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PORTRAIT – Bernard Emié quitte Alger pour diriger la DGSE

PORTRAIT – Bernard Emié quitte Alger pour diriger la DGSE

Ambassadeur de France en Algérie depuis septembre 2014, Bernard Emié, 58 ans, organise ce mercredi soir sa dernière réception avant son départ. Sa nomination n’a pas encore été officialisée mais il prendra très prochainement la tête de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), le plus important service de renseignement français.

Il a la réputation d’être un peu froid. Pour ne pas dire austère. Pour Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro -qui croise la route d’Emié pour la première fois en Jordanie en 1999- il est surtout « une machine de travail ».

Villepin, une rencontre décisive 

Diplômé de Sciences Po Paris et de l’École nationale d’administration (promotion Solidarité en 1983), le goût de l’international lui vient pendant son service militaire. Alors que la plupart des énarques lorgnent la prestigieuse inspection générale des Finances, Bernard Emié choisit les Affaires Étrangères. Il intègre la direction Asie-Océanie du ministère du Quai d’Orsay. Ses premières années dans la diplomatie sont ponctuées par un passage à l’ambassade de France en Inde comme premier secrétaire, au moment de l’assassinat de Indira Gandhi, Première ministre indienne. Le jeune énarque passe ensuite par l’ambassade de France aux États-Unis, comme premier secrétaire et deuxième conseiller, entre 1988 et 1992. Là, il croise la route d’un certain Dominique de Villepin, alors directeur du service de presse et d’information de l’ambassade.

Dix ans après sa sortie de l’ENA, en avril 1993, il rejoint le cabinet d’Alain Juppé, tout juste nommé ministre des Affaires étrangères. Conseiller des affaires étrangères, en charge des crises régionales, il travaille aux côtés de Xavier Driencourt (qui occupera des années plus tard le poste d’ambassadeur de France en Algérie). Le directeur de cabinet de Juppé n’est autre que …Dominique de Villepin. Quand Chirac est élu président de la République deux ans plus tard, Emié rejoint la cellule diplomatique de l’Élysée aux côtés de Jean-David Levitte qui deviendra, quelques années après, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.

Ambassadeur à 39 ans 

En 1998, Emié n’a que 39 ans. Le Président de la République lui remet les clés de l’ambassade de France en Jordanie. Une pièce clé au Moyen-Orient. Il succède alors à un certain Bernard Bajolet, qui prendra la tête de la DGSE quinze ans plus tard.

Là encore, l’escale d’Emié à Amman est marquée par un événement historique. En février 1999, le roi Hussein décède après un règne de 46 ans. Sa mort laisse craindre une déstabilisation régionale dans un contexte déjà tendu. Les obsèques du souverain hachémite réunissent le monde entier : Bill Clinton, Boris Eltsine et Jacques Chirac, accompagné de son ambassadeur. Mais aussi les protagonistes d’un monde arabe pourtant déchiré : voici Benyamin Netanyahu aux côtés de Yasser Arafat, et même Hafez el-Assad, adversaire du souverain (et père de Bachar el-Assad). À l’époque, le jeune ambassadeur Emié, comme beaucoup d’autres à l’époque, parie sur Hassan, le frère du roi, pour lui succéder. Mauvaise pioche. Hassan est destitué au profit du fils de Hussein, Abdallah.

Pilotage de la libération de deux otages

Quatre ans plus tard, en 2002, Jacques Chirac est réélu et rappelle Emié à Paris. Il se voit confier un poste décisif : celui de directeur du département Afrique du Nord et Moyen-Orient au sein de l’administration centrale. C’est un service qu’il connaît. Entre 1992 et 1993, il a déjà occupé le poste de sous-directeur, juste après la victoire du Front islamique du salut aux élections législatives en Algérie. Il revient en pleine crise irakienne, au moment où la France s’oppose, par la voix de Dominique de Villepin, à la guerre en Irak. Bernard Emié participe à l’élaboration du fameux discours prononcé à l’ONU, moment fort de la politique étrangère française.

En 2004, pendant qu’un certain Bernard Bajolet -déjà croisé à Amman et désormais ambassadeur de France à Bagdad- négocie la libération des journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot à Bagdad avec des membres de la DGSE, Bernard Emié co-pilote la cellule de coordination avec Jean-Michel Casa, l’ambassadeur de France en Jordanie. Les deux reporters français seront finalement libérés le 24 décembre 2004, après 124 jours de détention.

