Les contours de la « nouvelle formule » proposée par l’Algérie pour la mise en place d’un cadre de concertation maghrébin se sont davantage dessinés à l’issue du Mini-sommet de Tunis qui a réuni lundi 22 avril les présidents algérien et tunisien ainsi que le président du conseil présidentiel libyen. La Mauritanie est l’absent surprise de ce sommet.
Comme indiqué dans la déclaration finale, Abdelmadjid Tebboune, Kais Saied et Mohamed Younès El Menfi se sont mis d’accord pour organiser périodiquement cette rencontre en alternance entre les trois pays, avec l’objectif de « hisser » leurs relations bilatérales « vers une nouvelle étape qualitative axée, au-delà du cadre bilatéral, sur la réflexion et l’action collectives ».
Un mini-sommet maghrébin a eu lieu lundi à Tunis en présence du président algérien Abdelmadjid Tebboune, du président tunisien Kais Saeid et du président du Conseil présidentiel libyen Mohamed Younes El Menfi. À l'issue de la réunion, une déclaration commune a été adoptée.… pic.twitter.com/koIqMCwYUG
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Il ne s’agit donc pas d’un échange conjoncturel mais bien d’un nouveau cadre de concertation qui est lancé entre trois des cinq pays qui composent l’Union du Maghreb arabe (UMA), créée en 1989 mais tombée dans la léthargie depuis plusieurs années, en raison des tensions entre le Maroc et l’Algérie.
À lire les objectifs consignés dans la déclaration finale du sommet de Tunis, c’est bien vers la constitution d’un bloc régional que se dirigent l’Algérie, la Tunisie et la Libye, afin, indique-t-on, de « renforcer les facteurs de sécurité, de stabilité et de développement dans toute la région » et « accroître sa résilience face aux mutations régionales et aux crises internationales successives d’ampleur, dont les répercussions ne peuvent être affrontées par aucun pays individuellement ».
Les trois pays ont exprimé aussi « le besoin urgent » d’avoir « une voix audible unifiée et une présence influente et effective » sur la scène internationale et de mettre la région « à l’abri de la politique des axes et des dangers des ingérences étrangères ».
En plus des dossiers politiques, les trois dirigeants algérien, tunisien et libyen sont convenus d’étendre la concertation « à tous les domaines du développement socio-économique ».
Cette première réunion a été l’occasion d’exprimer des positions communes sur plusieurs dossiers, la crise libyenne en tête, mais aussi la situation en Palestine, au Soudan et au Sahel, ainsi que sur des questions qui intéressent les trois pays, comme la crise migratoire.
Une première action concrète est décidée avec la création de groupes de travail chargés de coordonner les efforts de protection des frontières communes contre la migration irrégulière et le crime organisé.
Le président Tebboune de retour à Alger après avoir participé à un mini-sommet maghrébin à Tunis
(Source : Facebook – رئاسة الجمهورية الجزائرية) pic.twitter.com/9mWx5V84bX— TSA Algérie (@TSAlgerie) April 23, 2024
Sommet Algérie-Tunisie-Libye de Tunis : la Mauritanie, une absence et des interrogations
La déclaration ne fait pas référence, même implicitement, aux deux autres membres de l’UMA, le Maroc et la Mauritanie, absents à la rencontre de Tunis. L’absence du Maroc n’étonne pas.
En plus de ses relations tendues avec l’Algérie, le royaume a depuis longtemps tourné le dos au Maghreb en privilégiant son rapprochement avec les monarchies du Golfe et Israël.
Le Maroc a signé dès 2004 un accord de libre-échange avec les États-Unis puis obtenu en 2008 un « statut avancé » dans son partenariat avec l’Union européenne. En 2020, il a franchi le pas de la normalisation de ses relations avec Israël, ce qui rend impossible toute convergence avec les autres pays du Maghreb au moins sur la question palestinienne.
La défection de la Mauritanie suscite en revanche des interrogations tant rien ne la présageait. Depuis plusieurs mois, ce pays affiche son entente parfaite sur plusieurs dossiers avec l’Algérie, avec laquelle des chantiers concrets ont été lancés pour renforcer notamment les échanges économiques.
Fin février, le président Mohamed Ould El Ghazouani s’est déplacé à Tindouf où il a inauguré et lancé avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune plusieurs projets communs, dont deux postes frontaliers, une zone franche et la route Tindouf-Zouérate.
Lorsque, quelques jours plus tard, début mars, El Ghazouani s’est encore déplacé en Algérie, cette fois pour prendre part au forum des pays exportateurs de gaz, les observateurs ont conclu que « l’axe Alger-Nouakchott » se renforçait alors que le Maroc courtise depuis plusieurs années ce pays qui constitue la clé de voûte pour tous ses projets destinés à contrer l’Algérie, comme le chimérique accès à l’Atlantique miroité aux pays du Sahel ou encore le gazoduc Nigeria – Maroc.
Et alors que le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf a démenti indirectement en mars dernier les « réticences » de la Mauritanie par rapport à l’initiative de l’Algérie de relancer la concertation maghrébine, le président mauritanien n’a pas pris part, à la surprise générale faut-il le dire, au sommet de Tunis.
Au vu de l’entente avec Alger affichée ces derniers mois, l’attitude de la Mauritanie reste une énigme qui mérite d’être clarifiée. À moins que Nouakchott ait fait le choix de jouer sur deux tableaux, celui d’Alger et celui de Rabat. Ce qui semble le cas. La Mauritanie tente de tirer profit des tensions entre le Maroc et l’Algérie pour profiter des avantages offerts par les pays, qui chacun, essaie d’étendre son influence au Sahel.
Seulement, l’Algérie a plus d’atouts que son voisin de l’Ouest, avec une frontière terrestre avec la Mauritanie alors que le Maroc ne possède pas un accès direct par route vers le pays des mourabitine. L’unique point d’accès routier des Marocains vers la Mauritanie est le passage d’El Guerguerat situé au Sahara occidental occupé.
La volonté de la Mauritanie de rester à équidistance politique de l’Algérie et de la Maroc, tout en développant des relations économiques avec les deux pays, peut s’expliquer aussi par l’influence d’autres puissances étrangères comme les Émirats arabes dans la région.
Les relations entre Abu Dhabi et Nouakchott se sont développées rapidement ces dernières années et ce n’est pas un secret que les Émirats entretiennent des relations difficiles avec l’Algérie à cause de leur soutien actif au Maroc et de leur présence au Sahel.
L’Algérie soupçonne même les Émirats arabes unis de faire pression sur la Mauritanie pour normaliser ses relations avec Israël, ce qui l’éloignerait définitivement de l’axe Alger- Tunis pour la rapprocher de Rabat.
En octobre dernier, de nombreux médias algériens ont rapporté que les Émirats ont organisé un voyage du ministre mauritanien de la Défense en Israël pour discuter de la coopération militaire entre les deux pays.
Depuis, la guerre à Gaza qui a fait plus de 33.000 morts parmi les Palestiniens, a donné un coup d’arrêt à l’opération de normalisation des relations entre Israël et les pays musulmans.
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