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Privatisations des entreprises : beaucoup de paroles, mais peu d’actes

Privatisations des entreprises : beaucoup de paroles, mais peu d’actes

Anis Belghoul / PPAgency
Le premier ministre Ahmed Ouyahia, en compagnie de Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense nationale

Le débat sur la privatisation des entreprises publiques revient aux devants de la scène mais le flou persiste sur la démarche que le gouvernement entend adopter.

Samedi 23 décembre à Alger, Ahmed Ouyahia, Premier ministre, a annoncé, lors d’une Tripartite réunissant l’UGTA et les organisations patronales, la décision d’ouvrir le capitale des PME (Petites et moyennes entreprises) qui dépendent de l’État « dans le cadre de la loi ».

Une ouverture prévue depuis la loi de finances 2016 pour « l’actionnaire national résident » qui peut posséder les deux tiers de l’entreprise à privatiser. Mais qui est restée lettre morte, en raison notamment des réticences des managers publics et surtout de l’absence d’une volonté politique.

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« L’entreprise publique ne tombe pas en faillite parce qu’elle est propriété du trésor public. Les créanciers viennent légalement demander des comptes au trésor. Cette relation organique va se développer en ouvrant le capital et en passant au partenariat à l’exception d’entreprises stratégiques. En attendant, il n’y aura pas de ségrégationnisme dans le traitement des entreprises économiques », a déclaré Ouyahia sollicitant l’appui de l’UGTA et des organisations patronales. Il n’a pas cité les entreprises qualifiées de « stratégiques ».

Il s’agit généralement de Sonatrach, de Sonelgaz, de Naftal, d’Algérie Télécom, de la SNVI et d’Air Algérie.

Selon lui, les difficultés financières du pays ont amené à différer l’ouverture économique sur le monde. Une ouverture qui signifie visiblement la privatisation à large échelle. « J’espère que ce temps supplémentaire donné aux entreprises publiques, privées ou mixtes a été mis à profit pour renforcer leurs capacités et leur efficacité », a-t-il dit, plaidant pour « une économie de marché à caractère social ».

Réformer la gouvernance va contraindre l’État, selon lui, à abandonner certaines charges « pour s’occuper d’autres missions », comme la construction de logements. Le Premier ministre sait que l’État, faute de moyens financiers, ne peut plus soutenir des entreprises publiques, défaillantes et peu rentables.

Le 10 novembre dernier, dans un entretien à Dzair News, M. Ouyahia affirmait que le rôle des entreprises publiques n’était pas de régler le problème du chômage. « On ne peut pas traiter la crise du chômage par les entreprises publiques », a-t-il assuré, en ajoutant que l’entreprise recrute selon ses besoins.

Le FLN est contre la vente du patrimoine public

Ces déclarations n’ont pas plu à Djamel Ould Abbes, secrétaire général du FLN, qui émet des doutes sur les démarches d’Ahmed Ouyahia notamment en matière du partenariat public-privé (PPP).

« Le FLN est le protecteur du secteur public. On ne veut pas qu’il soit touché », a-t-il dit. Ould Abbes a lié le secteur de l’État à « la souveraineté nationale », rejoignant, quelque part, le Parti des Travailleurs (PT) de Louisa Hanoune.

Cela amène inévitablement à des interrogations : est-ce que Ahmed Ouyhia, qui est également secrétaire général du RND, applique le programme du président de la République ou non ? Si oui, pourquoi le FLN, qui n’a jamais cessé de se cacher derrière le programme du chef de l’État et qui a voté pour la loi de finance 2016, est-il hostile aux actions du Premier ministre ?

Stratégiquement, Bouteflika a, depuis son arrivée au pouvoir en 1999, évité d’ouvrir le dossier des privatisations, perçu comme sensible. Dans la deuxième moitié des années 1990, Ouyahia a été beaucoup critiqué dans ses choix économiques en matière de « modernisation » du secteur public, de privatisations et de « moralisation de la vie publique ».