« Haut commissaire » au Liban 

La carrière d’Emié n’a rien d’un long fleuve tranquille. Fin 2004, Chirac le nomme ambassadeur de France au Liban. Il s’agit d’une place stratégique pour la France car le premier ministre Rafic Hariri joue un rôle très important dans la diplomatie du Président. Elle est aussi affective pour Chirac. Nul n’ignore que le Premier ministre libanais est un grand ami personnel du Président et ce, depuis leur rencontre à Washington au début des années 1980. Hariri conseille en permanence Chirac, rappelle Malbrunot et Chesnot dans leur livre « Les chemins de Damas. Le dossier noir de la relation franco-syrienne », sorti en 2014.  Chirac se nourrit du sunnisme politique de son ami. Il se dit d’ailleurs que les instructions données à l’ambassadeur de France à Beyrouth émanent de l’opinion d’Hariri. De quoi exaspérer le Quai d’Orsay à Paris.

Cette nomination n’a évidemment rien d’hasardeux. Quelques semaines plus tôt, le 2 septembre 2004, la résolution 1559 a été adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Elle exige le départ des forces étrangères (en l’occurence des soldats syriens présents depuis 1975) du Liban. L’ambassadeur fait partie des architectes de ce projet avec une poignée de diplomates fidèles à Chirac. À Beyrouth, il sera un interlocuteur privilégié du camp Hariri.

Mais deux mois après son arrivée, en février 2005, l’assassinat de Hariri provoque un séisme. Si les antagonismes avec le syrien Bachar el-Assad sont déjà nombreux du côté de Chirac, cet assassinat est le point de rupture.

Pour les Libanais, la coupe est pleine. Les manifestations se multiplient. Une coalition politique anti-syrienne se met en place, avec « l’alliance du 14 mars », afin de faire bloc aux partis qui soutiennent l’influence syrienne (en l’occurence le Hezbollah). Emié est omniprésent. Il est même très proche des instigateurs du « 14 mars », dit-on. Cette révolution mettra finalement fin à 30 ans d’occupation militaire syrienne en avril 2005. Le camp anti-syrien remporte les élections. Chirac est salué. Mais la majorité parlementaire veut la chute du président Emile Lahoud, soutenu par Damas.

En février 2006, la France est accusée d’être un soutien majeur de l’offensive anti-Lahoud menée par la majorité parlementaire : l’ambassadeur Emié, aurait « donné les directives d’un plan d’action rapide », selon une source proche du Président libanais, rapportent alors les médias français. Emié, par son omniprésence, a aussi tendance à exaspérer. On le surnomme « le Haut-commissaire », en référence à l’époque où le Liban était sous protectorat français.

Ankara, la punition 

L’élection présidentielle de 2007 ouvre une autre page. Celle des règlements de comptes personnels. Nicolas Sarkozy n’a manifestement pas très envie de conserver les fidèles de Chirac et de De Villepin à des postes stratégiques . Au Liban, le nouveau locataire de l’Élysée nomme un proche, André Parant. Emié est expédié à Ankara dans un contexte où le nouveau Président clame haut et fort son refus d’une intégration de la Turquie au sein de l’Union européenne, alors que son prédécesseur y était plutôt favorable. « Une punition », note le grand reporter Georges Malbrunot. Le voilà éloigné du jeu. D’autant plus que le nouveau locataire opère un tournant dans la politique étrangère. Là où Chirac nourrissait une détestation de Bachar el-Assad, Sarkozy met fin à cette politique d’ostracisme.

Pendant ce temps, et alors que Paris détourne les yeux d’Ankara, – les Turcs voient en Sarkozy l’homme qui veut couper le lien entre l’Europe et la Turquie- Emié assiste à la montée en puissance d’Erdogan au niveau national et sur la scène internationale.

Après quatre ans en Turquie, en avril 2011, Emié devient ambassadeur de France à Londres. La fin du quinquennat de Sarkozy est marquée par un rapprochement avec les Chiraquiens (Juppé devient chef de la diplomatie) », note le grand reporter à l’Obs Vincent Jauvert, auteur de La Face cachée du Quai d’Orsay, publié en 2016. À Londres, il succède à un certain Maurice Gourdault-Montagne qui faisait partie de « l’équipe 1559 » quelques années plus tôt.

Un quinquennat s’achève mais Émié survit à l’alternance politique. À l’époque, la presse française relève que François Hollande multiplie les gestes en direction de Chirac. Si Sarkozy avait opté pour la case exil pour éloigner les pions chiraquiens, le tout nouveau locataire de l’Élysée le maintient en poste à Londres en 2012, puis à Alger en 2014, un poste prestigieux -mais surtout important car considéré comme l’antichambre du renseignement français.

