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« Si personne ne t’a déshabillé, je vais le faire moi ! »

« Si personne ne t’a déshabillé, je vais le faire moi ! »

Chronique livresque. Acte I. Le 27 mai 1962, le CNRA ouvrait une session extraordinaire à Tripoli motivée, nous dit Ali Haroun*, membre du Conseil, par la nécessité de préparer l’indépendance imminente de l’Algérie.

Dans l’annexe du document de base rédigé par une équipe à coloration de gauche (Benyahia, Harbi, Lacheraf, Malek, Temmam), l’annexe II comporte une phrase qui sera le détonateur.

Lisons-là : « Dès la fin des travaux du CNRA, le Bureau politique doit entrer en Algérie pour prendre en main l’organisation du FLN et implanter le parti en Algérie ».

Selon l’auteur, ce Bureau politique aura le soin d’installer le parti, de préparer le référendum et d’organiser les élections à l’Assemblée Nationale Constituante. « Faire partie de ce Bureau, c’est effectivement exercer une influence déterminante sur l’avenir immédiat. Aussi, l’homme qui dispose de la majorité est-il pratiquement assuré de détenir entre ses mains le sort du pays. »

Ben Bella-Boumediène VS Krim, Bentobbal, Boussouf

Ils sont 52 à débattre du sort de l’Algérie avec comme président de séance Mohamed Benyahia. Tout ce que l’Algérie combattante comptait de chefs étaient présents, certains le couteau entre les dents et les autres, rares, une colombe dans la main.

Il y a Benkhedda, président du GPRA, Ben Bella vice-président, Boumediène, chef de l’état-major général (EMG), Boudiaf, Krim Belkacem, Boussouf, Bentobbal, Kafi, Ait Ahmed, Dahlab, Khider, Mehri et bien entendu l’auteur, Haroun, etc.

Pour la désignation du BP, l’assemblée nomme une commission présidée par Benyahia. Laquelle commission est « chargée de procéder aux consultations pour proposer une liste susceptible de recueillir l’adhésion des deux tiers des votants ».

Les négociations en coulisse commencent. Les alliances se font et se défont. Mais, comme le précise Haroun, la tendance Ben Bella est la plus entreprenante et la plus agressive. Les oppositions et les dissensions creusent le fossé entre les membres.

Haroun, désigné par les membres de la Fédération de France, rencontre Ben Bella dans une chambre de l’hôtel « El Mehari », de Tripoli. Ben Bella l’informe qu’il a proposé à la commission une liste de 7 membres : lui-même Ben Bella, Ait Ahmed, Khider, Bitat, Boudiaf plus Hadj Benalla et Said Mohamemedi. Sur Cette liste, hormis Boudiaf et Ait Ahmed, tous les autres sont acquis à Ben Bella.

Haroun ne l’entendait pas de cette oreille. Il lui semblait indispensable d’ajouter aux « Cinq » » ex-détenus d’Aulnoy, Krim Belkacem, Boussouf et Bentobbal. Arguments développés : « Malgré toutes les critiques encourues (la mort de Abane Ramdane, leur neutralisation réciproque et son impact négatif), ils avaient, au travers des dangereuses tempêtes essuyées mené le bateau « Algérie » à bon port ».

Opposition de Ben Bella qui ne veut entendre parler d’aucun des trois. D’autant plus que son alliance avec Boumediène (qui avait cherché d’abord l’appui de Boudiaf) lui permettait d’avoir sous la main la plus forte armée de l’Algérie : celle des frontières. Politicien madré et impulsif, il savait qu’il ne pourrait être président que s’il s’appuyait sur la seule force organisée. GPRA, et tout le reste ? Pftt…

Boubnider à Ben Bella : « S’il faut te dénuder, nous le ferons ! »

Alors que les tractions se poursuivent, Tahar Zbiri, commandant en titre de la Wilaya 1, demande qu’on lui permette de voter par procuration au nom de trois membres de son conseil de wilaya alors même qu’il n’avait pas de procuration écrite comme l’exige l’article 32 des statuts du FLN.

