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Licences d’importation ou dépréciation du dinar ? Ouyahia face à une équation complexe

Licences d’importation ou dépréciation du dinar ? Ouyahia face à une équation complexe

New Press

Dans une économie algérienne qui vit au-dessus de ses moyens depuis au moins trois ans, la mission essentielle confiée à Ahmed Ouyahia semble clairement d’assurer l’ « auto-ajustement » de l’économie à son nouveau, et désormais durable, niveau de ressources pétrolières. Une dernière chance de sauvegarder l’indépendance de la décision économique nationale avant un passage redouté par les fourches caudines des institutions financières internationales.

Le « nouveau » Premier ministre semble être bien conscient de la nécessité de cet auto-ajustement, c’est-à-dire en clair  d’une adaptation des dépenses du pays  à son niveau de recettes sans recourir au remède de cheval  imposé par les institutions financières internationales et sans passer par la case FMI. Dans la période la plus récente , à travers ce qui s’apparente à une véritable offre de services, il avait multiplié les prises de position qui ne laissent pas beaucoup de doutes à ce sujet.

Le 11 juin dernier, dans une déclaration largement reprise par les médias nationaux , il affirmait :  » L’Algérie est confrontée à de grands défis, si on ne se remet pas débout économiquement, sans le biberon du pétrole, nous risquons de nous retrouver chez le FMI en 2025. Et si on se retrouve chez le FMI, ça va être la tronçonneuse« . Dans le même registre, le Premier ministre estimait en avril dernier lors d’un meeting électoral à Sétif : « Il est préférable d’adopter une politique d’austérité que de s’endetter auprès d’institutions financières internationales ».

Pour Ahmed Ouyahia, la baisse des prix pétroliers constitue bien une situation durable et les perspectives qu’il annonce sont plutôt  sombres. « La situation va se compliquer, les réserves de change vont en s’amenuisant, à cause de la chute du prix du baril, le monde a changé de siècle, il y a le gaz de schiste, l’Opep et même les pays non-Opep ne peuvent plus agir sur les prix, le baril fonctionne avec le marché, l’époque des prix régulés est révolue ». Il enfonce encore le clou en ajoutant :  » Le monde du pétrole n’est plus le même et les prix du pétrole ne remonteront pas à plus de 100 dollars avant 15 ou 20 ans ».

Du pétrole à 100 dollars au pétrole à 50 dollars

L’homme qui a fait le « sale boulot » de l’ajustement structurel au milieu des années 90 exprime ainsi, selon toute vraisemblance, la volonté des cercles dirigeants algériens de réaliser de façon plus rapide et plus ferme la transition de l’économie algérienne du baril  à 100 dollars vers le baril à 50 dollars.

Cette transition n’a été réalisée que très partiellement depuis l’effondrement des cours pétroliers amorcé en juin 2014. Le dernier gouvernement Sellal a bien réduit les importations de près de 14 milliards de dollars en 2 ans entre 2014 et 2016 mais, en raison de l’accélération de la baisse des cours du baril, le déficit de la balance des paiements s’est creusé de façon colossale à 35 milliards de dollars en 2015 et de nouveau à près de 30 milliards de dollars en 2016.

Depuis le début de 2017, les importations ne baissent plus . Malgré le redressement du cours du baril enregistré après décembre 2016, on s’attend pour l’année en cours à un nouveau déficit de la balance des paiements de l’ordre de 18 à 20 milliards de dollars. Résultats des courses : les réserves de change du pays auront été réduites de près de moitié en trois ans et vont passer sous la barre symbolique des 100 milliards de dollars d’ici la fin de l’année .

C’est ce qui fait dire à un économiste aussi réputé que Rachid Sekak qu’ « en Algérie l’ajustement rendu nécessaire par la chute des prix pétroliers depuis juin 2014 n’a pas encore commencé. Depuis 3 ans, on n’a fait que consommer partiellement les réserves financières du pays ».

On doit  souligner en passant que de ce point de vue la « parenthèse » du gouvernement Tebboune apparaît largement comme une erreur de casting et que la démarche hyperbureaucratique des licences d’importation a échoué à produire des effets visibles en matière de réduction des importations tout en réussissant la performance de désorganiser l’approvisionnement du marché pour un  nombre croissant de produits concernés.

Une Loi de finance 2018 dans un contexte difficile

Pour Ahmed Ouyahia, le défi d’une économie algérienne qui cesse de vivre au-dessus de ses moyens va passer très concrètement par la réduction progressive des énormes déficits du budget de l’État et de la balance des paiements.

Dans ce domaine, il ne va pas être aidé par la conjoncture. La préparation en cours de la Loi de finance pour 2018 s’annonce déjà comme un exercice compliqué et périlleux. Coté recette, les prévisions de la « trajectoire budgétaire triennale » annexée au budget 2017 qui prévoyaient des ressources budgétaires en hausse l’année prochaine en raison principalement d’un prix du baril estimé à 55 dollars en 2018 risquent désormais de se révéler trop optimistes.

Par ailleurs, la réduction en cours des dépenses d’équipement de l’État a déjà produit, ainsi que l’ONS le confirmait voici quelques jours, des effets très inquiétants et plus rapides que prévu sur la situation de l’emploi à travers  une augmentation très sensible du taux de chômage depuis septembre 2016. Un cocktail explosif qui ne laisse paradoxalement en guise de  marges de manœuvre que le ralentissement de la démarche de réduction du déficit budgétaire, d’ailleurs recommandée aux autorités algériennes par le FMI au printemps dernier, ainsi que l’augmentation déjà  en cours de la dette interne de l’État, heureusement très faible, mais qui a dépassé  20% du PIB suite à l’emprunt national de 2016 et qui pourrait selon beaucoup de spécialistes franchir la barre des 50% du PIB d’ici 2019 .

Dépréciation du dinar ?

La faiblesse des cours pétroliers ne sera pas non plus un facteur favorable à la réduction indispensable du déficit commercial et de celui de la balance des paiements. Dans ce domaine, Ahmed Ouyahia va être confronté au choix très rapide de poursuivre la démarche bureaucratique des licences d’importations, qui apparaît à un nombre croissant d’observateurs comme une impasse, ou bien de changer son fusil d’épaule en substituant une régulation économique aux contrôles administratifs mis en place depuis 18 mois.

Pour aller dans cette direction, il n’y a pas de miracle à attendre. Il faudra qu’Ahmed Ouyahia obtienne un « visa » présidentiel pour reprendre le processus de dépréciation du dinar interrompu depuis mai 2016.

Un  recours modéré à l’endettement extérieur, actuellement quasi nul, ce qui constitue une sorte d’exception mondiale, est une option qui sera sans doute également de façon croissante sur la table au cours des prochains mois.

Particulièrement si les prix pétroliers se maintiennent à leur niveau actuel. Mais dans ce domaine aussi , Ahmed Ouyahia devra obtenir le visa de la Présidence .

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