
C’est une vraie nouveauté et elle est bienvenue. Les Lois de finances, depuis l’année dernière, ne nous parlent plus seulement des recettes et des dépenses de l’État pour l’année concernée.
Elles adoptent également, sous la forme d’une loi votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République, une « trajectoire triennale » qui traduit la stratégie financière adoptée par l’État pour les trois années à venir.
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Une démarche saluée par le FMI
But : éliminer progressivement le déficit interne, c’est-à-dire celui des finances publiques, et le déficit externe, celui de la balance des paiements.
L’exercice inaugural, celui de l’année dernière, n’était pas passé inaperçu. Il a été donné en exemple aux pays de la région par la Directrice générale du Fonds monétaire international en personne. Même si, on peut le rappeler, les experts du FMI avaient jugé « trop abrupte » la réduction des déficits en recommandant une démarche « moins risquée pour la croissance ».
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Le projet de Loi de finances pour 2018 confirme cette règle de conduite, toute fraîche, qui vise en principe non seulement à donner plus de « visibilité » à la démarche des pouvoirs publics mais également à définir des objectifs à atteindre au prix d’une plus grande discipline budgétaire ou d’une réduction des importations.
Une meilleure visibilité pour la balance des paiements
La nouvelle trajectoire 2018 – 2020 a été dévoilée voici à peine 48 heures. Premier enseignement : le problème le plus urgent pour notre pays se situe du côté de la soutenabilité des finances publiques internes et non pas de celui des équilibres financiers extérieurs.
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La balance des paiements de notre pays se porte en effet nettement mieux. Après le déficit colossal de 35 milliards de dollars enregistré en 2015 et celui de 2016 qui se situait à près de 30 milliards, l’année 2017 devrait se terminer avec un déficit réduit à 17 milliards de dollars.
La trajectoire 2018 – 2020 programme le retour par étapes à une situation de quasi-équilibre à moyen terme avec un déficit de la balance des paiements, réduit à 12 milliards de dollars dès l’année prochaine. Il passera à 5,5 milliards en 2019 avant d’atteindre 3,5 milliards en 2020.
Les hypothèses pour un tel rétablissement des finances externes semblent assez plausibles avec un baril de pétrole estimé, de façon relativement conservatoire, à 50 dollars l’année prochaine et 55 dollars au cours des deux années suivantes. L’autre hypothèse est celle d’une réduction, en réalité très modérée, des importations qui devraient reculer d’un peu plus de 1 milliard de dollars chaque année d’ici 2020 pour atteindre près de 41 milliards de dollars à cette date.
Dans ce cas de figure, même si la promesse de réserves de change « au-dessus de la barre des 100 milliards de dollars » a été abandonnée en chemin, ces dernières pourraient encore s’élever à plus de 76 milliards de dollars en 2020 dans une situation de quasi-disparition du déficit de la balance des paiements qui donnerait beaucoup plus de visibilité à nos équilibres financiers externes.
Une démarche « vertueuse » de réduction du déficit depuis 2016
Dans le cas des finances publiques, les choses sont très loin de se présenter de façon aussi favorable. La première trajectoire budgétaire avait défini une démarche « vertueuse » de réduction rapide des déficits abyssaux dans lesquels la chute des prix pétroliers avait plongé le budget de l’État. Un objectif qui semblait atteint jusqu’au début de l’été dernier. C’est ce que vient de constater, il y a à peine deux jours le ministre des Finances devant les députés.
« Le déficit du Trésor a reculé à près de 380 milliards de dinars fin juin 2017 contre 1.769 milliards de dinars durant la même période de l’année 2016 », a indiqué M. Raouia, imputant ces résultats à une augmentation des recettes et un recul des dépenses.
Malheureusement cette démarche de réduction accélérée des déficits semble avoir provoqué un risque d’« arrêt cardiaque », selon l’expression du premier ministre. Plus précisément, elle semble avoir été obtenue au prix d’une accumulation des arriérés de paiements dus aux entreprises clientes de l’État.
