Politique

Mohamed Sifaoui : illusionniste médiatique et faussaire de l’information

Contribution. Dans le grand théâtre médiatique français, où les experts autoproclamés pullulent à la manière de coquelicots, sous un soleil trop clément, un nom revient avec l’insistance d’une rengaine : Mohamed Sifaoui.

Une présence aussi persistante qu’énigmatique. Journaliste algérien naturalisé Français, rescapé d’un exil programmé qu’il instrumentalise à l’envie, il s’est imposé comme une figure incontournable des plateaux commandés, drapé dans le costume du spécialiste de l’islamisme et des affaires algériennes.

Une figure médiatique omniprésente, sollicitée dans les débats publics, sur les plateaux télévisés, dans les tribunes. Mais à y regarder de plus près, derrière la posture du lanceur d’alerte se cache un parcours fait de zones d’ombre, de manipulations douteuses et de relais d’influence hostiles. Derrière la façade d’érudition se cache, par ailleurs, une mécanique bien huilée de désinformation, d’approximations, et d’allégeances. Un personnage aussi omniprésent qu’opaque.

L’art de se mettre en scène

Inconnu du grand public en Algérie, où il n’était qu’un apprenti-sorcier en journalisme, Sifaoui connaît une soudaine notoriété en France au début des années 2000.

Irruption dans le paysage français avec une histoire digne d’un roman de gare. Il affirme avoir infiltré une cellule « djihadiste » à Paris, expérience qu’il transforme en documentaire pour TF1. Un récit qui frôle la caricature : caméra cachée accrochée à son « qamis », images floues et tremblantes, dialogues captés dans l’obscurité. Une mise en scène fragile, dont il tire un livre au titre choc : « Mes frères assassins : Comment j’ai infiltré une cellule d’Al-Qaïda » (Le Cherche-Midi, février 2003).

L’opération sent la mise en scène grossière. Le journalisme devient ici une répartition théâtrale de mauvais goût, et la quête de vérité cède la place à celle du buzz. Ce coup d’éclat médiatique lui vaut une certaine reconnaissance. Mais rapidement, les doutes s’accumulent. Alain Gresh, plume rigoureuse du Monde diplomatique, raille les invraisemblances du récit, y voyant un Tintin de pacotille plus préoccupé par sa carrière que par l’exactitude des faits. Qu’importe : fort de sa nouvelle notoriété factice et sous prétexte de menaces de mort, Sifaoui obtient une protection policière, consolidant son nouveau statut de « journaliste sous pression ».

Éthique piétinée, vérité sacrifiée

La méthode, elle, reste constante : caméra cachée, pièges tendus, captations clandestines, montage orienté. En 2012, il récidive avec un reportage pour la télévision privée M6, où il piège Souad Merah, sœur de Mohammed Merah, auteur des attentats de Toulouse et Montauban.

L’opération est d’une brutalité méthodologique rare : filmée à son insu, dans le cadre d’une conversation privée avec son frère Abdelghani Merah, Souad exprime des propos ambigus sur son frère, que Sifaoui transforme en révélation publique. Le scoop est livré clé en main à M6, dans un reportage qui choquera jusqu’à ses partisans les plus indulgents. Filmer une femme à son insu dans l’intimité d’un dialogue familial, une méthode que beaucoup qualifieront, à juste titre, de sordide.

Abdelghani déclare avoir voulu « piéger » sa sœur pour dénoncer l’antisémitisme de leur famille. Le reportage provoque une vague d’indignation et conduit à l’ouverture d’une enquête pour « apologie du terrorisme » contre Souad Merah. Cette dernière réplique par une plainte contre M6, Mohammed Sifaoui et Abdelghani Merah pour atteinte à la vie privée, arguant que ses propos ont été extraits de la sphère intime et diffusés illégalement. Elle qualifie son frère de « cheval de Troie » du producteur.

Une fois encore, Sifaoui se sert d’une méthode discutable – l’usage de caméras cachées – qui devient peu à peu sa signature. L’éthique journalistique semble n’être pour lui qu’un détail contournable, dès lors que le scoop est au rendez-vous.

