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La France s’engage enfin à rendre à l’Afrique les œuvres pillées durant le colonialisme : qu’en est-il de l’Algérie ?

La France s’engage enfin à rendre à l’Afrique les œuvres pillées durant le colonialisme : qu’en est-il de l’Algérie ?

La France envisage de restituer à l’Afrique les œuvres artistiques pillées et détournées durant la période coloniale. Lundi 5 février, le président français Emmanuel Macron a chargé l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy et l’écrivaine sénégalaise Felwine Sarr d’étudier la restitution de ces œuvres dont le nombre reste inconnu. « Ces personnalités incontestables devront rendre leur avis d’ici à novembre 2018 », a déclaré Macron, repris par l’AFP.

En novembre 2017, le chef d’État français s’était engagé, lors d’un discours à l’université de Ouagadougou, à rendre aux Africains ce qui leur appartient. « Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens.  Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou, ce sera l’une de mes priorités », a-t-il rassuré.

L’expression « restitutions temporaires » reste ambiguë puisque cela veut dire que la France garde la propriété des objets et biens qu’elle peut prêter aux États d’où ces œuvres ont été pillées.

 « L’entourage du président français l’assure : les restitutions temporaires devraient rapidement débuter. Des musées africains pourraient accueillir des pièces notamment du Quai Branly, d’ici six mois à un an. Une première étape simple et qui semble faire consensus », a précisé Radio France Internationale (RFI).

«L’argument » facile des experts français

Selon la même source, la restitution définitive des œuvres à l’Afrique, « s’avère beaucoup plus complexe à mettre en œuvre ». « Dans l’entourage du chef de l’État, on a parfaitement conscience des enjeux à la fois émotionnels, politiques et patrimoniaux que cela soulève », a ajouté la Radio qui est très écoutée en Afrique francophone.

Des experts français du marché de l’art avancent l’idée que les pays africains ne possèdent pas l’infrastructure muséale nécessaire pour « accueillir » les pièces restituées ni les techniques de conservation et d’exposition. Ce qui est très contestable et qui sert « d’argument » facile pour ne pas rendre ce qui a été pillé pendant presque 100 ans. « Ces propos ont des relents de mépris culturel. Nous voulons une restitution pure et simple de ce qui est à nous », a répondu Aurélien Agbenonci, ministre des Affaires étrangères du Bénin, interviewé par la chaîne TV 5 Monde.

Le Bénin, premier pays africain à élever haut la voix

En juillet 2016, le président béninois Patrice Talon fut le premier chef d’État du continent à exiger publiquement le retour des biens culturels détournés par la France. Le Bénin, qui a sollicité l’Unesco aussi, a parlé de véritables trésors royaux, en partie exposés dans trois musées nationaux en France, comme le fameux trône du Roi du Dahomey. Ce trône a été pillé avec d’autres biens culturels lors des conquêtes coloniales qui ont débuté en novembre 1892 par les troupes menées par le colonel Dodds, décidé à tout rafler. Il s’agit aussi de sceptres royaux, de portes sacrées du Palais d’Abomey et de statues de grande valeur historique.

« Ces œuvres nous appartiennent. C’est un bien national. Ces œuvres sont liées à notre Histoire et à notre culture. C’est un retour vers notre mémoire. Ces trésors royaux sont à nous, doivent revenir à l’endroit d’où ils n’auraient dû jamais être retirés, la terre béninoise », a déclaré Aurélien Agbenonci.

Il a estimé que la France peut engager une procédure de déclassification ou de voter des lois qui permettent de faire sortir ces œuvres détournées d’Afrique du « patrimoine français ». Pour ce faire, Paris doit abandonner les règles de l’inaliénabilité et d’imprescriptibilité des collections publiques. La bataille sera dure.

Irénée Zeyounou, représentante du Bénin à l’Unesco, a confié à l’AFP que de 4500 à 6000 objets culturels béninois sont en France, « y compris dans des collections privées ».  En décembre 2016, le ministère français des Affaires étrangères a déclaré ne pas contester les pillages du passé mais a ajouté que ces œuvres pris au Bénin appartiennent au « patrimoine national français ».

Des œuvres dans « les valises diplomatiques »

Le journal burkinabé Le Pays a rappelé, dans sa dernière édition, l’entreprise de pillage des objets et biens culturels organisé à partir du XVIIIe siècle et durant les conquêtes coloniales en Afrique (mais également en Asie).

« C’est à la faveur de la révolution industrielle que de nombreux Européens, à la recherche de matières premières pour les usines, se retrouvèrent à collecter beaucoup de ces objets pour les envoyer en Europe. Parmi eux, on compte des explorateurs, des commerçants, mais aussi des missionnaires et des administrateurs coloniaux. Par la suite, on assistera à un véritable pillage organisé de ces objets dont beaucoup ont trouvé place dans des musées en Europe ou aux États-Unis par des chemins détournés. Selon les témoignages de spécialistes, certains furent volés dans des musées nationaux africains, d’autres dans des universités ou directement dans des villages, quand ce ne fut pas sur des sites archéologiques », a écrit le journal.

Il a rappelé que même après la vague d’indépendance des pays africains (à partir du début des années 1990) des objets ont continué à quitter l’Afrique « par le canal de valises diplomatiques, de cadeaux faits à des officiels européens en visite en Afrique, entre autres ». Selon Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture, 90% des œuvres d’art classique et ancien africain se trouvent en dehors du continent.

