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Prédation des années Bouteflika : seul un État de droit…

Prédation des années Bouteflika : seul un État de droit…

Après les Haddad et les Kouninef, une autre famille soupçonnée d’avoir profité des largesses du système Bouteflika est rattrapée par la justice. Mahieddine Tahkout, magnat du transport universitaire pendant un quart de siècle et depuis peu de l’industrie d’assemblage de véhicules, est détenu à la prison d’El Harrach en compagnie de son fils et deux de ses frères. Des faits graves leur sont reprochés : blanchiment, corruption, trafic d’influence…

Dans la même affaire, 45 personnes au total sont poursuivies, dont 38 fonctionnaires, un ex-Premier ministre, un ministre de l’actuel gouvernement, d’anciens ministres et des walis anciens ou en exercice. Du beau monde en somme.

Pendant des années, il a été fait à la justice algérienne le reproche d’être une nasse aux mailles juste bonnes à retenir le menu fretin. Le premier procès de l’affaire Khalifa en 2007 est toujours dans les esprits. Malgré le « j’assume » prononcé à la barre par Abdelmadjid Sidi Saïd, patron de l’UGTA, et le « j’ai manqué d’intelligence » avoué avec la même solennité par Mourad Medelci, ministre des Finances, les juges avaient fait mine de n’avoir rien entendu, envoyant en prison les banquiers et autres simples employés de l’entreprise et épargnant le reste.

La justice veut bien faire croire qu’elle a changé dans le sillage du soulèvement populaire du 22 février et il n’y a, a priori, pas de raisons de ne pas la croire. De gros poissons passent depuis à la trappe et ils ont pour noms général Toufik, puissant chef des services secrets pendant 25 ans, Bachir Tartag son successeur, Saïd Bouteflika, véritable régent du pays depuis au moins 2013, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, anciens Premiers ministres…

Ceux qui soutiennent qu’il ne faut pas faire la fine bouche devant les acquis du mouvement populaire en cours n’ont peut-être pas tout à fait tort, du moins sur ce registre. Le pays a franchi une épaisse barrière psychologique en rompant avec cette règle non écrite en vigueur depuis l’indépendance et qui veut que les hauts responsables ne passent pas, à de rares exceptions, par la case prison.

Le président Bouteflika lui-même, soupçonné de détournement du temps où il était ministre des Affaires étrangères, a échappé au châtiment dans les années 1980 grâce à cette entente tacite. « J’ai fait ce que j’avais à faire envers un membre du système », avouera bien des années plus tard le président Chadli Bendjedid qui avait passé l’éponge sur cette affaire.

Le menu fretin tout aussi coupable que les gros poissons

C’est déjà ça de gagné : l’envoi à l’ombre de dignitaires du régime n’est plus un tabou et ne choque plus. L’enjeu désormais est de prémunir le pays de la résurgence de ces pratiques qui l’ont ruiné, du moins dans les proportions ahurissantes auxquelles on a assisté dans les années Bouteflika.

La tâche incombe à la justice et aux autorités politiques. La première est appelée à n’épargner personne dans les affaires en cours de traitement, y compris le fameux « menu fretin ». Les responsables de rang subalterne et même les petits fonctionnaires qui ont exécuté des directives contraires à la loi sont tout aussi coupables que les donneurs d’ordre.

Leur condamnation fera réfléchir à deux fois ceux qui se retrouveraient devant des situations similaires à l’avenir et leur fera comprendre que la responsabilité ne se limite pas aux gros salaires et aux avantages, mais suppose aussi quelques risques qu’il faudra prendre le moment venu. La convocation de procureurs qui ont failli à une obligation inscrite dans leur mandat en refusant de s’autosaisir lorsque des soupçons de malversation mettant en cause Haddad, Tahkout et d’autres avaient été révélés ces dernières années, contribuerait aussi à amener chacun à jouer le rôle qui est le sien.

Le pouvoir politique, celui qui émanera des urnes à l’issue de la transition, aura, lui, à procéder en amont en œuvrant à concrétiser le principe de l’indépendance de la justice et à assurer une solide protection aux fonctionnaires dans le cadre d’un véritable État de droit. Ne pas le faire, c’est réduire aux yeux de l’opinion l’opération mains propres en cours à une vulgaire vengeance et condamner le pays à revivre le cauchemar des années Bouteflika.

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