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Mohamed Fechkeur : un humble nous quitte

Mohamed Fechkeur : un humble nous quitte

HOMMAGE. Le vendredi 5 juin nous a quitté Si Mohamed Fechkeur, connu par ses intimes sous le pseudonyme de ‘’Mguedem’’ et appelé affectueusement ou respectueusement par son entourage ‘’Si El-Hadj’’. C’est un humble qui s’en va après avoir tant donné.

El Hadj Mohammed Fechkeur est né et grandi sous le soleil du Sud, à Laghouat, à l’ombre des palmiers et des jardins qui embaumaient les ruelles de parfum de fleurs d’oranger.

Orphelin de père et issu d’une famille modeste, il s’était forgé dès l’enfance la volonté d’aller aussi loin que possible dans ses études. Arrivé en fin d’études primaires, sa ville ne disposait pas encore de CEM, il est de ceux qui, à l’école, ont assimilé la devise du Prophète (QSSL) : « Cherchez  le savoir jusqu’en Chine ».

Porté par ce rêve radieux, il a quitté le pays et la ville qui l’a vu naître et qu’il porte dans son cœur vers l’Europe (France, Allemagne, Suède), pour être enfin affecté par le GPRA pour des études supérieures en chimie industrielle en Allemagne. Dix ans plus tard, il revient en Algérie avec le titre d’ingénieur.

Une école d’excellence et une génération exceptionnelle

Armé de l’expérience et des connaissances accumulées, avec des projets plein la tête pour contribuer au développement du pays il assure de brèves missions dans le secteur des hydrocarbures et DNC/ANP avec le Colonel Aouchiche.

À la fin de 1966, on lui confie l’annexe de l’IAP de Hassi Messaoud constituée de quelques baraques plantées dans un terrain aride, sans moyens et sans budget, ‘’il n’a pas pu résister à l’appel du Sud et surtout à son rêve de formation des compétences ; il a délibérément choisi la carrière de bâtisseur et de formateur ; dédaigneux des facilités de la vie, et des honneurs fugaces, il s’est consacré à cette mission discrète et difficile jusqu’à ingrate, il s’est plié à toutes les exigences ; il a d’abord assuré l’algérianisation de la formation à l’IAP d’Hassi Messaoud puis son développement et plus tard sa transformation et extension de ses missions et attributions sous le nom de Naftogaz’’.

L’Allemagne qui dispose d’un des meilleurs modèles au monde de formation professionnelle a su étendre celle-ci à tous les secteurs de la vie économique y compris ceux des services. Mohamed Fechkeur qui a fait sa formation dans ce pays, a réussi à transférer en l’Algérie le modèle allemand de formation professionnelle. Il a gardé avec ce pays de nombreuses attaches, ce qui lui a permis de faire de l’IAP, de Hassi Messaoud une école performante.

En s’attaquant à un secteur presque exclusivement contrôlé par les sociétés occidentales comme c’était le cas pour les hydrocarbures, il a investi dans la formation des foreurs dès 1968. Son choix allait se révéler capital avec la maîtrise par les techniciens algériens, à la tête desquels se trouvaient les Iapistes (diplômés de l’IAP), de la production de pétrole au moment du retrait des techniciens français au lendemain des nationalisations des hydrocarbures en 1971.

Mohamed Fechkeur a fait de l’IAP de Hassi Messaoud devenu par la suite Naftogaz, un centre d’excellence reconnu à travers le monde comme un des meilleurs sites de formation de techniciens dans le domaine du forage pétrolier. Les diplômés qui sortaient de l’école étaient demandés par tout dans le monde au point où les « majors pétrolières » se les arrachaient. Ils ont pu ainsi occuper divers postes de responsabilité dans les quatre continents…

Les résultats  se passent de tout commentaire. Les « produits » de cette formation la plus adaptée sont des cadres très recherchés dans notre pays et à travers le monde, ils sont toujours fiers et reconnaissants de se réclamer de cette École d’élite.

La renommée de l’école a atteint en si peu de temps une telle notoriété que les ambassades étrangères pressaient les autorités algériennes de réserver à leurs citoyens quelques places en son sein.

Mohamed Fechkeur est resté toujours attaché au Sud et à son école. À maintes reprises, il refuse des propositions alléchantes : stage de deux ans au Japon avec la garantie de diriger une raffinerie à son retour en Algérie, direction du nouvel institut algérien des pétroles à Boumerdes, conseiller au sein de l’équipe de Hamrouche à la Présidence de la République chargé de la formation professionnelle…

Remercié prématurément à la fin de 1997, il se retrouve sans logement. Il rejoint ses enfants qui avaient monté une petite entreprise de services, il a pu alors trouver sur le terrain encore aride de RedMed à Hassi Messaoud une cabine pour habiter. Il s’engagera alors dans un troisième parcours qui s’avérera aussi porteur que les deux précédents. Malgré des enjeux différents, ce sera pour lui un nouveau challenge où la formation restera l’axe prioritaire de ses préoccupations.

Vingt ans plus tard, à force de labeur et de rigueur, il se retrouve à la tête d’un groupe, avec une dizaine de filiales, qui emploie plus de deux mille travailleurs et qui occupe le haut du tableau des entreprises les plus performantes du pays…

La formation était son sacerdoce :

Mohamed Fechkeur est d’abord un formateur. Il a su inculquer tant à ses enfants qu’à ses élèves aussi bien l’amour du travail que la rigueur dans son exécution.

