Économie

L’Algérie déclare la guerre économique au Maroc

Les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc sont rompues depuis le 24 août dernier. Cette décision extrême avait été prise par Alger suite à une série d’ « actes hostiles » et de « provocations » de son voisin. Outre cette réponse politique, l’Algérie dispose aussi de leviers économiques qu’elle n’a pas hésité à actionner.

Bien que les échanges entre les deux pays ne soient pas ce qu’ils devraient être entre les deux plus grandes économies du Maghreb, ils ne sont pas totalement inexistants. L’Algérie est même le deuxième partenaire africain du Maroc, derrière l’Égypte.

Le total des échanges était estimé en 2020 à 5.3 milliards de dirhams (580 millions de dollars), selon l’Office marocain des changes. En 2016, alors que l’Algérie était encore le premier partenaire africain du Maroc, les échanges étaient de près de 800 millions de dollars.

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L’Algérie a la possibilité d’agir aussi sur d’autres segments, pas nécessairement et exclusivement sur les échanges. Comme elle vient de le faire sur le transport aérien marocain.

Mercredi 22 septembre, le Haut conseil de sécurité (HCS) a décidé de fermer l’espace aérien algérien au Maroc. La mesure concerne tous les avions civils et militaires marocains, ainsi que ceux enregistrés dans ce pays. Ce cran supplémentaire dans la réaction de l’Algérie fait suite à la persistance des agissements de certains diplomates marocains, même après la rupture des relations diplomatiques.

Une source de la compagnie aérienne marocaine, la Royal Air Maroc, citée par la radio tunisienne Mosaïque FM, a indiqué que 15 de ses vols hebdomadaires seront concernés et devront changer de plan de vol en survolant la Méditerranée pour contourner l’espace aérien algérien. Ces vols relient les villes marocaines à des aéroports égyptiens, tunisiens et turcs.

Des contrats douteux résiliés

La source de la RAM qualifie l’incidence de la décision algérienne  d’ « insignifiante », proportionnellement au volume global des vols de la compagnie, mais il ne s’agit que d’une étape supplémentaire des rétorsions économiques que l’Algérie a choisi de mettre en œuvre en réplique aux agissements politiques de son voisin. Et surtout, le trafic aérien mondial n’a pas encore repris son volume d’avant la pandémie de covid-19.

L’évaluation de la RAM est donc à prendre avec des pincettes. La décision algérienne pourrait impacter un secteur clé de l’économie marocaine : le tourisme. En rallongeant la durée de ses vols, la RAM va consommer plus de carburants et sera obligée de répercuter le coût sur les prix de ses billets.

Avant les événements de cet été, il y a eu régulièrement des campagnes « hostiles » à l’Algérie dans la presse marocaine et même parfois des « accusations fallacieuses », comme celle de la présence d’éléments du Hezbollah dans les camps des réfugiés de Tindouf, proférée en 2018 déjà.

En mars dernier, une opération de déminage menée par les autorités marocaines dans le but d’empiéter davantage sur le territoire algérien, avait amené l’Algérie à reprendre les terrains de la région frontalière d’El Feguig, précédemment laissés aux paysans marocains pour des raisons humanitaires après les accords de délimitation des frontières.

Fin avril, le président de la République Abdelmadjid Tebboune a mis en garde certaines entreprises nationales ayant des partenariats avec des entités marocaines, sans citer ce pays. « Ces relations, engagées sans concertation, se traduisent –on peut s’en douter- par la mise à la disposition d’entités étrangères de données et d’informations sensibles qui peuvent porter atteinte aux intérêts vitaux du pays et à sa sécurité », avait écrit le chef de l’État, instruisant la résiliation « sur le champ » de ces contrats.

Trois grandes entreprises, l’opérateur de téléphonie Djezzy et deux assureurs publics, la SAA et la CAAR, étaient nommément citées dans l’instruction présidentielle.

GME et frontière terrestre fermée : des coups durs pour le Maroc

Plus récemment,  le 7 septembre, l’Algérie a mis fin au suspense concernant le sort du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui alimente l’Espagne et le Portugal en gaz algérien via le Maroc. Elle a décidé de ne pas renouveler le contrat qui expire le 31 octobre prochain. Un coup très dur pour le royaume qui tire chaque année du GME 700 millions de mètres cubes de gaz pour ses centrales électriques en plus d’un droit de passage de 58 millions d’euros.

L’Algérie avait précédemment pris ses dispositions en créant une jonction avec le Medgaz qui relie directement les territoires algérien et espagnol sans passer par le Maroc. Le 26 août, le ministre algérien de l’Énergie, Mohamed Arkab avait assuré l’ambassadeur d’Espagne de « l’engagement total de l’Algérie de couvrir l’ensemble des approvisionnements de l’Espagne en gaz naturel à travers le Medgaz ».

La décision de l’Algérie fait suite aux manœuvres du Maroc d’utiliser l’arme du gaz pour affaiblir son voisin de l’est, sachant le poids de l’exportation du gaz naturel vers l’Espagne, dans son économie. Mais l’Algérie avait anticipé une éventuelle volteface marocaine, en renforçant les capacités du Medgaz.

La fermeture de la frontière entre les deux pays, décidée par l’Algérie en 1994, est une autre forme de réplique économique à un acte politique hostile. Cette année-là, le Maroc avait imposé le visa d’entrée aux Algériens et aux Français d’origine algérienne suite à un attentat terroriste perpétré à Marrakech et l’Algérie a répliqué par la fermeture de la frontière qui n’est toujours pas rouverte 27 ans après.

De toutes les décisions de l’Algérie, c’est celle qui a le plus coûté au royaume. Avant 1994, environ 1,5 million d’Algériens se rendaient chaque année au Maroc, constituant la moitié des touristes qui visitaient ce pays. Pour toute la bande frontalière du côté marocain, les conséquences étaient et demeurent désastreuses pour la population et ce n’est pas pour rien que le Maroc insiste tant pour la réouverture de la frontière. La dernière supplique en date est celle du roi Mohamed VI dans son discours à l’occasion de la Fête du trône, le 31 juillet dernier.

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