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Lutter contre la « grève des naissances » en Corée du Sud

Lutter contre la « grève des naissances » en Corée du Sud

La Sud-Coréenne chargée de faire remonter le taux de fécondité le plus faible du monde est bien placée pour savoir que les dispendieuses campagnes natalistes ont échoué. Comme des millions d’autres femmes, elle a préféré ne pas avoir d’enfants face au conservatisme qui règne dans son pays.

La ministre de la Famille Chung Hyun-Back était professeure d’histoire à l’Université de Séoul avant de rejoindre le gouvernement. Elle explique avoir choisi le célibat pour pouvoir mener à bien sa carrière.

En Corée du Sud, l’éducation des enfants est toujours l’apanage quasi exclusif des femmes et la valeur travail est sur un piédestal: les prochaines générations de Sud-Coréennes pourraient être tentées de l’imiter, prévient Mme Chung, 64 ans.

« Il était extrêmement difficile, voire impossible, de conjuguer une carrière en étant mariée et en élevant des enfants », explique-t-elle à l’AFP, soulignant que de nombreuses enseignantes quinquagénaires ou sexagénaires sont sans enfant.

Le miracle économique sud-coréen s’est traduit par une explosion du PIB tandis que le taux de natalité prenait le chemin inverse: le taux de fécondité – nombre moyen d’enfants qu’une femme est susceptible de mettre au monde – était de 1,17 en 2016, le plus faible de la planète. La moyenne mondiale est de 2,4.

En 2017, ce taux devrait descendre à un nouveau record de 1,07 avec pour la première fois moins de 400.000 nouveaux-nés.

Ajouté au vieillissement rapide des 50 millions d’habitants, la population devrait commencer à décroître en 2050 et l’avenir du pays est en question.

Les experts mettent en cause les coûts du logement et de l’éducation des enfants, ainsi que les craintes de chômage.

« Pendant des années, nous avons ignoré le vrai coupable, la vaste disparité entre les sexes et la longueur inhumaine des journées de travail », estime cependant Mme Chung.

– ‘Injustice’ –

La Corée du Sud arrive au deuxième rang des pays de l’OCDE pour les journées de travail les plus longues. Cette société profondément patriarcale attend des femmes qu’elles assurent au premier chef l’éducation des enfants, qu’elles travaillent ou non.

De nombreuses entreprises préfèrent pousser dehors leurs employées enceintes plutôt que de financer des congés maternité. En Corée du Sud, on considère que celles qui reviennent travailler ont nui à leurs perspectives professionnelles.

« Dans de telles conditions d’injustice, les jeunes femmes choisissent généralement leur carrière, pas le mariage et les enfants », dit Mme Chung.

Le phénomène est connu en Corée du Sud comme la « grève des enfants ».

« Si on ne s’attaque pas bille en tête à ces problèmes, l’avenir de la Corée du Sud restera trouble. Les jeunes générations resteront à l’écart du mariage, sans parler des enfants », poursuit la ministre.

Seules 68% des étudiantes sud-coréennes ont l’intention de se marier contre 80% des étudiants, selon une récente étude. Les candidates au célibat expliquent leur souhait par le double fardeau du travail et de la maison.

La Corée du Sud arrive régulièrement au bas du classement de l’OCDE en termes de disparités salariales et du nombre de femmes occupant des postes à responsabilité.

Mais c’est l’inverse pour l’éducation: les filles font mieux que les garçons aux examens, 75% d’entre elles entrant à l’université contre 67% des garçons.

– ‘Egoïsme et ambition’ –

Environ 70% des Sud-Coréennes âgées d’une vingtaine d’années travaillent, contre 60% des Sud-Coréens. Mais quand elles franchissent le cap des 30 ans, le taux d’emploi des femmes plonge à 55%, largement en dessous de celui des hommes (90%).

Elles sont nombreuses à se plaindre de leur sort.

« Mes patrons masculins se plaignent que leurs épouses qui travaillent soient trop égoïstes et ambitieuses si elles n’arrivent pas à aller chercher les enfants à la crèche à l’heure », dit une internaute. Mais « quand je pars du travail à l’heure pour aller chercher les enfants, ils disent que les femmes ne servent à rien, qu’elles sont égoïstes et qu’elles manquent d’ambition pour leur carrière ».

Dans les foyers où les deux parents travaillent, les femmes consacrent une moyenne de trois heures par jour au ménage et aux enfants, contre 44 minutes pour les hommes.

Le mariage « n’est rien de moins qu’un cimetière pour toutes les femmes intelligentes et ambitieuses », regrette une autre internaute.

Le président Moon Jae-In a promis de réduire la durée du travail et « de lutter pour construire une société où les femmes pourraient toujours mener une vie fondée sur leurs propres valeurs lorsqu’elles se marient et ont des enfants ».

Cinq des 19 membres du gouvernement Moon sont des femmes, un taux record de 28%, y compris Mme Chung et Kang Kyung-wha, la première ministre des Affaires étrangères de Corée du Sud.

Les autorités ont établi des quotas non contraignants de postes à responsabilités réservés aux femmes dans la fonction publique, et augmenté l’aide financière octroyée aux hommes en congé paternité. Les aides aux mères célibataires, qui sont ostracisées depuis longtemps, ont aussi été renforcées.

Le gouvernement espère qu’en modifiant ainsi « l’atmosphère sociale générale » dans la fonction publique, le secteur privé sera encouragé à l’imiter.

Mais, concède Mme Chung, les pouvoirs publics ne « peuvent pas tout » quand il s’agit de changer les mentalités. « L’avenir de notre pays pourrait dépendre de notre capacité à briser ces usages sociaux. »

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