Tension algérienne  

Alger est un poste de prestige mais il a aussi la réputation d’être compliqué. À plusieurs reprises, Bernard Emié -qui sera remplacé par Xavier Driencourt, déjà passé par Alger-, salue la coopération entre la France et l’Algérie sur le plan de la sécurité et de la lutte antiterroriste. Et loue « un partenaire d’exception ».

Officiellement tout va bien. Mais son passage à Alger est marqué par quelques couacs. Ses relations avec les officiels algériens sont difficiles. Ses rencontres avec les ministres du gouvernement Sellal sont rares, et l’ambassadeur n’a pas vraiment d’interlocuteurs. Quant aux dossiers de coopération économique – à l’instar de l’usine de montage Peugeot- Ils n’avancent pas.

Lorsque Manuel Valls, alors premier ministre, publie sur Twitter une photo d’Abdelaziz Bouteflika hagard en avril 2016, Alger se crispe. Ce n’est toutefois pas la première fois. Quelques mois plus tôt, en octobre 2015, Bernard Emié a été convoqué par les affaires étrangères algériennes au lendemain de la fouille de Hamid Grine, ministre de la Communication, à l’aéroport d’Orly. Pire : quelques jours avant le malheureux tweet, il est de nouveau convoqué pour s’expliquer sur le traitement du volet algérien de l’affaire des Panama Papers par le journal Le Monde (Bouteflika a d’ailleurs finalement retiré sa plainte mardi 20 juin, dans un souci d’apaisement).

Pendant la présidence Hollande, les délégations officielles vont néanmoins se succéder à Alger, sans qu’elles n’aient d’ailleurs un impact considérable. Protocole oblige : l’ambassadeur Emié est présent à chaque audience accordée par le président Bouteflika à Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian, ou encore Manuel Valls. C’est sans doute l’ambassadeur qui a le plus vu le chef de l’État algérien ces dernières années. Bien que la santé du Président soit un secret de Polichinelle, Emié répond toujours la même chose aux journalistes qui l’interrogent : le Président dispose de toutes ses facultés intellectuelles. Même son de cloche chez les officiels français.

Soutien de l’ex-patron de la DGSE 

Mais derrière la vitrine policée de la diplomatie, l’ambassade d’Alger est surtout le symbole d’une diplomatie secrète, qui travaille en étroite collaboration avec ses agents sur place. « Un des endroits où les choses se passent, ce sont les ambassades », commente laconiquement Vincent Jauvert, qui estime que le Quai d’Orsay est devenu « une annexe de la DGSE ».  Le prédécesseur d’Emié à la tête du grand service de renseignement, Bernard Bajolet, est lui-même passé par Alger…

C’est d’ailleurs le même Bernard Bajolet contraint de quitter son siège  – il a atteint l’âge limite pour diriger la DGSE- qui va souffler le nom d’Emié à l’oreille de son ami François Hollande. Un autre diplomate est dans la course : le sarkozyste André Parant, ambassadeur de France en Égypte. Élu président, Emmanuel Macron, hérite de la lourde tâche de constituer une nouvelle équipe au sein du renseignement. Il tranche en faveur de l’ambassadeur de France en Algérie.

Dans cette affaire, il ne faut d’ailleurs pas exclure qu’un autre grand diplomate, Dominique de Villepin -qui ne cache pas sa proximité intellectuelle avec Emmanuel Macron- ait pu lui aussi glisser le nom de son ancien collaborateur.

Interrogations à Alger 

Mais ce renforcement de la mainmise des diplomates sur la DGSE est loin de faire l’unanimité. « Certains agents estiment qu’il faudrait revenir à la nomination d’un militaire », note Georges Malbrunot. D’autant plus que l’ère Bajolet a eu tendance à exaspérer. Le patron du service de renseignement n’hésitait pas à contacter directement François Hollande pour lui communiquer des informations. Une proximité que n’entretiennent pas -a priori- le nouveau patron de « la piscine » et Emmanuel Macron.

Si la coopération avec les services algériens est plutôt du ressort de la DGSI, à Alger, cette nomination engendre aussi des interrogations sur l’évolution des relations, souvent déjà tendues, entre les services de renseignement des deux pays. Cette méfiance pèsera-t-elle sur la relation sécuritaire que tout le monde qualifie, jusqu’à présent, d’excellente ?

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