search-form-close
Rencontre avec Mouloud Lounaouci, l’un des précurseurs du Printemps berbère

Rencontre avec Mouloud Lounaouci, l’un des précurseurs du Printemps berbère

Militant de la première heure et un des 24 détenus d’avril 1980, Mouloud Lounaouci, médecin et doctorant en sociolinguistique, parle ici des avancées réalisées par la cause amazighe et de son avenir.

Le 38e anniversaire des événements d’avril 80 sera fêté vendredi. Quel constat faites-vous aujourd’hui du combat pour la reconnaissance de l’identité amazighe ?

Le printemps amazigh a été le point culminant d’un long parcours militant. Déjà, Amar Imache, secrétaire général de l’Étoile Nord Africaine, parlait sans être explicite par rapport à l’amazighité, de l’organisation de la société kabyle comme source d’inspiration pour la construction d’un État algérien moderne et progressiste. Ceci, juste pour montrer la profondeur du mouvement.

Trente années après l’explosion de 1980, nous pouvons tirer quelques conclusions. D’abord, pour ne pas faire figure de nihiliste, je dirai qu’il y a eu beaucoup d’avancées mais on aurait pu faire l’économie d’une violence étatique aussi forte, pour des revendications totalement légitimes et faisant partie, tout simplement, des droits humains.

Oui, on est passé de la phase de la quasi-interdiction de l’amazighité à une ouverture en matière de langue, culture et identité, même si cette liberté est tout de même surveillée. Les citoyens parlent tamazight sans complexe, la langue a pénétré le système éducatif, au moins symboliquement, des instituts universitaires ont vu le jour, Yennayer est reconnu officiellement comme fête nationale…

Les valeurs portées par le combat amazigh sont-elles « socialisées » par les nouvelles générations ? Sont-elles toujours d’actualité ?

Le MCB (Mouvement Culturel Berbère) a été à l’origine de nombreux mouvements de lutte avec tout ce que cela suppose de valeurs citoyennes et de droits de l’Homme. Ce mouvement a notamment libéré la parole et les événements de 1988 en sont un exemple.

Par sa défense de l’amazighité, il a été surtout un mouvement qui a porté les valeurs d’inter-tolérance au niveau national.

Il faut peut-être rappeler que les actions de solidarité, les droits de l’Homme, le droit associatif, le droit de grève ont pratiquement pris naissance à Tizi-Ouzou.

Bien sûr que ces valeurs qui sont intemporelles, parce que l’être humain doit toujours aspirer à mieux, sont encore d’actualité. Ceci dit, il y a encore beaucoup de terrain à gagner en matière de droits culturels et linguistiques de même que de libertés publiques et de droits sociaux.

Quel est l’apport du combat amazigh pour le pays et la construction démocratique ?

Je l’ai dit plus haut, tous les mouvements de lutte sont partis de Kabylie qui a eu l’insigne honneur d’être qualifiée de subversive et de turbulente. Nous en avons payé le prix mais cela valait la chandelle.

Aujourd’hui, certaines libertés, au moins formelles, sont devenues réalité. L’ère du parti unique a disparu, la presse écrite s’est enrichie de plusieurs titres, des télévisions non étatiques ont vu le jour, la Constitution (même encore critiquable) reconnaît, en partie, la diversité. Globalement, le MCB, mouvement citoyen, indépendant et progressiste a eu un effet starter sur toute la dynamique libératrice de citoyenneté, qui reste tout de même à accélérer, dans le pays.

L’université qui a été le berceau et le foyer de la revendication berbère, semble avoir perdu ses traditions de lutte. Ne partagez-vous pas ce sentiment ?

D’abord il faut savoir, et c’est un phénomène universel, que tous les mouvements de lutte ont des phases de flux et de reflux. Ceci dit, l’objet de revendication n’est jamais éteint tant que les solutions n’ont pas été apportées. Le phénix renaît toujours de ses cendres. De plus, faut-il le préciser, le mouvement s’est popularisé. Il est présent partout, dans les villes et villages, en milieu scolaire et professionnel. Il n’y a pas un seul pan de la société où le mouvement n’est pas implanté.

D’autre part, la lutte a changé de nature. On ne juge plus la vigueur du mouvement à l’aune de ses manifestations. Aujourd’hui, le mouvement trouve sa force dans la vie quotidienne à travers les pratiques sociales. La production littéraire, les essais, les contributions dans la presse écrite et télévisuelle, l’amazighisation de l’environnement, la scolarisation des enfants sont autant de terrains conquis qui s’élargissent progressivement.

Les démonstrations publiques restent utiles mais n’ont de sens que pour lever une situation de crise. Et dans tous les cas, la violence, la casse, les grèves de longue durée doivent être évitées parce que contre-productives.

Quelle appréciation faites-vous de l’action du gouvernement en faveur de tamazight ?

Les acquis dont vous parlez font partie des droits naturels. Jusqu’à une époque très récente nous étions, en tant qu’amazighs, objet de négation. En d’autres termes, nous n’étions que des citoyens de deuxième collège. Ces actions gouvernementales, comme vous les appeler, viennent simplement rendre, en partie, justice à une situation ubuesque qui faisait que le premier peuple d’Afrique du Nord n’était pas reconnu. Comme je l’ai dit au début de l’entretien, ces avancées auraient pu se faire sans heurts.

