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Rencontre avec Drifa Ben M’hidi : « J’ai refusé de serrer la main du colonel Bigeard »

Rencontre avec Drifa Ben M’hidi : « J’ai refusé de serrer la main du colonel Bigeard »

TSA
Drifa Ben Mhidi dans sa maison à Bouzaréah.

Drifa appartient à une famille de révolutionnaires. Ses deux frères, Larbi et Tahar Ben M’hidi sont morts pour la patrie. Elle-même a transporté armes, lettres et bombes, dans son cartable de collégienne. Drifa Ben M’hidi nous accueille dans sa maison de Bouzaréah. À 79 ans, Madame veuve Abdelkrim Hassani a la mémoire intacte. Elle remonte le fil du temps et revient sur des faits historiques en rapport avec l’exécution de son frère, mais pas seulement.

Drifa, la benjamine de la famille Ben M’hidi nous livre quelques secrets sur la personnalité de feu son grand frère, Larbi Ben M’hidi arrêté le 23 février 1957 et exécuté dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, à l’âge de 34 ans. « Ce sont ses frères de combat qui l’ont donné », martèle Drifa. Quelques jours avant son arrestation, Larbi s’était réfugié à la Casbah. C’était la grève des 8 jours et l’armée était sur les dents.  Yacef Saâdi lui avait conseillé de quitter l’ancienne médina encerclée par les soldats. « Mon frère trouva une planque dans un appartement de la rue Debussy, située entre le Telemly et la rue Michelet. Quarante-huit heures plus tard, il fut arrêté. Il n’y a aucun doute sur cette question. Il n’est pas tombé par hasard dans les filets du colonisateur. C’est l’un de ses frères de combat qui l’a ‘’vendu’’. Les noms de Yacef Saâdi et de Brahim Chergui ont circulé, mais il s’est avéré que c’était une fausse piste. Je pense que la vérité finira par éclater un jour ».

Né en 1923 dans le village d’El Kouali, à Ain Mlila, Larbi Ben M’hidi a commencé à s’intéresser à la politique vers l’âge de 17 ans. « Il était chef scout, jouait au foot dans l’équipe de l’Union Sportive de Biskra et  faisait du théâtre. Mais il avait aussi une conscience politique exacerbée », nous apprend Drifa.  Seize ans la séparaient de son frère. Une tendre complicité les unissait.

« Larbi m’adorait. Quand il revenait d’Alger, il m’apportait toujours des cadeaux. Surtout des parfums et de beaux vêtements. Un jour, il est arrivé avec une valise qu’il déposa dans sa chambre : « Drifa va vite l’ouvrir. Il y a des choses pour toi. Portes les et rejoins nous au salon ». Nous étions alors dans notre maison à Constantine. J’ai ouvert la valise et j’ai découvert un pantalon, un manteau, un béret et des bottes à ma taille.  En me voyant accoutrée ainsi, ma mère a houspillé mon frère :  » Tu veux en faire un garçon ou quoi ? Une fille portant un pantalon ? Décidément, on aura tout vu ! » ».

« En fait Larbi avait l’esprit ouvert. C’était un homme moderne. Il insistait pour que je sois brillante dans mes études. Il disait que c’était important que les femmes réussissent dans leurs études pour faire avancer la société auprès des hommes », poursuit-elle. 

Les nuits clandestines de Larbi

Drifa Ben M’hidi rembobine la machine à remonter le temps. « Nous vivions entre Constantine et Biskra où mon père possédait une fabrique de tabac qui lui fut confisquée par la suite, par l’administration française. Je me souviens d’une conversation qui s’est tenue un soir entre mon père et Larbi. Mon père semblait très préoccupé. Il avait remarqué que son fils rentrait tard et s’est mis en tête, qu’il filait du mauvais coton. Ce soir-là, j’ai surpris la discussion qu’ils ont eue tous les deux. Ma mère était également présente. Larbi a tenu à rassurer mes parents : « Votre fils ne fume pas, ne se drogue pas, ne vole pas et ne commet aucun acte immoral. Je ne suis qu’un seul chemin et je ne peux y renoncer. Si Dieu veut, nous allons enfin chasser les Français de note pays. Voilà ! Vous savez tout à présent et j’aimerais avoir votre bénédiction ». Cette nuit-là, mon père comprit enfin à quoi son fils occupait ses soirées. Il lui murmura :  » Tu es pardonné ‘’mssamah’’, à la vie et à la mort ». Larbi lui embrassa la main. Il lui demanda la permission d’organiser de temps en temps des réunions avec les ‘’frères’’ à la maison et mon père la lui accorda ». 

Un double tonneau avec Mustapha Ben Boulaid

Activement recherché, Larbi Ben M’hidi ne remet plus les pieds à la maison. « C’était l’été 1952 et cela faisait une année que nous ne l’avions plus revu. Larbi nous avait alors rejoins sur la plage Jeanne d’Arc à Skikda, où nous avions planté une tente afin de passer pour de simples estivants.  Il y avait mes parents, mon frère Tahar, mes sœurs, mon beau-frère et ses enfants. Ces quelques jours passèrent comme dans un rêve. Mon frère reprit sa vie militante clandestine. Un an plus tard, en 1953, il alla à Batna retrouver Mustapha Ben Boulaid qu’il appelait Khali. Il lui demanda de le conduire à Biskra afin de revoir mes parents. Mustapha Ben Boulaid lui suggéra d’attendre le surlendemain. Une course cycliste est prévue sur ce tronçon. Avec le peloton des cyclistes, on passera inaperçus ».

