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Maroc : l’héritage empoisonné de Hassan II

Maroc : l’héritage empoisonné de Hassan II

Empêtré dans une série de scandales retentissants tant sur la scène interne qu’internationale et dans une crise économique et sociale aiguë, le Maroc va mal.

Mais ce n’est que la partie visible de l’immense iceberg du délitement qui frappe le royaume.

Les révélations faites par un dissident de l’armée royale marocaine lèvent le voile sur des pratiques ancrées qui ne pouvaient déboucher que sur la situation actuelle. Elles permettent aussi de comprendre comment la famille royale a été piégée par sa propre obsession de garder le pouvoir.

Abdelilah Issou, ancien officier de l’armée marocaine, qui a fait défection en 2000, a révélé que la corruption généralisée qui ronge l’armée et l’administration a été voulue par le défunt roi Hassan II, comme un paravent contre les velléités de sédition de ses généraux.

Au début des années 1970, après deux tentatives de coup d’État, le roi a réuni les hauts officiers de son état-major et leur a demandé de se faire de l’argent et de se détourner de la politique.

En 10 ans au pouvoir (depuis 1961), Hassan II avait fait l’objet de plusieurs tentatives de coup d’État et d’assassinat. Les plus mémorables sont celles des généraux El Madhbouh et Oufkir qui ont attenté directement à la vie du roi.

En 1971, El Madhbouh, chef de la Garde royale, a pris d’assaut le palais de Skhirat où le souverain fêtait son anniversaire en présence d’un millier d’invités, soit toute l’élite dirigeante du Makhzen, du palais royal et des hôtes étrangers.

Menée par des cadets sans expérience de l’école militaire d’Ahermoumou, l’attaque a échoué, faisant néanmoins une centaine de morts et 200 blessés. Hassan II a échappé aux tirs des cadets en se cachant dans un dressing-room.

Une année plus tard, en 1972, le général Oufkir, ministre de la Défense, mène une autre tentative de coup d’État. Cette fois, c’est la patrouille de l’armée de l’air chargée d’accueillir l’avion du roi, de retour d’un voyage en Europe, qui a tenté d’abattre l’avion royal.

Hassan II a encore une fois échappé miraculeusement à la mort. La légende raconte qu’il a pris l’appareil radio et annoncé lui-même à la tour de contrôle que le roi était mortellement blessé. Les assaillants ont aussitôt fait demi-tour.

Le coup d’État a échoué et le Maroc ne sera plus jamais comme avant. C’est le début des « années de plomb » qui s’étendront jusqu’à la mort du roi, en 1999.

Cette période a vu des milliers d’opposants emprisonnés, torturés ou exilés. Hormis les instigateurs, exécutés, tous ceux qui ont participé de près ou de loin aux deux tentatives de coup d’État, passeront 18 ans dans le noir, sans voir le moindre rayon du soleil, au tristement célèbre bagne de Tazmamart.

Corruption – répression – instrumentation du Sahara occidental : le triptyque qui piège la monarchie marocaine

Mais le roi Hassen II ne s’est pas contenté de frapper d’une main de fer. Il a aussi pris des dispositions pour se prémunir des envies de révolution, très fortes à l’époque chez les militaires et dans la société marocaine. Il a supprimé les postes de ministre de la Défense et de chef d’état-major dont il a pris lui-même la charge, ainsi que son successeur Mohammed VI.

Il a aussi laissé ses généraux investir le monde des affaires. C’est plus qu’un accord tacite puisque, selon l’ancien lieutenant Issou, Hassen II a prononcé cette phrase devant son état-major réuni à Rabat : « Ne faites pas de politique, faites-vous de l’argent. » Le message a été reçu cinq sur cinq par les militaires.

La corruption s’est alors déclenchée tel un engrenage qui n’épargnera aucune catégorie de la hiérarchie jusqu’à voir, selon Issou, des militaires de tous grades s’adonner à toutes sortes de trafics et détournements : rations des soldats, carburant, drogue, corruption sur l’avancement et les mutations…

La corruption généralisée et leurs dures conditions de vie ont tué « l’esprit de combat » des chefs, des soldats de l’armée marocaine et c’est ce qui explique les succès militaires du Polisario dans les années 1980.

La question du Sahara occidental est l’autre paravent du palais royal pour garder le pouvoir. Elle est présentée comme une cause nationale qu’il faut défendre contre « l’ennemi sahraoui et algérien ». « Si le Polisario gagne, le régime marocain va tomber ».

Répression, corruption et embobinement du peuple avec une prétendue « cause nationale », le triptyque semble avoir marché. Le Maroc n’a plus connu de tentative de coup d’État depuis le milieu des années 1970 et, 50 ans après le putsch raté du général Oufkir, la famille alaouite est toujours au pouvoir à Rabat. Mais pour combien de temps encore ?

L’interrogation est légitime, car le revers de la médaille de ces stratagèmes est un affaiblissement continu de la royauté et du pays.

La corruption démotive les soldats et exacerbe, avec la répression, le mécontentement de la population qui vit des conditions sociales difficiles, chaque jour aggravé par les dépenses engagées pour entretenir l’illusion de la « marocanité » du Sahara occidental.

Le Maroc est aujourd’hui l’un des pays les plus endettés d’Afrique à cause principalement de ses dépenses d’armement démesurées et de la prédation du roi qui a la mainmise sur les richesses et les activités économiques rentables du pays.

La même question du Sahara a mené le palais royal à franchir le pas de la normalisation avec Israël, une option largement rejetée par la société marocaine. Pour Issou, cette normalisation est une forme de « protectorat » israélien sur le Maroc.

Elle a aussi poussé ses services à s’adonner à des pratiques répréhensibles, comme la corruption de députés européens ou l’espionnage de responsables étrangers, ce qui coûte au royaume d’être régulièrement mis au pilori sur la scène internationale.

La monarchie marocaine est peut-être en train d’être prise à son propre piège.

Au lieu de répondre aux aspirations de développement et de prospérité du peuple marocain, avec une redistribution équitable des richesses, le roi est obsédé par le maintien du trône.

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