
La valeur du dinar divise. Début juillet, c’est à une sorte de duel à distance sur le thème de la dévaluation du dinar que se sont livrés l’actuel Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, et son prédécesseur Mohamed Laksaci. Ce duel, très policé, a été arbitré par un universitaire algérien, le professeur Nour Meddahi de la Toulouse School of Economics.
Le cadre est celui de l’École supérieure de Banque (ESB) de Bouzareah qui a accueilli un séminaire international avec des invités très prestigieux venus des plus grandes universités et même le prix Nobel d’économie 2014, Jean Tirole. C’est Mohamed Loukal qui ouvre le bal dans une brève allocution au cours de laquelle il déclare : « Face à la détérioration des fondamentaux de l’économie nationale, la Banque d’Algérie a procédé à une dépréciation du taux de change du dinar vis-à-vis du dollar de près de 20%. Le taux de change a donc joué dans une large mesure son rôle d’amortisseur et de première ligne de défense ».
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Ce que le nouveau locataire de la Villa Joly ne précise pas clairement, et qui a pu prêté à une certaine confusion, c’est que la dévaluation du dinar à laquelle il fait allusion s’est déroulée entre 2014 et 2016, c’est-à-dire avant son arrivée à la Banque d’Algérie qui a coïncidé, au contraire, avec une stabilisation de la valeur officielle du dinar depuis un peu plus d’une année .
Deux jours plus tard, Mohamed Laksaci, dans une communication très touffue prononcée au séminaire de l’ESB, répond à son successeur. Il affirme notamment que les « coussins de sécurité constitués au cours des années 2001 à 2014, tels que le Fonds de régulation des recettes, les réserves de change et la liquidité des banques ont subi une érosion rapide au cours des deux dernières années ». Pour M .Laksaci les choses sont claires : « La flexibilité du taux de change doit demeurer l’instrument de premier plan dans cette conjoncture d’incertitude liée au secteur des hydrocarbures ».
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L’ancien Gouverneur assume donc complètement la dévaluation opérée entre 2014 et 2016. Il soutient même qu’elle doit se poursuivre et demeurer « l’instrument de premier plan » dans la période actuelle, en critiquant ainsi ouvertement, dans ce qui est sa première intervention publique depuis son « limogeage », la gestion du taux de change du dinar par la Banque d’Algérie sous l’égide de son successeur.
Chute du baril : le dinar a payé la facture
Résumé des épisodes précédents. Juin 2014 – Juin 2016 : deux années de crise des marchés pétroliers et de baisse ininterrompue des cours du baril. Le dinar a payé la facture. Beaucoup d’estimations, pas toujours très précises ni très rigoureuses, ont circulé à propos de l’ampleur de la dévaluation du dinar depuis le début de la chute des prix pétroliers.
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Le professeur Nour Meddahi refaisait les calculs voici environ une année :« Entre fin juin 2014 et fin mai 2016, le dinar a baissé par rapport au dollar américain de 28%. La baisse par rapport à l’euro est par contre plus faible : 13,2% pour le dinar, alors que le prix du pétrole a baissé de 55% ». Il s’agit d’« un ajustement nécessaire suite à l’effondrement du prix du pétrole. La Banque d’Algérie a fait convenablement son travail en baissant la valeur du dinar ».
Le dinar stabilisé depuis juin 2016
Le changement de décor est complet depuis le milieu de l’année dernière. Depuis son entrée en fonction intervenue en juin 2016, Mohamed Loukal a totalement stabilisé, voire légèrement amélioré, la valeur officielle du dinar en prenant, au passage, complètement à contre pied les recommandations des institutions financières internationales.
Après le limogeage du tandem Laksaci – Benkhalfa, les nouveaux responsables de la politique monétaire ont bien reçu le message, venu manifestement des « plus hautes autorités du pays », qui consiste à cesser de considérer le dinar comme « une variable d’ajustement » et à aller chercher ailleurs que dans la dévaluation de la monnaie nationale les moyens de combler un déficit des finances publiques qui restera très important en 2016 et 2017 .
« La courbe de variation du dinar est pratiquement plate depuis une année alors que les autres monnaies fluctuent au gré de la variation du baril où de la force du dollar. Ce n’est pas bon pour le dinar et l’économie du pays. Le rattrapage sera brutal », avertissait le professeur Meddahi déjà au début de l’année. Il est revenu à la charge le 5 juillet dernier : « En nominal, la valeur du dinar n’a pas bougé depuis un an, alors que l’inflation a atteint les 7 points. En termes réels, cela correspond donc à une réévaluation du dinar ».
Pour l’universitaire algérien, « la Banque d’Algérie aurait dû continuer à dévaluer le dinar. Il ajoute que même si la dévaluation du dinar aura certainement pour effet d’augmenter les prix, il s’agit d’une mesure nécessaire pour préserver l’économie du pays ».
En 2017, le dinar fait le grand écart
On connait ou du moins on devine la suite de ce feuilleton financier. En maintenant artificiellement un « dinar fort », la nouvelle gestion de la valeur de la monnaie nationale, inaugurée en juin 2016, risque de se révéler périlleuse à moyen terme. La stabilisation de sa valeur officielle n’a pas empêché, en effet, le dinar de continuer à plonger de façon inquiétante sur le marché parallèle ou il atteint actuellement des niveaux supérieurs à 193 dinars pour un euro.
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Le « différentiel » entre les deux taux, officiel et parallèle, atteint désormais des niveaux records proche de 60% alors qu’il était encore de 50% voici un an. La tendance devrait se poursuivre d’ici la fin de 2017 et le dinar va faire cette année le « grand écart ». On s’attend généralement à ce que la barre des 200 dinars pour un euro soit franchie d’ici la fin de l’année.
Notre pays s’installe ainsi de façon croissante dans une situation ou coexistent « deux monnaies et deux économies ». C’est la perspective d’une véritable « reprise en main de la valeur de la monnaie nationale grâce à la convergence des taux de change officiel et parallèle », et leur unification, à titre d’objectif, qui s’éloigne un peu plus .