Société

Pourquoi les spécialistes quittent les hôpitaux pour le privé et l’étranger

« Le secteur de la santé publique en Algérie est sinistré ». C’est le constat amer que dresse le président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP), le Dr Mohamed Yousfi.

Une situation qui a abouti à une « saignée importante » en matière de compétences contraintes au départ à l’étranger. En vingt ans, « plus des deux tiers des spécialistes formés en Algérie ont rejoint le secteur privé ou sont partis à l’étranger », affirme le Dr Yousfi dans une déclaration à TSA.

« Ce sont les pouvoirs publics qui sont responsables de cette hémorragie, ajoute-t-il. Sur 50 000 spécialistes formés ces 20 dernières années, ils ne sont que 14 000 à exercer actuellement dans le secteur public ».

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Cette situation, selon le président du SNPSSP, est la somme d’une série de déceptions et de découragements que subissent ces spécialistes. À commencer par la décision du ministère de la Santé d’ouvrir des postes de chefs de services pour les hospitalo-universitaires dans des services de santé publique.

 « La tutelle a transgressé sa propre réglementation en ouvrant des postes pour les hospitalo-universitaires qui relèvent de l’Enseignement supérieur, et ce au détriment des spécialistes de santé publique », pointe le Dr Yousfi.

« Les spécialistes de santé publique représentent l’ossature du système de santé en Algérie. Et c’est le seul corps qui connaît un énorme déficit. Le paradoxe c’est que ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes par leur obstination à ne pas donner suite aux doléances, en fait les droits, de ces spécialistes qui les poussent à partir », s’insurge l’infectiologue.

Le marasme que vivent les médecins du secteur public trouve aussi son origine dans ce que le Dr Mohamed Yousfi qualifie d’ « injustice ».

Il s’agit en l’occurrence du problème relatif au service civil. Une exception qui ne concerne que les médecins spécialistes de santé publique, s’offusque le président du SNPSSP.

« C’est une injustice flagrante qui ne touche ni les autres corps de la santé ni les universitaires en dehors de la santé », dénonce-t-il avant d’ajouter : « Depuis 19 ans que nous réclamons des mesures incitatives. En avril 2020 et mai 2021, le président de la République a annoncé clairement, pour la première fois, des mesures incitatives en vue de l’abrogation du service civil ».

« Nous ne comprenons pas que, depuis deux ans, les instructions du président de la République ne sont pas mises en application. Le ministère de la Santé qui est censé suivre ce dossier n’a rien fait », regrette le Dr Yousfi.

Service civil et statut particulier

« Il ne faut donc pas s’étonner que l’écrasante majorité des spécialistes formés attendent avec impatience de passer cette mesure répressive de service civil, pour aller dans le privé et surtout à l’étranger », ajoute-t-il.

D’autres points en suspens depuis des années suscitent le courroux du président du SNPSSP. Il y a notamment le problème de « la mise en conformité de la prime d’intéressement ».

 « Depuis 19 ans que le dossier est bouclé et se trouve au Premier ministère. Notre syndicat est intervenu l’année dernière auprès du Premier ministre et c’est grâce à cette intervention que le dossier a été débloqué. Des réunions ont suivi entre le Premier ministre, le ministère de la Santé et la Fonction publique. Le dossier a été finalisé. Le côté technique étant réglé, nous avons sollicité le ministère de la Santé pour jouer son rôle politique en libérant le dossier et d’intervenir auprès du Premier ministre. Rien n’a été fait », déplore le Dr Yousfi.

Un autre point concerne le statut particulier des praticiens spécialistes de santé publique qui ne trouve toujours pas d’issue.

« Tout le monde reconnaît que le statut particulier le plus pénalisant dans la Fonction publique est celui des praticiens spécialistes de santé publique. Leurs droits sont bafoués. Le texte est plein d’anomalies. Il est gorgé d’injustices et ça, tout le monde en convient. Dix ans après, il vient juste d’être débloqué au même titre que les autres statuts suite aux instructions du président de la République », relate le président du SNPSSP qui déplore l’attitude de la tutelle.

« Nous avons tenu une réunion en août dernier avec le ministre de la Santé qui nous a demandé de lui exposer nos propositions alors même que le dossier était chez lui. Pour notre part, rien n’a changé. L’amendement du statut a été envoyé à la Fonction publique en avril 2021. Quatre mois après notre réunion, nous ne savons toujours pas ce que le ministère a fait ou ce qu’il compte faire du dossier, en sachant que le fond des problèmes du médecin spécialiste c’est ce statut particulier qui représente la première mesure incitative », poursuit le Dr Yousfi qui demande un statut à la hauteur du niveau universitaire des spécialistes.

« Il ne faut pas oublier que le spécialiste de santé publique a, avec les hospitalo-universitaires, le plus haut niveau universitaire (Bac+11 et Bac+12). Alors, il est inacceptable que ce statut indigne d’un médecin spécialiste n’ait pas encore été réglé », estime le Dr Yousfi.

Une autre pomme de discorde a été soulevée par le SNPSSP : la « discrimination » dans l’imposition. Explication du Dr Yousfi : « Le ministère de la Santé octroie les mêmes primes et indemnités pour les médecins spécialistes de santé publique et les hospitalo-universitaires. Ces derniers sont imposés au forfait à 10 % tandis que nous médecins spécialistes sommes imposés au barème comme le prévoit la loi, à 35 %. C’est quand même scandaleux. C’est une injustice dès lors qu’on est censé être égaux devant l’impôt ».

Pour régler le problème, le Dr Yousfi appelle à amender l’article de la Loi de finances 2010 disposant que toutes les indemnités permanentes octroyées par le ministère de la Santé aux hospitalo-universitaires sont des « indemnités accessoires ». « Autrement dit, on leur applique une imposition au forfait. Or, l’hospitalo-universitaire doit être imposé au même titre que nous médecins spécialistes de santé publique », revendique le Dr Yousfi. 

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