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L’époque Boumediène vue par un jeune algérien

L’époque Boumediène vue par un jeune algérien

DOSSIER SPÉCIAL – Houari Boumediène n’était pas un saint. On ne fait pas de coup d’État et on n’accède pas ainsi au pouvoir en gardant les mains propres, c’est une impossibilité historique. Les assassinats politiques, les disparitions, la démocratie piétinée, les libertés politiques et syndicales écrasées… La liste des péchés présumés ou avérés est longue, bien trop longue pour l’auteur de ces lignes qui n’a pas vécu la période Boumediène et qui ne pourra jamais assez se documenter sur cette période.

Et pourtant, malgré ses torts, la fascination pour Houari Boumediène et son legs demeure profondément ancrée dans l’imaginaire collectif. Comment expliquer ce paradoxe dans lequel des défenseurs de la démocratie et des libertés se retrouvent inexorablement fascinés par le personnage ? Qu’est ce qui peut expliquer que la période Boumediène continue d’être vécue sous le prisme du « c’était mieux avant » ?

Comprendre la nostalgie de la période Boumediène ne peut se faire sans regarder ce qui a précédé, mais surtout ce qui a suivi durant les décennies après sa mort. Ceci doit aussi et surtout être fait à travers le regard du peuple, cette entité sur laquelle s’exerce le pouvoir invariablement et inexorablement, en démocratie comme en dictature.

Un argument tout à fait recevable peut être avancé que, le niveau de vie du peuple est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque de Boumediène. De manière générale, on peut même dire que les gens étaient pauvres.

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Mais il faut aussi dire que le consumérisme n’était pas aussi omniprésent à cette période qu’aujourd’hui. Les gens ne semblaient pas quantifier comme maintenant leur bonheur à la voiture en leur possession, à la dernière marque du téléphone ou aux vêtements, aux produits importés garnissant leur frigo (était-il aussi commun d’ailleurs ?), à la présence du climatiseur ou au nombre de téléviseurs dans leur domicile. Les gens étaient pauvres, mais ils semblaient pauvres de manière égale. L’équilibre était présent.

L’ostentation de la religion était de son côté absente, et les gens vivaient leur expérience religieuse de manière personnelle et paisible. Difficile à dire si Houari Boumediène a joué un rôle direct ou s’il a seulement bénéficié d’un contexte pré-révolution iranienne et pré-invasion soviétique de l’Afghanistan avec le financement américain des « moudjahidine afghans », mais il est indéniable que Boumediène a compris qu’un peuple qui n’a pas faim est un peuple qui cédera moins à la tentation.

La faim que Boumediène semble s’être efforcé à combler n’est pas seulement une faim de nourriture. C’est également une faim de culture, où les gens pouvaient aller au théâtre et au cinéma. Une faim de sécurité, où les femmes pouvaient marcher seules tard la nuit sans crainte et où les enfants pouvaient jouer dehors sans peur. Une faim de santé et d’éducation, où chaque village disposait d’une école. La censure existait, mais le livre était précieux. Le savoir n’intimidait pas, il était valorisé et honoré.

Mais par-dessus tout, la faim que Houari Boumediène semble s’être efforcé à combler est la faim d’un peuple pour la dignité. C’est pour cela que la richesse était mal vue et perçue, et que les riches se faisaient d’ailleurs discrets. L’ostentation de la richesse était absente, et les riches avaient honte de l’être en public. Il n’y avait pas de nomenklatura visible qui bénéficiait de passe-droits de manière flagrante comme ce fut le cas après sa mort. Il n’y avait pas de résidence d’État où se logent les nantis et qui faisait figure d’insulte au peuple. Le Club des Pins était d’ailleurs ouvert à tous. Les symboles comptent.

En attendant de régler les inégalités sociales, Boumediène avait veillé à ce qu’elles ne soient pas visibles. Et pour les régler, il s’est fait pour mission que chaque citoyen ait un emploi et une vie décente. Qu’importe si les usines et entreprises étaient pleines, qu’importe si la stratégie était économiquement désastreuse.

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Houari Boumediène ne semblait pas penser à l’Algérie, mais aux Algériens. L’Algérie pour Boumediène ne semblait pas être un concept abstrait, il semblait mu par une mission d’assurer la dignité au peuple et à chaque individu qui le constitue. A-t-il engendré une nation d’assistés ? Peut-être, mais telle ne semblait être sa volonté. À aucun moment Houari Boumediène ne parait avoir agi en vue de pérenniser sa mainmise sur le pouvoir ou pour son enrichissement personnel. La preuve est qu’il n’a laissé pratiquement aucune possession à sa mort.

Les projets lancés tous azimuts n’étaient peut-être pas les plus adéquats, mais ils avaient un sens car il y avait un pays à construire. Ce projet de construction de l’Algérie, le peuple et surtout la jeunesse semblent y avoir cru. C’est pour cette raison que ceux qui partaient se former à l’étranger revenaient au pays en masse pour travailler. La construction était certainement titubante et perfectible, mais elle était propre au peuple, qui contribuait tant bien que mal à l’essor d’une nation naissante.

Ils faisaient cela car ils avaient de l’espoir. C’est cette indispensable nécessité d’espoir que ceux qui ont suivi Boumediène, comme son présumé héritier actuellement au pouvoir depuis vingt ans, semblent n’avoir jamais réellement saisie. Peut-être l’ont-ils même méprisée.

En conséquence, la notion de pays à édifier a laissé place à la notion d’un pays à dilapider. Les chaînes au souk el fellah ont laissé place aux interminables listes d’attente de rendez-vous de visas. La prédation est devenue le mot d’ordre, l’ostentation est devenue la norme. La corruption s’est généralisée et pire, banalisée voire encouragée. La construction de l’Algérie a été laissée entre les mains des contrats de gré-à-gré et de la main d’œuvre chinoise. Le tout dans une constante quête de maintien au pouvoir.

Houari Boumediène n’était certainement pas parfait et mérite probablement toutes les critiques objectives et condamnations légitimes faites à son encontre. Mais il aura au moins laissé l’impression durable d’avoir toujours placé l’Algérie et son peuple comme priorités. C’est pour cette raison qu’il a été pleuré à sa mort et c’est pour cette raison que la nostalgie pour sa période demeure présente quarante ans plus tard. C’est pour cette même raison que peut-être aucun Algérien dans quarante ans ne ressentira de nostalgie pour la période actuelle.

 

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