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Pourquoi un référendum est essentiel pour une vraie transition

Pourquoi un référendum est essentiel pour une vraie transition

Dans un monde qui observe avec désillusion le chaos du printemps arabe et la dérive des grandes démocraties de plus en plus vers des régimes autocratiques, voir l’élan pacifique du peuple Algérien vers la démocratie et la liberté est un fait remarquable et encourageant pour beaucoup de peuples opprimés à travers le monde. Ayant vécu les déceptions des soulèvements populaires précédents, mon espoir aujourd’hui est nourri par le changement générationnel pas seulement au sein du peuple mais aussi au sein de l’armée nationale. Le changement générationnel est l’ingrédient essentiel dans toute révolution politique réussie. Ce changement qu’on voit aujourd’hui s’exprimer à travers des manifestations exemplaires, et le soutien jusque-là apporté par l’armée au peuple est une chance formidable pour l’Algérie.

J’ai suivi avec beaucoup d’attention les derniers développements sur la scène nationale. Il est clair que l’institution militaire est la seule institution de l’Etat Algérien à garder une légitimité et à jouir d’une certaine confiance et crédibilité au sein du peuple. La récente déclaration du Chef de l’Armée Mr Gaid Salah sur la nécessité d’agir dans le cadre de la constitution pour protéger la volonté du peuple est tout à son honneur, encore faut-il que les solutions constitutionnelles disponibles puissent répondre convenablement aux demandes du peuple. Ma compréhension des dernières déclarations de l’armée combinant l’article 102 avec l’article 7 et 8 de la constitution suggère que nous allons vers des élections présidentielles. Les modalités d’un tel choix reste encore ambiguës.

Les élections présidentielles auraient été un aboutissement constitutionnel naturel si l’Algérie était dans une situation politique ordinaire. Hors, en milieu d’une révolution populaire, ce choix est inadéquat pour trois raisons principales :

Les élections présidentielles sont un acte qui impose un choix idéologique à la république pour la longueur du mandat électoral, ce qui est fondamentalement inopportun au moment où le peuple demande la refondation de la république elle-même sur la base d’un minimum de valeurs communes à tous.

Une élection présidentielle précipitée ne pourrait que favoriser les candidats déjà prêts et les organisations déjà établies, possédant les ressources et les réseaux nécessaires pour une telle entreprise, à savoir les cercles du pouvoir et les grands partis traditionnels. Une telle élection biaisée va marginaliser les nouvelles forces vives de la nation, et pourrait s’avérer fatale pour la revendication principale du peuple.

L’élection présidentielle risque de faire resurgir les divergences de visions politiques et économiques des acteurs politiques, alors que l’atmosphère actuelle d’union et de solidarité du peuple pourrait être mieux exploitée pour enfin sceller la réconciliation des Algériens avec leur diversité et jeter les jalons d’une nouvelle république moderne.

Devant les risques présentés par une éventuelle élection présidentielle et l’incapacité inhérente de celle-là à répondre aux défis du moment, la seule option constitutionnelle restante est un référendum populaire pour élire un conseil présidentiel de transition. Un conseil de transition politique pourrait facilement être désigné sans élection. Cependant, la nécessite d’un référendum populaire pour plébisciter ce conseil est vital pour le succès de celui-ci. L’enjeu dans cette instance de transition n’est pas seulement le choix des personnes mais aussi leurs prérogatives constitutionnelles. Un conseil élu au suffrage universel aura toutes les prérogatives d’un président de la république ainsi que la force et la légitimité nécessaire pour faire face aux pressions d’intérêts étrangers mais surtout les pressions endogènes des institutions de l’Etat. Un conseil de transition élu par référendum aura la capacité de prendre des décisions souveraines concernant toutes les institutions de l’Etat y compris l’institution militaire. Sans un tel pouvoir, il serait impossible de procéder aux changements profonds réclamés par le peuple. La gangrène de tout système politique est la tolérance ou la banalisation des forces souterraines et non-constitutionnelles. Les manœuvres de ces derniers jours au sommet de l’Etat sont un rappel que cela reste l’un des grands dangers qui guettent la révolution du peuple au cours des prochains mois. Une instance légitimée et renforcée par un référendum est seule à pouvoir y faire face.

Pratiquement, le référendum pourrait se réaliser en trois phases: la première et une étape d’apaisement où les grands symboles du régime sont écartés quitte à ne pas respecter à la lettre l’article 102 pour mieux servir l’article 7. Cela sera suivi de la formation d’un nouveau gouvernement technocrate de compétences nationales reconnues pour gérer les affaires courantes du pays. La seconde étape est la formation d’un nouvel comité pour l’organisation et la surveillance des élections, en consultation étroite avec les représentants du peuple. Enfin, ce processus va aboutir à la préparation et l’organisation d’un référendum populaire pour l’élection d’un conseil présidentiel de transition qui pourrait durer au maximum 2 ans. Si une telle durée parait longue, il faudrait rappeler que nous parlons ici de la fondation d’une nouvelle république, et le pire qui peut arriver à une révolution politique est de se construire sur un mauvais départ précipité.

Ce conseil peut se composer de 5 ou 7 personnes choisies parmi les figures qui animent le mouvement populaire. Je pourrai suggérer notamment les noms de Mustapha Bouchachi, Karim Tabou et Fodil Boumala, comme le cœur essentiel à ce conseil. Je ne connais pas personnellement ces personnes mais leur histoire, leurs actions, leur discours avant et pendant le mouvement populaire parait acquérir la confiance du peuple. J’aimerai préciser ici que l’idée selon laquelle les personnes composant le conseil présidentiel de transition ne devraient pas se présenter aux prochaines élections me parait pas seulement injuste et incohérente mais aussi inutile. Si le peuple a choisi ces personnes pour leur intégrité et leur compétence, pourquoi priver l’Algérie de leur service à l’avenir !?, et si ces personnes se mettent au service de la nation dans cette période critique, ils méritent mieux qu’une interdiction arbitraire de leur droit constitutionnel. Je ne vais pas traiter ici du rôle et des prérogatives du conseil présidentiel de transition, puisque nous avons déjà discuté cette question dans un article précédent publié sur TSA Arabe, et dans d’autres contributions que le lecteur pourrait trouver sur le site www.algerielibre.org.

Je tiens aussi à rajouter un point sur le mode de vote qui, bien que c’est un détail logistique, me semble important à souligner. Certaines idées d’un vote électronique ont été récemment avancées pour faciliter le processus électoral en Algérie. En dehors du fait qu’une telle approche nécessite une infrastructure informatique sécurisée actuellement inexistante, Il est important de rappeler que le malaise dans lequel se trouve certaines grandes démocraties aujourd’hui est dû en partie à une guerre électronique, qui cible non pas seulement l’opinion publique mais aussi les résultats des urnes eux-mêmes. S’il y a référendum, il est clair que le bulletin papier bien que moins pratique, reste le meilleur moyen pour protéger les élections d’une éventuelle interférence électronique étrangère.

Enfin, il ne faut pas négliger l’aspect psychologique de tous ces événements. Un référendum est aussi le moyen idéal pour canaliser toute cette énergie, colère et espérance du peuple vers un vote uni pour plébisciter le changement vers une nouvelle république.


*Une contribution de : Abdennour Abbas, Professeur à l’Université du Minnesota, USA.

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