Benkhedda, président du GPRA, s’y oppose. Ben Bella, vice-président du GPRA, intervient pour donner raison à Zbiri. Benkhedda, ulcéré, reproche à Ben Bella de briser la solidarité gouvernementale. Alors Ben Bella en colère interpelle celui qui est censé être son président : « Le plus grand manœuvrier, c’est toi, et si personne, à ce jour, ne t’a déshabillé, je vais le faire, moi ! »

Boubnider contre Ben Bella : « Tu n’as pas à t’adresser de la sorte au président. Et, s’il faut te dénuder, nous le ferons. » A son tour Bentobbal fait entendre sa voix : « Ben Bella, depuis un mois que tu vis parmi nous, tes manigances ont déjà semé la discorde… »

Ça ne vole vraiment pas haut. Triste spectacle où les noms d’oiseaux et même les invectives fusent de toutes parts. Le CNRA se termine en queue de poisson. Les luttes de pouvoir ont eu raison du patriotisme.

La crise entre le GPRA et l’EMG qui soutient Ben Bella atteint son paroxysme quand le GPRA décide : « 1) de dénoncer les activités criminelles des trois membres de l’ex-état-major général ; 2) de dégrader le colonel Boumediène et les commandants Mendjli et Slimane ; 3) de refuser tout ordre venant de ces ex-officiers et de ceux qui s’en réclameraient. »

L’EMG nullement effrayé déclare ce limogeage illégal arguant que seul le CNRA est habilité à prendre pareille décision. Ce qui est parfaitement faux. Le GPRA a les prérogatives de nommer et, par conséquent, de limoger, les responsables politiques et militaires (articles 26 des institutions provisoires de l’Etat algérien). Ben Bella de son côté pousse des cris d’orfraie en ameutant son monde.

Acte II. La deuxième partie de la scène, déterminante celle-là, se passe à Tlemcen, à la villa Rivaud, où se retrouvent l’EMG, Ben Bella et même Ferhat Abbes, Bitat et Ahmed Boumendjel venus l’appuyer.

Il y a aussi le colonel Chaabani, de la Wilaya VI, le colonel Othmane de la Wilaya V, les colonels Zbiri et Hadj Lakhdar de la Wilaya I. Ce groupe, nous dit Haroun, n’est pas seulement représentatif, il est manifestement en mesure de s’imposer en cas d’affrontement armé.

En face, à Alger, le GPRA de Benkhedda est accueilli dans un enthousiasme délirant. C’était la fête. Avant le déluge. Dans cette période de clair-obscure où aucune autorité ne dirige vraiment l’Algérie, ce n’est que vols, viols, kidnapping et meurtres qui sévissent dans tout le pays.

Le 20 juillet le groupe de Tlemcen va franchir le Rubicon. Il se déclare habilité à assurer la direction du pays suite à la réunion du CNRA. Problème : on ne comptait que 39 membres présents alors que le CNRA de Tripoli comptait 69 (avec les votes par procuration) ! L’auteur ajoute qu’en vérité (en soustrayant les 5 voix de la wilaya III et les IV de la wilaya IV) on ne compte d’authentiques signataires que 30 membres. Or l’article 10 des Statuts des Institutions provisoires de l’Etat algérien stipule que « le vote concernant la désignation des responsables se fait à la majorité des deux-tiers des membres présents ou représentés. Soit 46 personnes. D’où l’illégalité de la réunion du CNRA de Tlemcen ».

Ayant donné l’habillage juridique à leur coup d’Etat, le groupe de Tlemcen s’empara du pouvoir après une rapide lutte fratricide qui laissa sur le carreau des centaines de morts. L’Algérie venait d’entamer son indépendance en dévorant ses fils.


*Ali Haroun
L’été de la discorde
Casbah Editions

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