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L’actrice Adila Bendimerad nous parle de son engagement dans le mouvement populaire

L’actrice Adila Bendimerad nous parle de son engagement dans le mouvement populaire

Source : facebook.com/adila.bendimerad

Comment avez-vous vécu les marches citoyennes du 22 février ?

Le 22 février, j’ai marché avec mes amis. On était une marée à marcher de Belouizdad à la Place du 1er mai. Franchement, je l’ai vécu comme un accouchement, parce qu’on n’a pas arrêté, ce 22 février, de marcher et de scander. J’étais avec des amis comédiens et on ne s’était pas parlé pendant 3h30, tellement on était pris dans le mouvement de la marche. On n’avait tout simplement pas le temps de se regarder. Personnellement, je vois ce qu’il se passe depuis le 22 février comme un enclenchement d’un truc cosmique, un tremblement de terre, un tsunami, comme une vraie force de la nature.

Depuis, vous n’avez pas raté un seul vendredi ?

Non, parce que je sens tout cela comme un vrai déchainement de la nature, quelque chose qui ne va pas s’épuiser parce que ça rentre dans un cycle de changement. C’est pour cela que je ne pense pas qu’il y ait une idée d’épuisement (du mouvement) en tout cas ce n’est pas pour maintenant !

Et qu’avez-vous pensé du comportement des marcheurs ?

Le 22 février, il y a eu beaucoup moins de femmes, il faut le dire. Nous étions très peu nombreuses. La semaine d’après, nous étions un peu plus nombreuses. Heureusement que le calendrier était avec nous, avec la journée du 8 mars, ce qui a été assez déterminant. Il y a eu toutes ces femmes qui sont sorties toutes aussi belles. C’était vraiment génial. Au début, j’ai senti un manque de mixité mais j’ai vu aussi qu’il y avait toutes sortes de gens, de toutes catégories et de tous âges, qui n’avaient pas l’habitude de se rencontrer dans un même espace. J’ai trouvé que c’était intergénérationnel.

On en est au 6e vendredi, et la foule s’est toujours comportée de manière pacifique, saluée par le monde entier…

Toujours aussi pacifique oui, parce que nous avons tous intérêt et qu’on est tous ensemble pour un même objectif. Sauf qu’hier (vendredi) je suis passée auprès du carré des féministes, j’ai entendu ‘silmya, silmya’, j’ai tout de suite compris qu’il y avait un problème. Je suis entrée dans le carré des féministes et je suis arrivée à un moment où un jeune homme sautait sur une jeune fille pour lui arracher une pancarte sur lequel était écrit ‘’les femmes ont le droit à l’égalité’’.

Cela a été extrêmement violent et les filles ont été insultées. À mon arrivée je n’ai même pas réfléchi et je suis vite intervenue pour repousser et calmer les jeunes hommes. Ils ont cru que je faisais partie des organisatrices, alors que non et je leur ai dit : ‘’je suis quand même une femme et vous des hommes de ce pays !’. Et ça a duré très longtemps et ça n’a pas voulu se calmer. On a dit aux jeunes filles que le temps n’était pas pour les revendications en faveur des droits des femmes. Quant à moi, je leur demandais en quoi cela pouvait-il les gêner dès lors qu’elles sont contre la hogra, chose qui nous a fait tous sortir.

Pourquoi vouloir réprimer et prendre le pouvoir sur leurs choix ? Je leur ai dit : ‘’puisque cela n’était pas aussi grave pourquoi tant de violence et pourquoi ça dure ?’’ Il y avait aussi des femmes qui criaient avec ces hommes, on jetait même de l’eau et certains ont jeté sur nous du cachir en disant que c’était le pouvoir qui nous avait envoyées, que c’était le FLN et que Bouteflika a tout donné aux femmes qui n’ont, aujourd’hui, plus le droit revendiquer quoi que ce soit.

Que faut-il faire dans ce cas ?

Le fait est que l’incident a duré longtemps et ne s’est pas réglé une minute ; ensuite toutes ces insultes envers les femmes…il ne faut pas faire que comme si ça n’a pas existé. Ne pas être d’accord avec certains slogans n’excuse en rien ces violences. Et puis, on ne peut pas construire un pays en disant ‘’il faut un homme qui nous représente…etc’. Plutôt, écoutons les problèmes des gens, leurs particularités qui touchent à leur liberté individuelle et collective.

Et c’est en alertant sur ces problèmes, qu’on peut trouver des solutions et faire des propositions en toute liberté, qu’on peut protéger les minorités, puisque si c’est pour écraser les plus faibles, on n’a rien fait, et il ne sert à rien de sortir. On reprochait à ces filles de diviser. C’est-à-dire quand des gens expriment leur sentiment de hogra on leur dit : ’’taisez-vous, vous divisez’’ ? Non ça ne doit pas diviser.

La révolution c’est la liberté et on se doit de porter toutes les expressions de chacun et de chacune et surtout si ces revendications aspirent à légalité et à la liberté. Il faut s’éloigner de ce comportement hégémonique qui écrase et ne pas avoir honte de toutes ces différences et des différentes revendications et écouter les plus petites catégories.

C’est le sentiment d’être opprimé, d’ailleurs, qui a fait sortir le peuple et qu’on n’a pas écouté. Ce qui s’est passé hier doit être pris en compte sans peur ni crainte de diviser. Et dire aux gens qui pensent que ce n’est pas encore le moment de parler de ces sujets, qu’au contraire il va falloir trouver les moyens de travailler sur ces sujets dès maintenant. Parce qu’il n’y aura de liberté ni de démocratie sans ça.

Vous avez été l’initiatrice de rencontres en plein air regroupant des artistes et différentes couches de la société pour parler des problèmes de l’heure. Comment vous est venue cette idée ?

Dès le deuxième vendredi et voyant qu’il n’y avait pas de réponse de la part du pouvoir et n’ayant aucune connaissance sur certains concepts, j’ai voulu m’organiser avec des artistes constitués d’abord de mon premier cercle d’amis et de camarades que je connais et avec qui je pouvais échanger pour apprendre. Car c’est de cela dont il s’agit. Personnellement, j’apprends chaque jour en écoutant les gens parler.

Et donc, j’ai appelé Wassila Tamzali en lui disant : « je ne sais pas à quel endroit on pourrait se réunir ». Elle m’a dit : « mais il n’y a pas d’endroit clandestin à avoir, tu as l’habitude de faire du théâtre de rue, et bien il faut le faire dans la rue ». Je lui ai répondu : ‘’écoute, c’est très bien, c’est le lieu où je me sens le mieux’, surtout que je faisais du théâtre de rue depuis dix ans sans autorisation. On a toujours fait exprès de ne pas demander d’autorisation, prendre l’espace et de surgir comme ça au milieu de passants et des citoyens. J’aime le fait que les gens se battent pour faire monter leur voix.

Pour vous l’implication des artistes est fondamentale ?

L’enjeu, pour moi, c’est libérer la censure, casser cette pensée unique et faire en sorte de convaincre les autres de dire ce qu’ils pensent, chacun de son côté quand bien même ce ne soit pas comme ce pense la majorité. Aujourd’hui, les artistes doivent continuer à soutenir le citoyen et lui dire : « tu peux dire : Je pense, J’ai l’impression, J’imagine que ». Car, aujourd’hui, il va falloir faire preuve de beaucoup d’imagination.

Un rêve pour l’Algérie de demain ?

C’est de me réveiller le matin, sortir dans mon pays ne pas avoir l’impression d’être jugée, que ma façon de vivre à moi ou à l’autre ne soit pas une entrave mais une vraie force.

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