La première modification de l’Ordonnance 95/22 portant privatisation a eu lieu en 1997 sur proposition d’Ouyahia, alors chef du gouvernement.

Vingt ans après, Ouyahia, connu par ses choix libéraux, donne l’impression de vouloir remettre en selle le projet de privatisation des entreprises publiques et de se débarrasser des « corps malades » du secteur industrie public, peu compétitif et fortement concurrencé par les produits importés.

Déjà en juin 2017, Ahmed Ouyahia, alors directeur de cabinet à la présidence de la République, avait plaidé pour la vente aux opérateurs privés des entreprises publiques « dont la situation financière se détériore en raison de difficultés relatives au plan de charge et à la gestion ».

Il avait parlé d’hôtels et de minoteries. Les dirigeants des groupes économiques publics vont bientôt être convoqués par le Premier ministre pour mettre en pratique le partenariat PPP dont le contenu reste encore peu précis mais dont la finalité suprême reste l’ouverture de capital de la plupart des entreprises publiques au privé algérien.

Lazhar Bounafaa, président-directeur général du groupe public Hôtellerie, Tourisme Thermalisme (HTT), a déjà annoncé la couleur en faisant signer à toutes ses filiales des contrats de performance et en n’écartant pas l’option privatisation. Mais pourquoi l’État continue-t-il de gérer des hôtels ? C’est un autre débat.

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Où est la stratégie industrielle de Temmar ?

Lors de la rencontre de l’UGTA et le patronat, Ouyahia a évoqué la réaffirmation de l’autonomie des Entreprises publiques économiques (EPE) et a parlé de « nouvelles occasions » de soutien par « l’État propriétaire » aux fins de réhabiliter les entreprises.

Il n’a pas donné d’indications sur le montant qui sera dégagé pour cette opération de réhabilitation. Qu’en est-il des précédentes opérations qui n’ont pas été suivies de bilan ?

L’État a retenu un plan de redressement pour Air Algérie, sans résultat apparent puisque la compagnie nationale fait face à des difficultés financières et est citée en exemple en matière de mauvaise qualité de prestations de service.

En 2008, Abdelhamid Temmar, alors ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements, avait lancé un programme de « stratégie nationale » consistant en la création de « 13 champions nationaux » dans les secteurs de la sidérurgie, du transport aérien, de l’énergie, de l’industrie mécanique, de la pharmacie, etc.

Des champions qui allaient naître de « la fusion » entre entreprises publiques et privées du même secteur. Qu’en est-il neuf ans après de cette stratégie ? Elle a visiblement été abandonnée sans explication et sans alternatives connues. Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’Industrie et des Mines, a quitté son poste, en 2016, sans avoir présenté un bilan des opérations de privatisation comme il l’avait promis. Il avait parlé de cinquante opérations.

Le gouvernement Ouyahia, qui semble avoir retenu « les leçons » du passé, et poussé par les nouvelles contraintes budgétaires, entend aller vers la privatisation des entreprises et, probablement, la fermeture de certaines entités économiques au niveau local, d’une manière graduelle.

Il reste qu’aller vers ces choix en 2018, année préélectorale hautement politique, sera un pari risqué, car privatisation et cessation d’activités signifient compression des effectifs, chômage et nouvelles pressions sociales.

Le FLN craint-il cette perspective pour élever la voix aussi fort et adopter les accents de l’opposition ? Ou s’agit-il d’autres calculs politiques qui paraissent incompréhensibles à l’heure actuelle pour l’opinion publique ?

Dans le sillage de l’ouverture, le gouvernement Ouyahia, qui ne parait pas perturbé par les critiques, entend visiblement aller vers la formule Build, Operate and Transfert (BOT) en vue d’impliquer davantage le privé algérien dans les projets d’équipement et d’investissement publics. « Nous encourageons les opérateurs économiques notamment privés à participer au financement, à la réalisation et à la gestion, des infrastructures que l’État viendrait à lancer », a déclaré le Premier ministre devant l’UGTA et les patrons.

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