Pour ce qui est de ces actions proprement dites, elles relèvent d’une politique de pacification. La revendication amazighe est devenue supranationale et il n’est plus possible de faire l’impasse sur les revendications. Mais toute la volonté politique n’y est pas. Constitutionnellement, l’Algérie reste fondamentalement arabo-islamique et l’amazghité n’est prononcée que du bout des lèvres.

Une académie de la langue amazighe sera bientôt créée. Quelle est votre point de vue sur cette question ?

Je l’ai écrit dans un autre titre, l’académie est une institution importante parmi d’autres. Elle fonctionnera aux côtés des universités et autres centres de recherche. Elle peut être un instrument magnifique de développement de l’amazighité ou inversement un outil de blocage. Tout dépend, en fait, du statut qui lui sera accordé. Si elle est autonome et si la composante humaine est compétente et militante, tout se passera pour le mieux.

La question de la transcription de la langue amazighe n’est toujours pas tranchée alors qu’elle a été dotée d’un statut officiel. En votre qualité de doctorant en linguistique, quels caractères préférez-vous et pour quelle raison ?

La question de la graphie ne devrait pas se poser. Elle a été réglée depuis plus de deux décennies en Kabylie qui représente la région où le taux de scolarisation en tamazight est le plus élevé. Le caractère latin (dont je suis adepte) est le choix absolu parce qu’on ne peut effacer raisonnablement tout ce qui a été fait. Et puis, il faut également assumer ce graphème qui relève d’un choix idéologique. Nous marquons ainsi la volonté d’arrimer l’Afrique du Nord au monde du progrès et de la modernité. L’alphabet tifinagh doit être aussi utilisé, dans certaines circonstances, comme graphème identitaire.

Des parties ne s’étant pas distinguées par un quelconque apport en faveur de tamazight réclament à cor et à cri, le droit de décider dans quels caractères doit-elle être écrite. C’est le cas de l’association des Oulemas qui s’est estimée en droit d’émettre une fatwa sur cette question…

Franchement, les oulémas et leurs affidés sont très mal placés pour donner leur avis. Leur haine de l’amazighité remonte au mouvement national qu’ils n’ont rejoint que bien tard. Rappelons-nous qu’ils ont toujours été assimilationnistes et qu’ils ne revendiquaient que la possibilité d’étudier la langue arabe et de pratiquer l’islam dans la mère patrie, la France. Il n’y a qu’à relire leur propre organe d’expression de l’époque.

Pour répondre clairement à votre question, il faut définitivement admettre que la langue appartient prioritairement à ses locuteurs et que seuls ces derniers ont le pouvoir de décider du sort de leur langue.

Nombre d’observateurs se demandent sur quel registre joueront les militants berbéristes pour mobiliser la population maintenant que le chef de l’État ait procédé à l’officialisation de la langue tamazight tout en accordant le statut de fête nationale à Yennayer. Que leur répondez-vous, vous le militant de la première heure ?

Vous posez la question comme si la contestation était notre oxygène. Nous avons, nous militants, une vie tout à fait normale avec nos joies et nos peines.

Nous n’avons pas fait vœux de subversivité et nous ne militons que par nécessité et toujours par conviction (un mot malheureusement galvaudé de nos jours).

Personnellement, je suis médecin depuis plus de quatre décennies et j’aurais aimé avoir l’âme en paix et ne m’occuper que de mes patients. Si j’ai décidé d’entrer en militance avec les risques que cela supposait, c’est tout simplement parce que je ne pouvais pas supporter l’injustice faite en direction des amaziphones qui ont pourtant tout donné durant la révolution algérienne.

Croyez-moi, si le statut du tamazight était strictement le même que celui de l’arabe, le MCB aurait cessé d’exister. Malheureusement, c’est loin d’être le cas.

Considérez-vous que la mission de votre génération soit arrivée à son terme ?

Le militantisme n’admet pas de retraite. Même handicapés physiquement, il y a toujours moyen d’accompagner la relève. Nous avons le devoir de communiquer notre expérience pour que nos jeunes ne reproduisent pas nos erreurs. Nous avons aussi un devoir de pédagogie et un devoir de mémoire envers eux pour que les luttes à venir gardent tout leur sens.

Comment voyez-vous l’avenir de la langue et de l’identité amazighes en Algérie, voire au Maghreb ?

Actuellement, le combat a beaucoup avancé. Il a dépassé les frontières. Le Maroc, La Tunisie, La Libye, les Îles Canaries, Les Touregs et les Siwis (en Égypte) revendiquent autant qu’en Algérie leur amazighité. Les niveaux de lutte ne sont, évidemment pas les mêmes et les acquis ne sont pas au même stade, mais ce qui est sûr, c’est la volonté commune de redonner à l’Afrique du Nord sa véritable identité, plurielle c’est sûr, mais fondamentalement amazighe et ouverte sur l’universalité.

J’ai la ferme certitude que Tamazgha, cette réalité historique, reverra le jour dans une Afrique du Nord résolument méditerranéenne.

  • Les derniers articles

close