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L’allocation touristique : 115 euros par Algérien, symbole d’une réglementation fortement conservatrice

L’allocation touristique : 115 euros par Algérien, symbole d’une réglementation fortement conservatrice

Après un ramadan éprouvant, surtout pour les finances, les regards de beaucoup d’Algériens se tournent vers la préparation des vacances d’été. Dans ce domaine, pas beaucoup de bonnes nouvelles. C’est même le moins que l’on puisse dire. Le taux de change des devises sur le marché parallèle s’est stabilisé au-dessus de 190 dinars pour un euro et bat même ces derniers jours des records historiques à plus de 193 dinars.

 

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Un niveau qui le rend désormais inaccessible pour un nombre croissant d’Algériens. Dans le même temps, les projets d’augmentation de l’allocation touristique semblent avoir été définitivement rangés dans les tiroirs depuis la chute des cours pétroliers et l’arrivée aux responsabilités d’une nouvelle équipe de grands argentiers.

Les Algériens qui ont décidé de voyager à l’étranger doivent se contenter d’une allocation « touristique » de  115 euros. La contre-valeur de 15.000 DA échangés par les banques à un taux  fixé ces derniers jours à 130 dinars pour un euro (123 pour les transactions commerciales). Un montant dérisoire quand on sait que nos voisins tunisiens et marocains, dont les réserves de change en devises ne dépassent pas quelques mois d’importation, accordent à leurs citoyens un droit au change annuel  respectivement de 3000 et 3500 euros. Ils ont en outre la faculté de cumuler ce montant sur deux ans ou de le fractionner pour plusieurs sorties.

Une réglementation fortement conservatrice

En dépit des déclarations pompeuses des responsables de la Banque d’Algérie sur la poursuite du  « processus de mise en convertibilité du dinar », la réglementation algérienne en matière de  change au profit des particuliers reste désespérément conservatrice. Elle prévoit trois principaux  cas de transfert .

Il s’agit, outre l’allocation touristique fixée à la contre-valeur de 15.000 DA par an, d’un droit de change au profit des nationaux résidents poursuivant une scolarité à l’étranger. Son montant a été fixé depuis 1996 à 7500 dinars (70 euros) maximum par mois .

Une autre instruction de la Banque d’Algérie a institué, en 1997, un droit de change pour soins à l’étranger fixé à la contre-valeur en devises d’un montant maximum de 120.000 dinars par année civile, soit un peu plus de 900 euros au taux de change actuel.

Dans ces deux derniers cas également, la comparaison avec les pays voisins est accablante. Les citoyens tunisiens par exemple peuvent disposer d’un droit au change pour frais de scolarité à l’étranger qui dépassent 400 euros par mois, sans compter les frais d’inscription pour lesquels la réglementation leur accorde plus de 500 Euros.

Un peu moins de 2 millions de « bénéficiaires ».

Les droits au change plus que modestes accordés par la Banque d’Algérie ont pourtant un coût. Ils sont restés stables au cours des dernières années et ont atteint un peu plus de 231 millions de dollars en 2014 et 2015, contre 220 millions de dollars en 2013 et 236 millions en 2012, selon des données de la Banque centrale  .

Pour l’année 2015, le gros de ces droits de change concerne l’allocation touristique avec plus de 206 millions de dollars, 19 millions de dollars pour les frais de scolarité et environ 6 millions de dollars pour soins médicaux. Le nombre de « bénéficiaires » de l’allocation touristique est donc également resté stable et s’élève à un peu moins de 2 millions d’Algériens chaque année .

L’augmentation du montant de l’allocation touristique est pourtant dans l’air depuis plusieurs années. Au début de l’année 2013, déjà, différentes sources confirmaient qu’un projet à l’étude, à l’époque, à la Banque d’Algérie envisageait une augmentation qui porterait l’allocation annuelle à « un niveau d’au moins 500 euros ».

Le tandem Laksaci – Benkhalfa pour une augmentation

Dès le deuxième semestre 2013, ces espoirs étaient déçus et les premiers signes de détérioration de nos équilibres financiers extérieurs avaient conduit le ministre des Finances d’alors, Karim Djoudi, à annoncer que la mesure n’était "pas à l’ordre du jour"   .

Deux ans plus tard, en 2015, la nomination de M. Abderrahmane Benkhalfa au ministère des Finances avait également suscité quelques espoirs. Quelques mois avant son entrée en fonction, il proposait, en dépit de la chute déjà importante des prix du baril, que l’ « allocation touristique au profit des Algériens se rendant à l’étranger soit portée à 1.000 dollars ».

Avec prudence et en bon connaisseur des centres de décisions nationaux, M. Benkhalfa, qui estimait l’impact financier d’une telle mesure à environ 1,5 milliard de dollars par an, précisait que ce seuil pourrait contenir une "clause de sauvegarde", à réviser chaque année, si la situation financière du pays se dégradait. C’était également, dans des termes pratiquement identiques, la vision prônée au printemps 2015 devant les parlementaires par M .Laksaci. Apparemment le  tandem responsable de la gestion des finances du pays semblait sur la même longueur d’onde.

Victime de la chute du baril

On connaît la suite. La chute des cours du baril, qui a débuté en juin 2014, s’est accélérée au cours de l’année 2015 et poursuivie jusqu’à la fin 2016. Le couple Laksaci–Benkhalfa n’a pas résisté à cette tourmente et les projets d’augmentation de l’allocation touristique non plus .

En avril dernier, Mohamed Loukal, qui répondait aux membres du Conseil de la nation, assurait à son tour que la revalorisation du montant de l’allocation touristique n’était « pas à l’ordre du jour ». Le gouverneur de la Banque d’Algérie ajoutait que l’augmentation de l’allocation touristique , demandée par un membre du Conseil de la nation, ne constituait « pas une priorité pour les autorités financières algériennes, notamment dans ce contexte économique actuel ». Selon lui, « en prenant en compte les 4 millions de détenteurs de passeports biométriques, une simple opération arithmétique renseignerait sur le montant de devises à mobiliser en cas d’une revalorisation de l’allocation touristique ».

« Il n’est pas question d’alimenter les économies étrangères des pays destinataires des touristes algériens alors que l’économie nationale a le plus besoin de ces devises« , soutenait encore le Gouverneur de la Banque d’Algérie. M. Loukal expliquait également que la (ré)ouverture des bureaux de change constituerait  « une mesure prématurée car l’Algérie ne connaît pas une intense activité touristique et le dinar n’est pas convertible ».

Convertibilité : deux économies et deux dinars

 En dépit des apparences, cette démarche excessivement « prudente » n’est pourtant qu’une vision à courte vue. Beaucoup de Think tanks et d’experts nationaux se sont exprimés au cours des dernières années en faveur d’une restauration de l’homogénéité de l’économie algérienne fortement compromise aujourd’hui par une situation ou coexistent  « deux économies, deux dinars et deux pratiques ».

En offrant une allocation touristique digne et en facilitant le transfert de devises pour le paiement de soins et des études « on devrait faire baisser la pression sur le marché informel de la devise en faisant sortir la masse des petits porteurs de ce marché », soutiennent de nombreux spécialistes. Un premier pas en direction d’une « reprise en main de la valeur de la monnaie nationale » qui mériterait certainement de figurer au menu du « nouveau modèle économique » dont la mise en œuvre est confirmée par le plan d’action du gouvernement Tebboune.

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