L’affaire Estelle Mouzin : la dérive absolue

Mais la dérive prend une autre ampleur avec l’affaire Estelle Mouzin. En 2007, Sifaoui affirme, dans le cadre d’un reportage pour l’émission Le Droit de savoir sur TF1, que le corps de la fillette disparue aurait été retrouvé dans un restaurant asiatique. L’information se révèle fausse. Résultat : fouilles inutiles, soupçons infondés, fausse piste, émotion publique et colère des enquêteurs. Sifaoui, lui, se défausse, se défend en expliquant avoir transmis un « renseignement brut » : un homme d’affaires cambodgien lui aurait confié qu’un ouvrier avait découvert un cadavre d’enfant dans les murs de l’établissement.

Cette fausse piste jette une ombre sur sa crédibilité journalistique. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dénonce la diffusion de propos racistes et d’accusations infondées. Pire : on découvre que Sifaoui avait déjà ciblé Alexandre Lebrun, patron du restaurant Royal Wok, dans un précédent reportage.

Ce dernier, faussement présenté comme membre de la « mafia chinoise », porte plainte. Son avocat, Me Franck Serfati, accuse Sifaoui d’avoir payé un intermédiaire pour filmer Lebrun à son insu. Les conséquences pour Lebrun sont désastreuses. L’info était bidon, mais le mal est fait. Encore une fois, la quête du scoop laisse des ruines derrière elle. Pourtant, une autre question demeure : Sifaoui, journaliste ou informateur de la police ?

De l’engagement à la manipulation

Né le 4 juillet 1967 à Kouba, Sifaoui s’engage dans le journalisme au début des années 1990, après avoir obtenu une licence sans avoir brillé à l’Institut d’études politiques d’Alger.

Une époque marquée par la montée de l’islamisme politique en Algérie. Il collabore alors avec Le Soir d’Algérie et L’Authentique, deux quotidiens résolument opposés à l’islamisme.

Pendant ces années de turbulences politiques, il se marie à une Tunisienne, union qui marque un tournant décisif dans son parcours. Cet engagement n’est pas uniquement personnel, il l’introduit dans les cercles influents du monde médiatique, en particulier auprès de Béchir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Afrique, un homme de pouvoir et aux relations complexes avec certains régimes du Maghreb.

Propulsé à la tête du bureau algérois du magazine, Sifaoui accède à une position apparemment prestigieuse. Pourtant, sous cette façade se dissimule une réalité plus trouble. Derrière le rôle de journaliste engagé, se profile un autre engagement discret, mais croissant destiné à alimenter les services de renseignement étrangers. Dès lors, la question s’impose : où finit le journaliste et où commence l’informateur ?

De l’opposant à l’« expert »

Les relations de Sifaoui ne se limitent pas à sa carrière. Pour affirmer son statut, il se targuait d’être officier des services secrets, mensonge qui lui vaut deux claques symboliques pour « usurpation de fonction ».

Exilé alors en France, il obtient le statut de réfugié politique. L’association Reporters sans frontières (RSF) le soutient, le citant dans son rapport de 2000 : « Mohamed Sifaoui a subi un véritable harcèlement et des menaces de la part des militaires pour avoir tenté d’enquêter sur certains assassinats et les disparitions. Craignant pour sa vie, il s’exile à la fin de l’année 1999 ».

De militant d’un certain « éradicatisme », il devient, selon ses dires, un opposant acharné au régime algérien, rejoignant les cercles des militants islamistes à Paris. Son rapprochement avec Habib Souaïdia, ancien militaire devenu dissident après la publication de « La Sale Guerre », marque une nouvelle étape.

Pourtant, en 2002, Sifaoui surprend en devenant témoin dans le procès opposant Souaïdia au Général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense. Cette volte-face déstabilise ses anciens alliés, qui le considéraient comme un opposant irréductible au « régime algérien ».

Le tournant du 11 septembre 2001, avec ses profondes répercussions géopolitiques et son impact sur la doctrine occidentale, offre à Sifaoui l’opportunité de se réinventer. Dans ce contexte et ce climat de radicalisation des rapports de forces, témoigner en faveur de Nezzar devient pour lui une occasion en or, une opportunité qu’il ne saurait laisser passer. Il se présente désormais comme « expert » en islamisme, une mue qu’il opère sans la moindre hésitation. Ce virage témoigne de sa capacité à manœuvrer avec habileté dans les eaux troubles de l’opportunisme politique et médiatique.

