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Marché parallèle des devises, un haut lieu du blanchiment de l’argent sale

Marché parallèle des devises, un haut lieu du blanchiment de l’argent sale

Quelques jours après la première manifestation du 22 février, le cours de l’euro, stable depuis près d’un an autour 213 dinars, a bondi subitement atteignant 217 dinars à Alger. À l’origine de cette soudaine flambée, une information – ou une rumeur – qui a circulé par les intervenants : « Un client est à la recherche d’une importante somme, plusieurs millions d’euros ».

Les cours se sont ensuite stabilisés et la demande aussi, selon les traders. On ignore si le client était réel ou s’il s’agissait d’une « rumeur de marché ». Mais depuis maintenant plusieurs années, le gouvernement et la Banque d’Algérie sont régulièrement interpellés sur une anomalie algérienne : le marché parallèle des devises.

Dans leurs rares commentaires sur ce sujet sensible, des membres du gouvernement ont mis en avant la nécessité d’avoir un tel marché dans un pays où la monnaie n’est pas convertible et où la population a besoin de devises pour ses déplacements à l’étranger. L’allocation touristique étant très faible (un peu plus de 100 euros), le voyageur a besoin d’effectuer le change sur le marché parallèle.

En octobre 2012, le sujet avait donné lieu à une polémique entre Karim Djoudi et Dahou Ould Kablia, qui étaient respectivement ministre des Finances et de l’Intérieur.

Pour Dahou Ould Kablia, les Algériens « trouvent leur compte » dans le marché noir de la devise qui ne doit pas être interdit. « Le gouvernement va combattre le marché informel de la devise », a répliqué le ministre des Finances. L’affaire en restera là. Le gouvernement n’a rien fait.

La Banque d’Algérie botte en touche

La Banque d’Algérie, régulièrement interpellée sur l’absence de bureaux de change, apporte une réponse plus vicieuse. Elle se réfugie derrière deux arguments : le dinar n’est pas convertible et le FMI, avec lequel l’Algérie est liée par un accord, interdit la double parité. La Banque centrale fait mine d’ignorer que le problème ne se situe pas à ce niveau mais dans le fait que ces transactions sur le marché parallèle, qui concerne entre 8 et 10 milliards d’euros par an, ne sont pas tracés. Aujourd’hui, on peut changer des millions d’euros sans fournir le moindre document.

Concrètement, même si le dinar n’est pas convertible, rien n’interdit aux autorités d’imposer aux cambistes d’avoir un registre de commerce et de tracer les transactions, comme c’est le cas dans tous les pays du monde. En plus de la traçabilité des opérations, légaliser ce marché va permettre à l’État de taxer l’activité. Par sa taille, c’est le second marché après les hydrocarbures.

Car les sommes qui circulent sur le marché parallèle posent un vrai problème. En plus d’être le principal facteur qui favorise la surfacturation à l’importation, ce marché est également un haut lieu de blanchiment d’argent de la corruption et de la drogue. Et bien entendu, il favorise la fuite des capitaux.

D’où vient l’argent ?

Souvent, quand on parle de marché parallèle, les Algériens pensent aux voyageurs, aux étudiants et aux malades qui partent se soigner à l’étranger. Mais ces sommes ne représentent qu’une petite partie des transactions. L’essentiel des transactions portent sur des sommes plus importantes qui transitent via des sociétés à Dubaï, Istanbul, Hong-Kong, et destinées à des acquisitions immobilières en Europe, des placements dans des paradis fiscaux…

Les sommes qui circulent sur le marché informel proviennent en partie des retraites des émigrés (ils les retirent en devises auprès de leur banque en Algérie), de l’argent des émigrés qui visitent l’Algérie et des sommes émanant des différents trafics.

Ces sommes sont collectées puis transférées vers deux principales destinations : Dubaï et Istanbul, où sont implantées des zones franches. « Une société financière à Dubaï reçoit entre 40 et 50 millions d’euros par semaine dans des cabas. L’argent passe par les aéroport et par les frontières terrestres via la Tunisie et la Libye », explique une intervenant.

Des mules généreusement rétribuées

Ces sommes sont transportées par des « mules ». Comme celles qui passent la drogue ailleurs dans le monde, ce sont des personnes chargées de transférer ces importantes sommes en devises vers l’étranger, contre une forte rétribution.

Avant l’éclatement de l’affaire de la cocaïne d’Oran qui a été suivie d’une hausse du nombre de saisies de devises et d’arrestations de trafiquants, pour chaque 100.000 euros transférés, les mules percevaient environ 500.000 dinars. Mais depuis les dernières mesures et le durcissement des contrôles au niveau des frontières, le risque encouru par les mules étant plus grand, leur rétribution a suivi. Les passeurs illégaux de devises touchent désormais jusqu’à 1,50 million de dinars pour chaque 100.000 euros transportés, de quoi encore appâter de nombreuses autres mules vers ces réseaux.

Transférer des millions d’euros : mode d’emploi

Dubaï et Istanbul, grâce à leurs zones franches, leurs établissements bancaires peu regardants sur l’origine des fonds et une fiscalité avantageuse, offrent un environnement idéal pour ceux qui opèrent sur ce marché.

On y trouve en premier lieu les importateurs. Quand ils veulent sous-facturer une marchandise afin de payer moins de taxes douanières, ils font appel au marché parallèle pour compléter la somme payée via la banque. Ce marché est également sollicité par tous ceux qui veulent transférer de grosses sommes d’argent sans prendre le risque d’être intercepté à l’aéroport.

« C’est très facile. La personne donne l’équivalent en dinars au correspondant algérien. Une fois la remise de l’argent confirmée, un virement est effectué depuis l’une des sociétés à Dubaï ou Istanbul. Parfois, les virements portent sur des millions d’euros », affirme un intervenant.

Qui de l’origine des fonds transférés depuis l’Algérie ? « La société peut faire des virements partout dans le monde et c’est à celui qui reçoit le virement de gérer les questions liées à la fiscalité et la transparence de ces fonds. C’est son problème », répond notre interlocuteur. Certains pays européens possèdent des législations sévères mais d’autres un peu moins.

Pour le recyclage des fonds, plusieurs méthodes sont utilisées : achats immobiliers en Espagne et au Portugal, achat de lingots d’or…

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