la transformation des hydrocarbures, si tant est qu’elle arrivera vraiment à les produire localement, alors que tout le monde ou presque en aurait alors abandonné la production et l’utilisation ? Où exporterait-elle son excédent tel qu’envisagé par les autorités ? C’est le trou noir là aussi. Une chose est sûre, d’ici 20 ou 30 ans, il sera trop tard pour l’Algérie de se donner une industrie automobile digne de ce nom.
Mais avec sa dernière sortie, l’on a la vague impression que M. Yousfi est beaucoup plus dans l’anticipation d’un inévitable avortement de l’ambition (démesurée ?) que s’est donnée le « père » de l’industrie algérienne du montage automobile, à savoir l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb qui, en 2016, tablait sur un taux d’intégration de 40% à l’horizon 2021.
Au vrai, le projet est mal parti dès le départ. Affolées par la chute vertigineuse du baril du pétrole qui frôlait alors les 30 dollars, les autorités ont alors décidé de mettre fin coûte que coûte à la saignée des devises. Et comme les importations automobiles engloutissaient un poste important de dépenses en devises, le gouvernement a d’abord imposé aux concessionnaires des quotas de véhicules à importer avant de contraindre carrément les constructeurs à implanter des unités de montages en Algérie au risque de perdre leurs parts de marchés.
Bien évidemment, l’on a pris le soin d’écarter certains acteurs comme Achaibou (KIA) et Rebrab (Hyundai) de ce juteux marché.
La préoccupation première des autorités algériennes était alors d’enrayer l’érosion des réserves de change qui fondaient comme neige sous soleil plutôt que de doter le pays d’une industrie automobile. Dans le même temps, il en a profité pour redistribuer les cartes sur un marché juteux.
Contraints, les constructeurs et leurs représentants locaux ont adhéré à la nouvelle stratégie que s’est donnée le gouvernement afin de sauvegarder leurs positions sur le deuxième marché africain de ventes automobiles.
Le ticket d’accès n’a pas été facile à obtenir, et il sera encore plus difficile à le garder, eu égard aux conditions contenues dans le cahier des charges du montage automobile, qui exige des constructeurs d’atteindre un taux d’intégration de 40% dans un délai de cinq ans, dans un pays où l’industrie automobile est embryonnaire. Mais l’obstacle n’est pas infranchissable.
Signaux contradictoires
« S’il y a une vraie volonté politique, nous avons besoin de cinq à dix ans pour développer une industrie automobile. Nous avons besoin de trois ans d’apprentissage dans le montage en SKD », explique un spécialiste dans l’industrie automobile. « Le délai donné par Yousfi est trop long. Dans 30 ans, la voiture sera complètement différente de celle que nous connaissons aujourd’hui », explique-t-il.
Pour créer une véritable industrie automobile, le gouvernement doit améliorer son attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers, afin d’attirer les équipementiers automobiles.
« La stratégie qui consiste à ouvrir le marché à toutes les marques n’est pas bonne. Les pays qui ont développé une industrie automobile ont commencé avec une ou deux marques. Parce que dans un marché atomisé entre plusieurs acteurs, cela n’est pas possible. Les équipementiers automobiles qui fabriquent des pièces automobiles pour les constructeurs ont besoin de volumes pour investir dans un pays. Aujourd’hui, les constructeurs s’occupent du moteur, de la boîte à vitesse et de la carrosserie. Le reste des composants d’un véhicule est fabriqué par des sous-traitants », insiste le même spécialiste.
Au lieu de les encourager, le gouvernement multiplie les signaux contradictoires aux opérateurs dans le domaine du montage automobile.
« Il y a quelques mois, il voulait instaurer la TVA sur les véhicules montés localement, un avantage qu’il avait lui-même accordé aux investisseurs. Et puis, il y a des tiraillements au sein du gouvernement sur le nombre de marques à autoriser à installer des usines de montage », déplore notre interlocuteur, qui pointe l’absence de vision de la part du gouvernement dans le domaine de l’automobile.