Durant le voyage, ils eurent un accident. La voiture de Ben Boulaid fit deux tonneaux, mais grâce à Dieu, ils s’en sortirent tous deux, indemnes. Mon frère resta une douzaine de jours avec nous. En faisant ses adieux à ses parents, il avait comme un mauvais pressentiment. Ce fut la dernière fois que je revis mon frère », révéla Drifa. 

Où est la dépouille de mon fils ?

C’est par la voie de la radio que la famille Ben M’hidi apprit la mort de son fils. « Nous écoutions ’Sawt el Arab’ et nous eûmes la terrible nouvelle par la voix de Aissa Messaoudi. On avait alors annoncé que Larbi s’était pendu dans sa cellule. Mon père fut anéanti. Il n’a pas supporté le mot ‘’suicide’’.  Ma mère fut dévastée, elle aussi. Elle avait eu plusieurs garçons mais ils sont tous morts petits à part Tahar et Larbi. Le destin s’acharnait sur elle. Tahar est tombé au maquis à 24 ans. Larbi est mort ‘’chahid’’ à 34 ans. La France lui a pris les deux prunelles de ses yeux ».

Drifa se souvient que son père était déterminé à découvrir l’emplacement où avait été ensevelie la dépouille de son fils. « Engoncé dans son élégant burnous noir, il se rendit à Alger et demanda à rencontrer le colonel Bigeard. Croyant avoir à faire à un Bachagha venu faire un rapport sur les ‘’fellagas’’,  le colonel le reçut rapidement dans son bureau. Mon père déclina son identité et demanda à connaître l’emplacement et le numéro de la tombe de son fils. Ce que Bigeard lui accorda à une seule condition. Ne pas ouvrir la tombe. Mon père se rendit sur les lieux et posa un écriteau avec le nom de son fils. Des soldats l’attendaient sur place. C’était au cimetière d’El Alia ».

Votre main est tachée du sang de mon frère

Dans les années 1980, Drifa ben M’hidi  remua ciel et terre pour rencontrer le Colonel Bigeard. « J’avais promis à mon père avant son décès survenu juste après la mort de Larbi,  de faire la lumière sur les circonstances exactes de sa mort. Grâce aux démarches effectuées par mon mari,  j’ai pu rencontrer ce tortionnaire à Paris. Il m’a tendu la main pour me saluer. Je lui ai lancé  :  » Je ne vous sers pas la main. Elle est tachée du sang de mon frère ». Puis, j’ai enchaîné à brûle- pourpoint : « Est-ce que c’est vous qui l’avez tué ? « . Bigeard m’a répondit :   « Non, ce n’est pas moi. Je l’ai livré aux services spéciaux. C’est eux qui l’ont éliminé. Et je dois admettre que votre frère était  un homme très courageux ».

La boucle était bouclée. Drifa Ben M’hidi rétablissait la vérité. Son frère, le vaillant révolutionnaire, ne s’était pas suicidé. «  Le lendemain de mon retour de Paris, je me suis rendue sur la tombe de mon père à Biskra, accompagnée de mon époux.  Je l’appelai « Baba », « Baba », « Baba »… trois fois et lui dis ce qu’il espérait entendre de son vivant.  « Oulidek ma qtal’che rouhou » (Ton fils ne s’est pas suicidé).  Je me suis sentie enfin apaisée d’avoir tenu la promesse faite à mon père ». Plus tard, en 2002, le général Aussaresses confirma publiquement que Larbi Ben m’hidi ne s’était pas donné la mort. 

Meriem, l’amour de sa vie

Née le 18 juin 1939, Drifa Ben M’hidi était le chouchou de la famille. « Quand j’ai eu 16 ans, Larbi me chargea d’une mission un peu spéciale. En fait, il avait des sentiments pour une fille du nom de Meriem, dite Ménia. Elle était issue d’une famille des Aurès établie à Biskra. Il l’avait vue un jour en compagnie de son père. J’ai deux sœurs aînées mais c’est moi qu’il choisit comme messagère. Je fus chargée d’aller rendre visite à cette famille et de porter un message à son père Si Mustapha. « Dis lui que je veux demander la main de sa fille. Qu’il ne la donne en mariage à aucun autre homme. Je l’épouserai à la fin de la guerre, même si c’est dans 50 ans ».  À la question de savoir si Drifa avait rencontré la promise de Ben M’hidi, elle répond : « Oui ! C’était une jolie fille. Peau laiteuse, yeux claires, d’une grande élégance.  Après la mort de mon frère, elle a fait sa vie et a eu des enfants. Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde ». 

Ainsi parlait Ben M’hidi

Drifa partage encore une anecdote avec nous.  « Un jour, ma mère revenait d’un ‘’sabâa’’ (baptême) et elle  se mit à taquiner Larbi.  « Et toi, quand est-ce que tu vas enfin te décider à te marier et à me donner des petits-enfants, mon fils ? » Larbi  lui répondit en riant : «  Si je survis à l’indépendance, tu auras une ribambelle autour de toi.  Mais si je meurs, considère que tous les enfants de l’Algérie libre, seront mes enfants ».

Sur les murs de son  salon,  Drifa Ben M’hidi a accroché  une série de portraits des êtres qui lui sont chers : Ses parents, Tahar son frère, mort au maquis, son époux  Abdelkrim Hassani, ancien commandant de l’ALN et Larbi son frère, qui lui offrait de jolis cadeaux  et  dont elle continuera à entretenir la mémoire, jusqu’à son dernier souffle.

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