Relance des dépenses et gonflement du déficit au menu en 2018
À la fin de l’été dernier, le gouvernement Ouyahia décide donc d’opérer un virage à 180 degrés pour éviter cet « arrêt ». Le projet de Loi de finances pour 2018 prévoit des dépenses budgétaires en très forte hausse par rapport à l’année 2017. Ces dépenses devraient s’élever l’année prochaine à plus de 8 600 milliards de dinars (plus 21%). Ce qui provoquera également un gonflement du déficit budgétaire programmé, à 2 100 milliards de dinars.
Les dépenses d’équipement en particulier vont connaître une augmentation spectaculaire de 60%, tandis que les dépenses de fonctionnement seront complètement stabilisées. Pour le ministre des Finances qui tentait de justifier ce choix devant les députés de la Commission des finances, « la situation nécessite le maintien d’un niveau acceptable de croissance en vue de garantir une prise en charge adéquate de la demande sociale et la création de suffisamment d’offres d’emploi, toute en garantissant un service public convenable ».
Un retour à la discipline budgétaire en 2019 ?
La stratégie de réduction des déficits est donc renvoyée à des jours meilleurs. Le gouvernement promet un retour à la discipline budgétaire dès 2019 avec des dépenses qui devraient être réduites à 7 500 milliards de dinars en 2019 et 7 300 milliards en 2020.
Ce sont les dépenses d’équipement qui devraient faire les frais de cette nouvelle cure d’austérité avec une réduction de 30% en 2019 et de nouveau de 7% en 2020. Le déficit du trésor public devrait dans ces conditions connaître une « tendance baissière » pour atteindre 55 petits milliards de dinars seulement en 2019.
Des prévisions qui, compte tenu du sort réservé à la première version de la trajectoire budgétaire, ne peuvent pas manquer de provoquer un certain scepticisme, de surcroît dans un contexte qui sera, en 2019, celui d’une échéance politique majeure et sensible, à savoir la présidentielle.
Une première évaluation précise des besoins de financements
Par ailleurs, le gouvernement répond pour la première fois avec précision à la question sur la durée et la dimension du recours au financement non conventionnel au cours des prochaines années. Les besoins en financement sont estimés, selon M. Raouia, à 570 milliards de dinars en 2017, 1 815 milliards de dinars en 2018 et 580 milliards de dinars en 2019. Pour l’année 2020, « le trésor public ne devrait pas recourir à une quelconque forme de financement en raison du faible déficit devant être enregistré ».
Sur l’ensemble de la période 2017 -2019, c’est donc près de 3 000 milliards de dinars ( environ 26 milliards de dollars) qui devraient être fournis par la Banque d’Algérie pour financer le déficit budgétaire.
Une question de crédibilité
Le nouveau virage économique opéré au cours de l’été dernier, auquel s’ajoute le recours très peu orthodoxe au financement non conventionnel, ont de fortes chances de confirmer la réputation d’« imprévisibilité » de la gouvernance économique de notre pays.
Dans une contribution récente un ex-membre de la task force de Abdelmalek Sellal soulignait : « La crédibilité d’une trajectoire de redressement budgétaire, surtout lorsque le déficit est financé par de la création monétaire, repose en premier lieu sur la transparence et la communication tant auprès de la population et des opérateurs économiques et financiers domestiques, qu’auprès des partenaires étrangers ».
On pourrait ajouter qu’avec la publication de la nouvelle trajectoire 2018-2020, la partie transparence du programme est globalement réalisée. Malheureusement, il ne suffit pas d’afficher des objectifs. Il faut aussi s’y tenir et s’efforcer de les réaliser même si les conditions ne sont pas complètement favorables. Ce devrait être l’un des enjeux principaux de la conduite de nos affaires économiques au cours des prochaines années. Juste une question de crédibilité.