Dans cet entretien, Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou, revient sur la révision à la hausse du PIB de l’Algérie pour 2022, le gel du comité de redressement fiscal, la réforme fiscale, la hausse du PIB par habitant…
L’Algérie a revu à la hausse son PIB pour 2022 à 233 milliards de dollars alors que le FMI l’a estimé à 187 milliards. Comment expliquez-vous cette différence ?
Chaque pays dispose d’un système de comptabilité nationale qui lui permet d’établir ses comptes nationaux et par-delà élaborer les principaux indicateurs économiques.
Le PIB en est un, le plus connu, car il est celui par lequel s’effectue la plupart des comparaisons entre pays, mais également à travers lequel est quantifiée l’activité économique durant une année.
L’évolution du PIB entre deux périodes détermine le taux de croissance économique. Le Système de comptabilité nationale 2008 (SCN 2008) a été préparé et publié sous les auspices des Nations Unies (commission de statistique) en collaboration avec d’autres organisations internationales, dont le FMI.
Ce système définit la méthodologie de calcul des comptes nationaux et des indicateurs économiques, que chaque pays doit suivre à titre de référence, et ce, à des fins d’harmonisation et pour répondre aussi à des besoins des utilisateurs.
Donc logiquement, la mesure du PIB algérien telle qu’elle est faite par le FMI, notamment lors de la consultation avec l’Algérie au titre de l’article IV de ses statuts et le calcul qui est fait par les institutions spécialisées nationales, le résultat devrait être très proche du fait de la même méthodologie appliquée.
L’écart important constaté pour l’année 2022, pourrait être dû essentiellement à un changement de quelques variables à des fins d’actualisation.
Au demeurant, le système statistique national gagnerait en efficacité en améliorant la collecte des données.
On doit considérer les statistiques économiques, cohérentes et détaillées, comme des ressources informationnelles essentielles qui s’utilisent avant tout à des fins de prise de décisions, d’analyse et de recherche.
Le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane a annoncé dimanche le vrai PIB de l’Algérie en précisant que cela a été fait après un rebasage. De quoi s’agit-il ?
Dans la méthodologie de calcul d’un certain nombre de données économiques à l’échelle macroéconomique, on est appelé souvent à se référer à une année de base (indice 100), fixée par hypothèse, qui sert de point de départ au compteur à partir duquel s’effectue l’ensemble des calculs.
Le fait de changer cette année de référence qui, il nous semble que c’est 2011, peut avoir des conséquences en termes d’ajustements de toutes les données économiques, et par conséquent arriver à des différences importantes, comme c’est le cas du PIB par exemple, tel que c’est mentionné plus haut.
C’est d’ailleurs l’une des critiques formulées à l’encontre du taux d’inflation calculé en Algérie.
L’Algérie a-t-elle pris en compte une partie de l’informel qui représente une part importante de son économie dans le calcul de son PIB ?
Les activités de l’informel ne sont pas comptabilisées pour la simple raison qu’elles fuient l’impôt.
Les capitaux qui circulent dans les réseaux informels, même si l’on est arrivé à évaluer l’importance par rapport à la masse monétaire en circulation, soit 32% du total selon la Banque d’Algérie, il n’en demeure pas moins qu’aucun enregistrement formel dans un quelconque document comptable n’apparaisse.
Aussi, il est difficile de tenir compte, dans les comptes nationaux et les indicateurs économiques, d’activités qui n’ont d’existence dans aucune documentation comptable.
En 2021, le PIB de l’Algérie était de 160 milliards de dollars. Comment peut-il passer à 233 milliards en 2022 ?
Il nous semble que l’année 2021 soit une année de sortie de la récession économique connue durant 2020, en raison des retombées économiques de la Covid-19.
De nombreuses entreprises étaient à l’arrêt et celles qui fonctionnaient l’étaient de façon partielle. En revanche, l’année 2022 s’est caractérisée par une reprise économique vigoureuse dans tous les secteurs d’activités.
Que ce soient les dépenses publiques, ou l’investissement des entreprises, et la consommation des ménages, les indicateurs économiques globaux ont évolué rapidement et positivement, comparativement aux deux années 2020 et 2021. La comparaison devient biaisée dans ce cas.
Pourquoi cette volonté à revoir à la hausse le chiffre du PIB ?
Le PIB sert avant tout à faire des comparaisons à l’international, entre pays et déterminer les écarts. D’ailleurs, on utilise souvent le PIB en parité des pouvoirs d’achat pour avoir des comparaisons fiables.