Dans les pays développés et dans les pays émergents la politique de formation professionnelle est au cœur du développement. Aujourd’hui plus qu’avant, la réduction du chômage est étroitement liée à une formation professionnelle performante.

Il considérait à juste titre la formation comme la locomotive du développement. Il a puisé dans son intelligence et a déployé tous ses efforts pour faire de l’IAP de Hassi Messaoud, une des meilleures écoles au monde pour techniciens de forage pétrolier.

C’est un homme qui a fait de la formation son sacerdoce. Il a réalisé de grands projets et toutes ses œuvres frappent par le culte du détail… ‘’Il s’agit ici d’un de ceux qui, toute leur vie durant, sans relâche, ont semé ces graines et autour d’eux, de ceux qui les y ont accompagnés, à une phase, un peu, beaucoup ou tout le temps’’.

Ses contributions marquantes peuvent être qualifiées de « succès stories » ‘’car, au delà de leur impact matériel immédiat ou durable, elles constituent un patrimoine immatériel ; leur exemplarité est l’une des plus grandes forces d’entrainement, plus que tous les enseignements, tous les discours, toutes les injonctions, c’est le guide vers la confiance en soi, et, partant, le compter sur soi,  une petite pierre dans la mosaïque de l’histoire, et aucune pierre n’est remplaçable par une autre’’.

Son vœu le plus cher était de continuer à former. Pourquoi tant d’intérêts pour la formation alors que l’essentiel des activités qu’il gérait s’articulait autour des services ? Mohamed Fechkeur avait conscience  que les besoins du pays en main d’œuvre qualifiée étaient devenus aussi importants que ceux d’hier.

Les réserves en hydrocarbures pourraient suffire encore pour les cinquante prochaines années mais sous réserve de réhabiliter les puits. Les techniciens formés suivant le modèle appliqué par Mr Fechkeur sont en voie d’extinction, soit par décès, soit par départ à la retraite, soit par départ à l’étranger. Souvent, il évoquait ce problème avec ses visiteurs, il était hanté par la formation.

Il se disait toujours prêt à se lancer dans une nouvelle aventure de formation comme celle de l’IAP. Il faisait sa préoccupation l’après pétrole, il savait que le Sud algérien dispose d’un ensoleillement remarquable et qu’il y aura beaucoup à faire dans le domaine des énergies renouvelables. Dans cette perspective qu’il a organisé avec le staff allemand de Desertec un séminaire sur l’énergie solaire à Adrar en 2016, lequel a été suivi par un autre à Laghouat en 2017.

La formation lui tenait toujours à cœur. Il était persuadé que le pays ne pourra s’en sortir qu’en misant sur une formation de qualité c’est-à-dire sur une formation capable de former des techniciens exportables.

Un homme hors du commun

Pour les personnes qui l’ont connu, Mohamed Fechkeur est un homme hors du commun. ‘’Sa force et sa résilience proviennent de sa foi, sa patience et permanente sérénité, il a ainsi réussi à intégrer et apprivoiser l’environnement et les caractères, il a d’abord imposé  puis inculqué sans douleur aux hommes une discipline martiale dans toute sa gestion avec son sourire toujours affiché.

Ainsi, un officier supérieur de l’ANP nous a dit après sa visite à Naftogaz «… au delà, l’organisation de votre ami est au moins aussi  militaire que la notre ».  Lors d’une  autre visite où il expliquait les méthodes de formation de l’institut quelqu’un lui a dit qu’Einstein aussi avait dit quelque chose de semblable « la connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information », c’est bien résumé, je suis d’accord avec lui, a-t-il répondu.

Quand on a la chance de le rencontrer aujourd’hui, il est toujours égal à  lui même, le visage toujours souriant, jovial, malgré les épreuves, les vents de sable et le soleil torride de Hassi Messaoud. Il a construit, il a planté, il a formé, il a transmis’’.

‘’En plus de ses qualités humaines, Mohamed Fechkeur laisse durablement l’impression d’un vrai leader, pragmatique et surtout visionnaire. Il fut un formateur des formateurs, en contribuant au développement du potentiel énergétique du pays, l’Algérie. Tout cela est fait tout en gardant à l’esprit la notion de terroir, de la famille étendue et celles des enfants de ce pays’’.

Les gens qui ont entendu parler de lui pensent que c’est un homme d’affaires. Pour d’autres qui ont eu la possibilité de le croiser ou de le rencontrer, ils gardent de lui le souvenir d’un homme très humble, facilement accessible, très avenant et plein de respect pour autrui. Pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, ils savent qu’ils ont eu à faire à un homme particulier, plein de qualités humaines, dont on cherche la compagnie et qu’on a toujours plaisir à revoir.

L’itinéraire de Mohamed Fechkeur, a été retracé dans un livre édité en 2018, intitulé : « Mohamed Fechkeur : il n’y a de richesse que d’hommes ». Le message qui se dégage de la narration de son expérience devrait réconcilier les jeunes avec le travail. Il montre que l’espoir est permis lorsqu’on a à faire à des hommes motivés, tout en sachant, cependant, que rien ne peut être obtenu sans sacrifice.

 


*Président de la Forem

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