« L’Afrique ne peut avancer si on lui kidnappe son passé »

Continent vidé de son art pendant un siècle, selon le galeriste belgo-congolais, Didier Claes. « Les explorateurs ont rapporté peu de pièces, car les autochtones étaient alors très protecteurs de leurs objets. Mais il y a eu trois grandes vagues de disparition des œuvres d’art par la suite : la première, quand l’administration coloniale décide de mettre fin aux croyances africaines. Beaucoup de pièces ont été brûlées. La deuxième grande vague, c’est celle menée par les pères blancs, les jésuites, qui collectaient avec la complicité de l’administration colonials. Pendant un demi-siècle, entre 1890 et 1930, voire 1940, il y a eu une politique de collecte massive à travers tout le continent. L’administration coloniale rassemblait aussi des pièces pour les musées, comme Tervuren. Enfin, après les indépendances, les marchands arrivent notamment lors des conflits comme la guerre du Biafra (Nigéria) Et ils font sortir les toutes dernières œuvres cachées. On connaît alors une vague de sortie très importante de pièces acquises sur place (…) L’Afrique comme aucune autre civilisation ne peut avancer si on lui kidnappe son passé, sa culture. Or, là, c’est un kidnapping complet ! », a-t-il déclaré au quotidien français Le Monde.

 « La couverture » idéale des guerres civiles

En Afrique, les conflits et les guerres civiles servent souvent de couverture idéale au vol du patrimoine culturel par des bandes organisées qui, parfois, alimentent les violences pour faire fructifier le commerce illégal des œuvres d’arts, vendues dans des marchés parallèles en Europe de l’Est et en Asie.

Des réseaux s’occupent après de « blanchir » ces œuvres en les revendant à prix d’or aux musées des grandes villes européennes et américaines et à des collectionneurs privés bien organisés. Le même système sert actuellement à vider la Syrie, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen des biens culturels, volés à la faveur du chaos qui règne dans ces pays.

Le Musée du Quai Branly, le carrefour des œuvres de l’art africain

Une partie des œuvres et des biens culturels africains et classées dans la catégorie dégradante « d’art primitif » (qui désigne les expressions artistiques non européennes) se retrouve au Musée du Quai Branly à Paris.

Ouvert en juin 2006, cet établissement est également appelé « Musée des arts et des civilisations d’Afrique, d’Océanie et des Amériques ». Il a récupéré une grande partie des collections du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie et du Musée de l’Homme, « alimentés » pendant longtemps par les œuvres et biens ramenés d’Afrique sur plusieurs périodes.

En décembre 2013, le Conseil Représentatif des associations noires de France (CRAN) a organisé une visite dans ce musée pour montrer et lever le voile sur les œuvres d’art africain qui ont fait l’objet de pillage colonial. Le CRAN, qui mène une campagne au sein de l’Unesco et du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, exige que les trésors africains pillés pendant la colonisation soient rendus aux pays d’origine.

Quel sort pour le canon Baba Merzoug d’Alger ?

Des milliers de pièces de patrimoine culturel et traditionnel (masques, statuettes, œuvres d’art, tissages, pierres, instruments, bijoux) ont été pillés par les forces d’occupation britanniques, allemandes, portugaises, françaises, espagnoles et hollandaises en Afrique.

Qu’en est-il de l’Algérie ? Plusieurs historiens ont parlé de scènes de pillages durant les conquêtes coloniales espagnoles et françaises surtout dans les villes. Le roi français Charles X a envoyé ses troupes commandées par le Maréchal de Bourmont avec le mot d’ordre de voler les trésors de la Régence d’Alger à partir de 1830.

Ainsi, plus de 500 millions de francs de l’époque (l’équivalent de 5 milliards d’euros d’aujourd’hui) ont été dérobés de Beit El Mal de la Casbah d’Alger (qui sera détruite une douzaine d’année après) où étaient déposés des pièces d’or et d’argent, de bijoux et d’autres objets précieux.

Le Français Pierre Péan a livré des détails sur ce « pillage massif » dans son ouvrage « Main basse sur Alger » (paru à Alger aux éditions Chihab en 2005). Des œuvres d’art, des statues, des toiles, des tapis et d’autres biens culturels ont été dérobés dans les palais des Dey, des Bey et des grandes familles à Alger, Constantine, Blida, Oran, Tlemcen, Béjaïa, etc.

Le canon Baba Merzoug, réclamé par des associations algériennes, est l’une des œuvres les plus connues d’Alger, que la France refuse de restituer. Dans les expéditions coloniales du Sud algérien, des milliers de pièces archéologiques (gravures rupestres notamment) ont disparu de l’Ahaggar et du Tassili N’Ajjer. Maintenant qu’il existe une volonté politique française de restituer les œuvres d’art pillées et une dynamique africaine de rapatrier ce qui a été volé, l’Algérie va-t-elle réclamer à la France ses nombreux biens et ses œuvres culturels ? Va-t-elle établir un inventaire de tout ce qui doit être rapatrié comme trésors culturels ? Jusque-là, Alger mène avec beaucoup de mollesse les discussions pour récupérer les archives et les cranes des anciens résistants. Difficile de prévoir la suite pour le dossier des biens culturels à restituer.

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