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La seconde mort de Boumediène

La seconde mort de Boumediène

DOSSIER SPÉCIAL – Quarantième anniversaire de son décès et pas une biographie. Est-ce étonnant ? Non. Et pourtant, quand Benjamin Stora écrit sur l’histoire de notre pays, un certain nombre d’historiens et d’universitaires lèvent les boucliers en l’accusant de tous les maux, comme s’il leur enlevait de la bouche le beau morceau de viande qui leur était destiné.

Ils ont le champ libre, ils ne font rien, voici un historien étranger qui pointe le bout du nez et les voilà qui lancent des cris d’orfraie pour faire oublier cette sorte de paresse intellectuelle qu’on ne peut comprendre qu’on nous inscrivant dans le contexte d’une sorte d’atrophie de toutes les couches sociales.

Tout est figé, rien ne bouge à part la littérature. Mais là c’est de la fiction. On n’a besoin que d’une plume et d’une feuille de papier sinon d’un PC, mais pour ce qui est d’une biographie c’est tout autre chose. Il faut bouger, faire de fastidieuses recherches dans les archives, les bibliothèques et les ouvrages qui parlent de lui, et ils sont abondants, et puis, interviewer ceux qui l’ont connu dans les trois phases de sa vie : la jeunesse, la guerre et la présidence.

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Gigantesque travail qui n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut avoir les outils méthodologiques de l’historien et le style du biographe. N’est pas Jean Lacouture qui veut. Pourtant, on aurait aimé savoir comment un enfant pauvre d’un hameau près de Guelma est-il arrivé au pouvoir en dominant camarades et adversaires.

Regardons-le : avec ses yeux jaunes et ses traits osseux, il ressemblait à un loup famélique. En 1955, étudiant à Al Azhar, il était inconnu au bataillon. En 1956, Ben Bella le jette dans les bras de la révolution. Quelques années plus tard, il rejette, lui-même au nom du socialisme scientifique, beaucoup de grands politiques et de grands combattants.

La question qui se pose et qui reste une énigme : comment cet homme, un arabophone au milieu de francophones pour la plupart (Ben Bella lui-même, avouera plus tard qu’il avait du mal à dialoguer avec Nasser qui s’exprimait en arabe, langue que ne possédait pas très bien le premier président de la République ) avait-il émergé pour imposer sa loi ? La question fut posée au grand historien Mohamed Harbi qui répondit par une boutade : Boumediène avait le bon sens paysan. Et c’est ce bon sens qui est la principale qualité d’un chef, selon un autre grand chef. Napoléon, pour ne pas le nommer. Il avait aussi, et plus efficacement, la force des troupes derrière lui. Et, élément déterminant, comme l’ont précisé beaucoup de politiques, « La fraicheur de celui qui n’avait pas tiré un coup de feu ! »

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Le désert éditorial

Vivant, il intéressait les scribes, mort il n’intéresse plus personne. Comme si ceux qui avaient écrit sur lui l’ont fait plus par courtisanerie que par intérêt à son œuvre. Ainsi, il a eu droit à plusieurs publications : « Un algérien nommé Boumediène » d’Ania Francos et J.P. Séréni. Notons au passage qu’Ania Francos a été l’épouse d’un ancien ministre et DGSN. Avant de mourir d’un cancer, elle avait écrit un superbe roman à l’autofiction avérée : « Sauve-toi Lola ». La biographie de Boumediène est une hagiographie qu’on pourrait lire comme une sorte de témoignage bienveillant sur le deuxième président algérien.

Khalfa Mammeri, ancien ambassadeur, a fait mieux : « Les citations du président Boumediène » publié chez la SNED en 1975. On ne saurait trop vous conseiller ce recueil qui a pris beaucoup de rides. Mais qui a valu certainement à son auteur beaucoup de félicitations à l’époque. Ne boudons pas notre plaisir : Khalfa Mammeri a eu au moins le mérite de produire, à sa manière, un ouvrage.

Depuis un certain temps, on retrouve les traces du défunt président dans les mémoires d’un certain nombre de ses proches ou compagnons. Ainsi en est-il des mémoires de Taleb Ibrahimi qui présente Boumediène, et c’est tant mieux, comme un être humain, avec ses faiblesses et ses forces. On le voit épris de culture, et plus encore de censure. Taleb Ibrahimi raconte qu’il lui avait demandé de rappeler à l’ordre Tahar Ouettar dont il n’a pas goûté la nouvelle « La négresse et l’officier ». Un peu plus tard, il lui fera part de son étonnement devant le bruit fait autour d’un livre de Bessaieh. Il est clair que le Prince ne conçoit la culture que sous l’angle de la propagande et de la promotion de l’image sinon la sienne à tout le moins celle du système.

Mohamed Lemkami, ancien du MALG a été témoin, lui, de la gifle qu’a donné Boussouf à son poulain Boumediène. Kissinger, le grand diplomate américain, évoque Boumediène dans ses mémoires. Il parle d’un homme fier et orgueilleux avec lequel il était possible de dialoguer. Il avait de la hauteur Boumediène. Incontestablement…

Mais celui qui a le plus parlé de lui est finalement son ex-conseiller en information le Dr Amimour, ex-ministre de la Communication, un personnage truculent et haut en couleur. Son livre qui tient de celui de Salinger « Avec Kennedy », conseiller en communication du défunt président américain, est surtout un exercice d’admiration où aucune critique n’est de mise. Que de l’encens…

Plus le temps passe, moins il restera de compagnons de l’ex-président. Et moins il restera de compagnons moins on saura la vérité de l’homme.

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