L’islamophobie, une arme médiatique

Dans ce contexte, Sifaoui s’engage dans une croisade idéologique, où la liberté d’expression se mue en absolu, dédaignant toute limite, y compris celle du respect dû aux croyances. Lors de l’affaire des caricatures danoises en 2005, il ne se contente pas de brandir ce droit, il l’érige en instrument de stigmatisation de l’islam, présenté comme une menace existentielle pour la laïcité et les valeurs républicaines.

Il devient l’un des ardents défenseurs de cette provocation, s’inscrivant dans une logique de rejet sans nuances de l’islam. Son soutien à Charlie Hebdo, notamment lors du procès intenté par des associations musulmanes, illustre cette position.

Mais sa cible ne se limite pas aux extrémistes. Il étend son offensive à l’islam des banlieues, brossant un portrait monolithique et profondément négatif de l’ensemble de la communauté musulmane.

Cette ligne éditoriale dépasse rapidement le cadre de Charlie Hebdo. Dans les tribunes du Figaro, du Parisien ou Marianne, il diffuse une vision de plus en plus radicale de l’islam, présenté comme une force subversive, omniprésente et menaçante.

Il radicalise son discours. Il fait de l’islam une menace systémique, alimentant une vision où la confrontation semble inéluctable. À travers ses interventions dans des médias réactionnaires, il se pose en porte-parole d’une laïcité en danger, tout en s’appuyant sur une islamophobie désormais assumée.

Il ne s’agit plus de critiquer les extrémismes, mais de construire une critique globale, une narration médiatique où la peur et la suspicion deviennent des outils de légitimation. Son discours, simpliste face à une réalité complexe, fait de l’islam un bouc émissaire, confortant une idéologie de séparation et de rejet.

Fonds Marianne : journalisme subventionné et opaque

Sifaoui ne se contente pas de manipuler l’image. Il apprend à manipuler l’argent public des Français. En 2023, son nom apparaît dans l’affaire du Fonds Marianne, dispositif gouvernemental mis en place après l’assassinat de Samuel Paty et destiné à lutter contre le séparatisme. Montant touché par son association Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) : 355.000 euros, la plus grosse dotation accordée. Problème : les résultats sont introuvables, les actions invisibles.

Son audition devant la commission d’enquête du Sénat, prévue deux fois puis repoussée, se tient enfin le 15 juin 2023. Elle tourne à la pantalonnade : Sifaoui s’y présente en victime.

Face aux sénateurs, Sifaoui affirme avoir été « manipulé par le pouvoir politique » et avoir fait confiance à Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État. Il justifie l’absence de résultats par des « contraintes budgétaires ».

Il précise que le projet initial, chiffré à 1,5 million d’euros sur trois ans, a été ramené à 635.000 euros la première année. La majeure partie des fonds a servi à rémunérer Cyril Karunagaran, président de l’USEPPM, et Mohamed Sifaoui lui-même. Les sénateurs, eux, relèvent des incohérences flagrantes. Un air de déjà-vu. L’affaire révèle, une fois de plus, un usage opportuniste des ressources publiques par le journaliste, au prix d’une transparence minimale.

Réseaux, relais, et soutiens puissants

Une question demeure : comment un tel personnage parvient-il à traverser les scandales sans jamais tomber en disgrâce ? La réponse est à chercher du côté de ses appuis. Sifaoui bénéficie du soutien de figures médiatiques et politiques influentes : Bernard-Henri Lévy, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Alain Finkielkraut. Ces réseaux lui ouvrent tribunes, colloques et antennes.

Il est invité aux dîners du CRIF, participe au Forum républicain organisé par BHL en mai 2017, prend la parole aux côtés d’Alain Jakubowicz, ex-président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA). La Ligue de défense juive (LDJ) le décrit comme « le journaliste musulman le plus courageux de France ». Il défend avec zèle ses soutiens, allant jusqu’à qualifier les critiques envers BHL de « révélateurs de salauds ».

Ce soutien ne se limite pas aux mots, il permet publications, invitations, subventions. En août 2024, il publie « Hamas : Plongée au cœur du groupe terroriste » (Éditions du Rocher), livre à charge contre la résistance palestinienne. En avril 2025, il récidive avec « Hezbollah : De Beyrouth à Paris, la milice prépare son retour », dans la même veine idéologique. Ces deux ouvrages salués par les réseaux néoconservateurs et pro-israéliens comme des manifestes courageux. Mais derrière l’analyse, c’est surtout une rhétorique de guerre, un discours aligné sur les intérêts israéliens, une posture de plus en plus militante, de moins en moins journalistique.