Plus encore, on se réfère aussi au PIB per capita afin d’affiner l’analyse. Aussi, pour le cas de l’Algérie, le PIB revêt une importance, car il donne une image de la dynamique économique du pays, et ce, à titre comparatif.
Mais le PIB, en tant qu’indicateur économique, ne peut, à lui seul, caractériser les progrès en matière de développement économique et social.
Avec l’augmentation du PIB, la richesse par habitant a augmenté aussi pour passer au-dessus de la barre des 5.000 dollars. Cela reflète-t-il la réalité ?
La Banque mondiale classe les pays du monde en trois catégories selon le PIB par habitant. L’Algérie qui vient d’atteindre un PIB per capita de 5.187 dollars en 2022, est considérée comme un pays à revenu intermédiaire, c’est-à-dire ni riche ni pauvre.
Cela reflète un certain niveau de vie, mais ne fait aucunement apparaître les inégalités sociales et les progrès en matière de développement.
La seule signification est alors de savoir comment s’effectue la répartition de la richesse créée en moyenne sur l’ensemble de la population du pays.
Il y a une polémique sur l’existence d’un comité de redressement fiscal qui infligeait des amendes aux patrons. Cette polémique a relancé le débat sur la réforme fiscale. En Algérie, les entreprises se plaignent d’un système fiscal contraignant et d’une économie informelle trop importante. Une réforme fiscale est-elle vitale ? Que faut-il revoir ?
Les amendes infligées à certains patrons, des importateurs plus précisément, ne constituent pas des redressements fiscaux au sens habituel du terme, c’est-à-dire représentatifs d’une sanction à l’intention de ceux qui n’ont pas respecté leurs engagements par rapport à la réglementation fiscale liée à leurs activités.
Il s’agit plutôt, à mon sens, d’un mécanisme prévu par le Code des douanes qui est la transaction, applicable aux importateurs qui se sont retrouvés en contentieux avec l’administration des douanes sur la base d’opérations d’importations avec non-respect des éléments de taxation douanière déclarés, en l’occurrence la valeur en douane ou l’origine de la marchandise ou encore l’espèce tarifaire.
Aussi, la transaction consiste à pénaliser les importateurs en contentieux par des pénalités pécuniaires plutôt que d’aller vers des procédures judiciaires longues et peu efficaces sur les plans économique et financier.
Au-delà de ce problème, la fiscalité en Algérie reste un chantier à faire évoluer pour lui redonner tout d’abord, sa dimension d’équité dès lors que des activités de l’informel, non des moindres, échappent à l’impôt.
La numérisation de l’administration fiscale, des domaines ainsi que celle des douanes, en cours, apporteront certainement la transparence et la célérité nécessaires.
Le système fiscal ne doit pas constituer un handicap à l’activité économique ni à la création de l’entreprise.
D’un autre côté, le recouvrement fiscal représente aussi une autre faiblesse à combler afin d’améliorer le rendement fiscal et de redonner à la fiscalité ordinaire la place qui lui sied dans les recettes publiques.
Globalement, les indicateurs macroéconomiques de l’Algérie sont au vert. Est-ce suffisant pour dire que la crise est derrière nous ? Ou bien faut-il se préparer à un nouveau choc pétrolier ?
Les indicateurs macroéconomiques servent surtout à donner plus de visibilité sur l’économie nationale et à permettre également aux investisseurs de faire leurs anticipations et de couvrir des risques potentiels.
L’amélioration de ces indicateurs donne une certaine marge de manœuvre au gouvernement afin d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques à même de consolider la croissance économique et l’emploi, mais aussi de réaliser les équilibres économiques tant internes qu’externes.
Aussi, la balance des paiements positive, un excédent commercial et pas d’endettement extérieur, s’avéreront des paramètres décisifs dans l’amélioration du climat des affaires.
Le niveau certes appréciable des réserves de change, mais avec une inflation encore forte, appelle cependant à la proactivité par rapport à un éventuel revirement du marché pétrolier international.
L’économie algérienne étant extravertie, elle reste vulnérable aux chocs extérieurs.
Aussi, sommes-nous à la veille de l’adoption de la loi de finance 2024, et il est nécessaire de marquer une prudence en matière de dépenses publiques, au risque de faire accélérer encore l’inflation, menaçant ainsi les équilibres sociaux.
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