search-form-close
Paris-Alger : plus de paroles que d’actes

Paris-Alger : plus de paroles que d’actes

Anis Belghoul / New Press
François Hollande, président de la France

Il y a quelques semaines, lors d’une visite officielle à Alger, Bernard Cazeneuve, le premier ministre français, a salué la relation « absolument exceptionnelle » entre la France et l’Algérie depuis le début du quinquennat. Mais hormis la centaine de visites interministérielles et une augmentation du nombre de visas octroyés par la France (400.000 environ en 2016 contre 364.000 en 2015), le bilan du président sortant est mince.

Des investissements en baisse

Alors que la France, doublée par la Chine, cherche à récupérer sa place de premier partenaire commercial, Alger déplore la diminution des investissements ces dernières années. « Je dois relever l’inquiétante tendance baissière des investissements français en Algérie durant consécutivement les trois dernières années, s’inscrivant ainsi en contradiction par rapport à notre ambition commune de partenariat stratégique, singulièrement dans le secteur industriel », a indiqué le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, à Bernard Cazeneuve lors de leur rencontre début avril.

Quant aux accords économiques entre la France et l’Algérie, ils se sont révélés plus laborieux que prévu. Certes, une usine d’assemblage Renault a bien ouvert à Oran fin 2014, avec 350 emplois directs à la clé, mais le projet d’usine du groupe PSA Peugeot Citroën ne s’est toujours pas concrétisé. Il devrait, selon Sellal, être conclu « au cours de cette année », l’élection d’Emmanuel Macron aidant. Mais ces contrats sont jugés décevants puisqu’ils n’ont débouché sur aucun transfert de technologies en Algérie.

  | VIDÉO. Usine PSA en Algérie : un haut responsable de Peugeot évoque un problème politique

Les compagnies pétrolières Total et la Sonatrach ont par ailleurs signé un accord-cadre en avril, mettant ainsi fin à leur contentieux. Il ne s’agit toutefois que « d’un effet d’annonce », commente un observateur de la politique algérienne.

Le Sahara occidental

Alger garde aussi une amertume vis-à-vis de Paris au niveau diplomatique. La position de la France sur la question du Sahara occidental reste un point de tension entre Paris et Alger. « Il faut que vous restiez équidistants dans ce dossier, sans pencher ni pour le Maroc ni pour l’Algérie », aurait dit Abdelmalek Sellal à François Hollande, selon des propos rapportés par Jeune Afrique. Paris est historiquement, dans ce conflit, un traditionnel soutien du royaume chérifien. Car la France est soucieuse de ménager ses deux partenaires au Maghreb en entretenant des relations privilégiées avec l’un, sans toutefois vexer l’autre.

Mais tout au long du quinquennat, le président sortant a préféré rester flou sur le sujet. Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, n’a pas toujours défendu la position officielle. Dans une missive rédigée en 2011, il considérait même la présence marocaine comme une « occupation ».  Mais sa nomination au gouvernement l’a contraint à être plus consensuelle.

Pour Pierre Vermaren, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris 1, et spécialiste du Maghreb, « il y a une très grande continuité et une très grande lassitude sur ce dossier ». Il est toutefois peu probable que la France change sa position sur le sujet à l’avenir, estime le chercheur interrogé par TSA.

La mémoire : de simples manœuvres électorales

Si François Hollande a tenté quelques avancées dans le domaine mémoriel, elles ont surtout été perçues comme de simples manœuvres électorales du côté d’Alger. En septembre 2016, il reconnaît la responsabilité de la France « dans l’abandon des harkis », « dans les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumain de ceux transférés en France ».

Au cours de son quinquennat -et pour se distinguer de la présidence de Nicolas Sarkozy- Hollande a aussi dénoncé un système colonial « injuste et brutal ». Conscient de la crispation française sur ce chapitre de l’Histoire, il est toutefois resté prudent. Seul le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron s’est aventuré sur ce terrain en février dernier lors de son déplacement à Alger.

  | LIRE AUSSI : Emmanuel Macron : « La colonisation a donné lieu à des violences qui ont nié l’humanité des victimes »

Non sans raison, juge Pierre Vermeren. « Dans les propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation, il y a évidemment une dimension électoraliste ». La France compte en effet plus d’un million de binationaux sur son territoire.

Enfin, si l’affaire du tweet de Manuel Valls a laissé un froid en avril 2016 (le Premier ministre avait posté une photo du président visiblement très diminué), la France est particulièrement taiseuse sur l’état de santé et l’absence du président Bouteflika. Paris sait qu’elle doit manœuvrer de façon prudente. Si elle commente la politique algérienne, elle s’expose au risque de mettre à mal sa relation avec Alger.

Maroc : un quinquennat marqué par une brouille diplomatique

Premier chef d’État étranger reçu à l’Élysée par François Hollande, Mohammed VI sera aussi, vraisemblablement, le dernier du quinquennat qui s’achève. Le roi du Maroc a été reçu mardi 2 mai pour « une visite privée à dimension politique et culturelle », a précisé l’AFP.