Plaidoyer catégorique pour Israël

La défense acharnée d’Israël par Sifaoui sent la mise en scène politique. Le journalisme devient chez lui propagande, et la quête d’objectivité cède la place à celle de la partialité. Ce coup d’éclat médiatique lui vaut une certaine reconnaissance dans les milieux pro-israéliens.

Mais rapidement, les critiques s’accumulent. Des observateurs rigoureux raillent les invraisemblances de son discours, y voyant un plaidoyer plus préoccupé par la promotion d’une cause que par l’équilibre des analyses.

Sifaoui multiplie ses interventions sur des chaînes comme France 24 et dans les colonnes de divers journaux, où il dépeint systématiquement Israël comme un rempart contre l’islamisme radical.

Souvent invité à des conférences par le CRIF, il n’hésite pas à marteler la nécessité pour Israël de poursuivre sa politique sécuritaire. « La défaite du Hezbollah démontre que quand Israël estime la menace, il se donne les moyens de la contrer », affirme-t-il. Ou encore, dans un raccourci saisissant : « Le Hamas veut détruire Israël et instaurer une théocratie totalitaire ».

Son voyage en Israël en 2013, présenté comme une révélation, semble avoir été conçu pour renforcer ses convictions déjà bien arrêtées. Lors d’une conférence à Jérusalem, il partage ses impressions avec emphase : « Il est difficile de ne pas soutenir Israël ».

Par son soutien inconditionnel à la politique israélienne et ses critiques acerbes envers les mouvements pro-palestiniens, Sifaoui s’est progressivement imposé comme une figure emblématique d’un sionisme sans nuances. Il répète à l’envie que « les deux belligérants, l’État d’Israël et le Hamas, ne sont en rien comparables ni dans l’idéologie, ni dans les valeurs, ni dans leur statut », scellant ainsi son engagement partisan en faveur d’Israël.

Portrait d’un dogmatique

Visage placide, ton sentencieux, posture raide, Sifaoui occupe l’espace médiatique en tribun. Sa parole faussement autoritaire, souffre d’un manque de nuances. Ses arguments sont souvent péremptoires, ses raisonnements binaires. La théâtralité prend le pas sur la réflexion. Plutôt que d’éclairer, il désigne ; plutôt que de débattre, il accuse. Le débat, pour lui, n’est pas un espace d’échange, mais un champ de bataille. Il n’éclaire pas, il assène. Il ne doute pas, il tranche. Il ne débat pas, il condamne.

Derrière le masque du républicain intransigeant se cache une posture stratégique, taillée pour les plateaux télé et les tribunes faciles. Les valeurs sont brandies comme des armes, jamais interrogées, jamais nuancées. Et son engagement, plus utile à sa visibilité qu’à la vérité, ne résiste pas à l’examen rigoureux. Il reste figé dans une vision du monde où le manichéisme tient lieu de pensée.

Son verbe oral, à la fois hautain et belliqueux, se double d’un style écrit aride, où l’alambiqué le dispute à la redondance, où l’emphase se perd dans une uniformité langagière d’un ton à la fois scolaire et stérile.

Un dangereux illusionniste

Mohamed Sifaoui n’est pas un simple journaliste controversé. Il est le symptôme d’une époque où la parole, même bancale, devient arme. Son parcours, truffé de contradictions, de montages et de relations d’influence, interroge sur la responsabilité des médias, sur l’indulgence des institutions, sur les réseaux qui le portent.

Il incarne une dérive profonde de l’écosystème médiatique français : celle où l’expertise est mise en scène, où l’information devient marchandise, où la notoriété vaut absolution. Sa trajectoire, soutenue par des relais puissants, est un avertissement. Car derrière l’homme à la parole tranchante se dresse une figure plus inquiétante, celle d’un illusionniste qui, par le verbe, cherche à façonner le réel à son image.

Derrière l’« expert », c’est une figure de l’imposture qui se dresse. Comme l’a résumé un critique, non sans gravité : « C’est dangereux de laisser des personnes comme Mohamed Sifaoui avoir une tribune trop large dans les médias. La question n’est plus de savoir qui est Mohamed Sifaoui. Elle est de savoir jusqu’à quand son imposture tiendra. Mais malheureusement son spectacle peut continuer tant que la France est à la dérive…

*Cadre de l’État à la retraite

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