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Lutte contre l’immigration clandestine : l’Algérie face à ses contradictions

Lutte contre l’immigration clandestine : l’Algérie face à ses contradictions

Le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants devait examiner, ce lundi 9 avril, le rapport présenté par l’Algérie. Cet examen intervient dans un contexte marqué par de fortes critiques émanant des ONG de défense des droits de l’Homme. Qu’en est-il réellement ?

Chaque jour, 500 tentatives d’entrées illégales sur le territoire national sont enregistrées aux frontières sud du pays. Le chiffre était dévoilé le 29 mars dernier, par Noureddine Bedoui, Le ministre de l’Intérieur, qui répondait à une question d’un sénateur sur les mesures prises par le gouvernement pour la prise en charge de ces migrants, a fourni un autre chiffre : l’Algérie a rapatrié 27.000 migrants subsahariens vers leurs pays d’origine ces trois dernières années. L’opération se poursuit « dans le cadre du strict respect des droits de l’Homme, en dépit de ce qui se dit et s’écrit dont le but est de ternir l’image de l’Algérie », a-t-il ajouté.

Ces déclarations du ministre résument à elles seules la politique algérienne en la matière : la question de la migration illégale est traitée essentiellement d’un point de vue sécuritaire par les autorités avec des expulsions massives de migrants subsahariens vers les frontières sud du pays

En plus des expulsions, depuis 2014 et le début des difficultés financières dans le pays, les migrants subsahariens sont l’objet d’une hostilité croissante d’une large part de l’opinion publique.

Sécurité nationale

Dans leur lutte contre l’immigration illégale, les autorités invoquent systématiquement la préservation de la souveraineté et de la sécurité nationale qui seraient menacées par ces migrants illégaux derrière lesquels se trouveraient des réseaux de passeurs, eux-mêmes liés à d’autres activités criminelles tel que le trafic d’armes et de drogue.

Si l’inquiétude des autorités quant aux réseaux de passeurs est compréhensible et légitime, au vu des importantes quantités d’armes découvertes régulièrement par l’ANP dans le Sud du pays, le doute subsiste par contre sur la menace que les migrants illégaux eux-mêmes représenteraient pour la sécurité nationale. Le Directeur général de la Sûreté nationale, le général-major Abdelghani Hamel, avait lui-même déclaré en juillet 2017 que la part des migrants dans les affaires liées à la criminalité en Algérie était marginale, voire insignifiante.

Alors, pourquoi ces expulsions massives au nom de la défense de la sécurité nationale ?

Admettons que le calcul des autorités soit de décourager les candidats potentiels à l’immigration clandestine de rejoindre l’Algérie, et par là de réduire le nombre de personnes susceptibles de passer par les réseaux de traite des migrants afin d’empêcher in fine ces réseaux d’activer vers l’Algérie. Mais le chiffre dévoilé par le ministre de l’Intérieur de 500 tentatives journalières d’entrées illégales sur le territoire par les frontières sud (soit 15.000 tentatives par mois) montre que malgré les expulsions, ces réseaux demeurent actifs.

Par ailleurs, les réseaux de passeurs peuvent très bien être sollicités directement par les terroristes eux-mêmes pour faire entrer des armes ou des hommes sur le territoire algérien. Autrement dit, l’option sécuritaire et répressive dans le traitement de l’immigration clandestine à travers des arrestations et des expulsions de masse ne règle pas le problème des réseaux de passeurs.

Ce problème ne peut être résolu que par un contrôle plus strict des frontières conjugué à une coopération plus accrue avec les pays voisins.

Droits humains

Si les autorités soutiennent que la lutte contre l’immigration clandestine est une pratique conforme à la légalité internationale et que la dignité des personnes arrêtées et expulsées du territoire national est respectée (regroupement dans des centres de transit, acheminement dans des bus), il n’en est pas moins que de graves dépassements aient été signalés par la presse ainsi que par des ONG nationales et internationales telles que l’arrestation indiscriminée et l’expulsion en plein désert de personnes subsahariennes se trouvant légalement sur le territoire national, y compris des réfugiés reconnus par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés.

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Non seulement ces pratiques ont été critiquées par des ONG nationales et internationales accusant les services de sécurité d’exercer un « profilage ethnique », mais elles ont aussi créé des mécontentements dans les pays voisins, parfois avec des dépassements violents. Le gouvernement nigérien, par la voix de son ministre de l’Intérieur, avait prié les autorités algériennes de cesser de renvoyer des personnes de nationalité autre que nigérienne sur son territoire. Plus récemment, l’ambassade d’Algérie au Mali a été attaquée par une foule composée d’anciens expulsés d’Algérie qui, selon les médias maliens, exprimaient leur mécontentement quant aux conditions de leurs expulsions.

En effet, selon des études faites par des ONG spécialisées dans les questions de migrations, ces pratiques engendrent de graves conséquences humaines et psychologiques sur les migrants. Dans beaucoup de cas, les personnes arrêtées sont dans l’impossibilité de récupérer ni leurs effets personnels ni leur argent et peuvent subitement perdre tout ce qu’elles possèdent.

À cela s’ajoute une épreuve physique éreintante, à savoir la marche à travers le désert après l’expulsion. Dans ces conditions, les épreuves de l’arrestation et de l’expulsion sont accompagnées d’un sentiment d’échec doublé d’un traumatisme chez les individus qui en font l’expérience. Tout cela peut briser psychologiquement un individu de manière durable.

Par ailleurs, du point de vue de la légalité internationale, la pratique est d’identifier la nationalité des personnes et de les rapatrier dans leur pays d’origine en collaboration avec les autorités consulaires du pays concerné. Le gouvernement algérien lui-même exige cela de pays souhaitant expulser des Algériens en situation irrégulière à l’étranger, alors il serait cohérent d’appliquer cela aux ressortissants des autres pays.

Efficacité économique

Du point de vue des finances publiques et de l’économie du pays, la lutte contre la migration illégale dans ses formes actuelles a aussi des conséquences néfastes. En pleine crise financière, à décembre 2017, l’Algérie avait déboursé l’équivalent de 9 millions d’euros pour cette campagne d’expulsion. Côté économie, les entrepreneurs dans les secteurs de la construction et de l’agriculture se plaignent d’un manque de main d’œuvre qui n’est pas comblé par une main d’œuvre locale, ce qui est susceptible de ralentir davantage ces secteurs.

Le gouvernement pourrait envisager des régularisations ciblées et limitées dans le temps de migrants ayant déjà un emploi, sur présentation d’un contrat de travail de l’employeur par exemple, et même de délivrer des visas de travail directement dans les pays frontaliers, Mali et Niger, en fonction des besoins de l’économie nationale en main d’œuvre. Ce visa pourrait très bien être accompagné d’un suivi administratif étroit du migrant une fois en Algérie ainsi que d’une aide au retour une fois la durée du visa terminée.

Dans ces circonstances, le gouvernement devrait urgemment revoir son traitement de la question des migrations en général, et se doter d’une politique migratoire réfléchie qui puisse concilier à la fois les impératifs légitimes de la sécurité nationale, des droits humains et de l’efficacité économique. Car jusqu’à présent, il donne plutôt l’impression d’avoir cédé, à cause de la crise financière, à une frange de l’opinion publique qui s’est exprimée, dans les médias et sur les réseaux sociaux, au travers d’un discours xénophobe, voire franchement raciste à l’encontre des populations subsahariennes. Ceci n’est pas digne d’un pays du rang de l’Algérie.

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