Sur le plan économique, la France, devancée par l’Espagne, a cherché pendant ce quinquennat à retrouver une place privilégiée. En avril 2016, le constructeur automobile Renault a lancé un vaste projet de création d’un écosystème d’industrie automobile à Tanger pour 900 millions d’euros d’investissements, et qui doit générer 50.000 emplois. PSA a quant à lui lancé un projet d’usine à Kenitra, avec une inauguration prévue entre 2019 et 2020, selon le responsable sur le projet d’usine de PSA à Kenitra, interrogé par le Huffpost Maroc. 

  | LIRE AUSSI : Peugeot Maroc : 60% d’intégration dès 2019 pour l’usine de Kenitra

La relation franco-marocaine pendant ces cinq années restera toutefois marquée par une brouille diplomatique de plusieurs mois. Pour rappel, en février 2014, le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, est convoqué par la justice française à la suite de plusieurs plaintes pour torture. Le Maroc réagit aussitôt, et suspend sa coopération judiciaire avec la France pendant 11 mois. Cet épisode intervient au pire moment, dans un contexte où les enjeux sont énormes en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.

Cette brouille cesse finalement en juin 2015. Le Parlement français modifie la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays. Comme le rapporte le journal Le Monde, le nouveau dispositif prévoit « que les plaintes déposées en France seront désormais « prioritairement » renvoyées vers Rabat ou clôturées ». Mieux : en février 2015, Abdellatif Hammouchi obtient sa réhabilitation. Les autorités françaises le décorent de la Légion d’honneur. Enfin, Paris et Rabat officialisent leur réconciliation en septembre 2015 lors d’une visite de François Hollande au Maroc.

Si la convocation par la justice française de Abdellatif Hammouchi explique ce refroidissement diplomatique passager, l’historien Pierre Vermeren estime que Rabat a également fait payer à la France le « rééquilibrage de la relation entre Paris et Alger » amorcé en début de quinquennat.

Un rééquilibrage toutefois nécessaire au moment de la guerre au Mali en 2013. Pour mener à bien son intervention, Paris a bénéficié du soutien de l’Algérie sur le terrain qui a bloqué sa frontière sud. Alger a également fourni à la France des renseignements sur le fonctionnement des groupes islamistes dans la région.

La Tunisie et la Libye, service minimum  

À son arrivée à l’Élysée en mai 2012, François Hollande est contraint d’assumer l’héritage du précédent quinquennat, accusé d’être complice de Ben Ali. Une situation complexe qui pousse très certainement le chef de l’État à reporter à plusieurs reprises sa visite en Tunisie, avant de s’y rendre en juillet 2013. Il tient à tourner à la page : « Je suis ici pour refonder notre relation (…) car il y a des blessures, je les connais », dit-il.

« La France n’a pas été là où elle devait être au moment de la révolution, déclare-t-il lors d’une conférence de presse, mais elle sera aux côtés de la Tunisie pour toute la transition ». En 2014, après les élections législatives, le président français « salue l’engagement du peuple tunisien pour faire aboutir la transition démocratique dans son pays ».

Si la Tunisie est victime à plusieurs reprises d’attaques terroristes, elle n’est toutefois pas une priorité de la politique extérieure de Paris. En dépit du risque possible que les islamistes remportent le prochain scrutin cette année, Paris reste silencieuse, analyse Pierre Vermaren. « On ne s’occupe des affaires maghrébines qu’en cas de crise ou quand il y a une très bonne nouvelle, en l’occurrence l’organisation d’élections libres ».

En janvier 2016, quand la contestation grandit avec la multiplication des manifestations de chômeurs, le chef de l’État annonce que la France va mettre « en œuvre un plan de soutien à la Tunisie d’un milliard d’euros sur les cinq prochaines années ». À plusieurs reprises, la France réitère son soutien. « La France est là et l’a toujours été pour la Tunisie », insiste François Hollande, quand il reçoit en novembre 2016 le chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed.

En février 2016, le journal Le Monde révèle que la France mène des opérations militaires secrètes en Libye, et rapporte la présence de forces spéciales françaises et d’agents secrets. Officiellement, Paris n’intervient pas en Libye mais la mort de trois militaires en juillet 2016 contraint finalement la Défense à reconnaître officiellement qu’elle est présente sur le territoire libyen.

La situation politique du pays est pourtant peu évoquée. La France est impuissante, incapable d’accompagner la Libye dans sa reconstruction. « Comme on ne peut pas qualifier la situation politique de la Libye alors Paris n’en parle pas », note le spécialiste du Maghreb. En réalité, François Hollande veut à tout prix éviter de reproduire l’erreur de l’intervention sous la présidence de Nicolas Sarkozy. « 2011 a laissé des traces (…) Nous voyons toutes les conséquences dramatiques et malheureusement, les faits parlent. Il y a eu une intervention par des frappes aériennes, mais il n’y a pas eu de suites politiques, et on est [aujourd’hui] dans une situation de chaos », avait déclaré Jean-Marc Ayrault en mars 2016.

Pourtant, les enjeux en matière de sécurité dans la région sont importants. La Tunisie fait face, depuis la chute de Ben Ali en 2011, à l’essor d’une mouvance jihadiste responsable de la mort de civils, de soldats et de policiers. On estime à plus de 3000 le nombre de Tunisiens partis pour combattre dans les rangs de l’État islamique ou d’autres organisations intégristes en Syrie, en Irak et en Libye. Dans ce dernier, la relance du processus politique est toujours en cours…au milieu du chaos.

  • Les derniers articles

close