
Apparemment, l’« étau se resserre sur les fraudeurs ». Le directeur général des Douanes, Kaddour Bentahar, a annoncé le 2 juillet que l’Algérie a engagé des négociations avec l’Union européenne (UE) et la Chine dans le cadre de la lutte contre la surfacturation pratiquée par certains importateurs algériens.
“Il y a un grand projet en cours d’élaboration à travers lequel nous avons demandé à l’UE de mettre à la disposition des Douanes algériennes les données relatives aux valeurs des produits qui sont importés auprès de l’Europe, afin de permettre de régler le problème de surfacturation“, a indiqué à la presse M. Bentahar.
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Ce n’est pas tout puisque, outre l’UE, un « projet d’accord d’assistance mutuelle et administrative » avec la Chine est aussi en négociation pour lutter contre le phénomène de la surfacturation, a souligné M. Bentahar qui explique que le choix de la Chine relève du fait que ce pays est le premier fournisseur de l’Algérie.
Ces déclarations du DG des Douanes s’inscrivent dans le droit fil de la démarche gouvernementale. Lors de sa présentation du Plan d’action du gouvernement devant le Parlement, le premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, a en effet insisté sur la nécessité de la lutte contre le phénomène de la surfacturation des importations.
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Une question se pose toutefois : est-ce que ces nouvelles dispositions ont des chances sérieuses de mettre fin à la pratique des surfacturations et aux transferts illicites de devises qui coûtent plusieurs milliards de dollars ( personne ne sait exactement combien ) chaque année à l’économie algérienne ?
Autre annonce récente : les contrôles à nos frontières vont être renforcés pour lutter contre les phénomènes de contrebande. Aux frontières algériennes, à l’est, à l’ouest et au sud du pays, on annonce régulièrement le « démantèlement d’un réseau de trafiquants », de carburants principalement, ou de produits de première nécessité plus rarement.
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Question : est-ce que ces démantèlements réalisés inlassablement, depuis plusieurs décennies, grâce à la vigilance de nos gendarmes, de nos douaniers et, depuis quelques mois, de nos militaires, ont mis fin aux trafics divers qui fleurissent à nos frontières et alimentent un bassin géographique énorme ? Dans ce dernier cas, on connait déjà la réponse parce qu’on dispose du recul suffisant. La dimension et l’intensité des trafics n’ont pas cessé d’augmenter. Elles coûtent de plus en plus cher : plusieurs milliards de dollars chaque année à l’économie algérienne.
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Tous des voleurs et des trafiquants ?
La chronique de l’économie algérienne se confond de plus en plus depuis quelques années avec la rubrique des faits divers. Les Algériens, y compris les gestionnaires des secteurs publics et privés confondus, seraient-ils tous devenus des voleurs et des trafiquants ? Et, au fait, pourquoi n’y a –t-il pas de surfacturations des importations au Maroc ? Pourquoi les Tunisiens ne cherchent-ils pas à nous vendre leur carburant en passant la frontière, la nuit, tous feux éteints ? Pourquoi nos voisins nigériens et mauritaniens ne cherchent –ils pas à nous vendre leur farine en trompant la vigilance de leurs douaniers ?
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Un mode de gestion archaïque de l’économie algérienne
La réponse est simple : tous ces trafics ont un point commun, une origine commune . Ce ne sont pas les Algériens qui constituent une espèce d’humanité particulière avec une propension spéciale aux malversations, aux détournements de fonds, ou à la contrebande. C’est le mode de gouvernance de l’économie algérienne qui tend, de plus en plus, à devenir un cas d’école.
Si les importateurs, dans une proportion qui semble massive, cherchent à surfacturer le montant des produits qu’ils vendent sur le marché algérien, c’est parce que l’écart entre le taux de change officiel du dinar et le taux de change du marché parallèle approche désormais 60 %.
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Ce « différentiel », qui n’a pas cessé d’augmenter au cours des dernières années, est une formidable incitation à la fraude. Il a été créé et continue d’être alimenté par le manque de courage chronique des autorités financières algériennes qui ont réussi la performance de conjuguer sur une très longue période la surévaluation du dinar officiel et une démission totale face au développement du marché informel de la devise. Supprimez le différentiel ou réduisez-le à moins de 10%, comme c’est le cas chez nos voisins et dans la quasi-totalité des pays africains, et la surfacturation disparaît .
Si le trafic de carburants à nos frontières est devenu l’activité principale de plusieurs milliers de transporteurs, ainsi que le montrait une étude réalisée voici un peu plus de 2 années par…..la Banque mondiale, c’est parce que le « différentiel » entre le prix des carburants en Algérie ( vendu entre un quart et un tiers de son coût de revient) et chez nos voisins ne cesse pas d’augmenter et constitue une irrésistible incitation au développement de la contrebande.
Dans tous les cas, c’est la gouvernance de l’économie algérienne, fondée sur des méthodes administratives pratiquement inchangées depuis les années 70, qui est le terrain très fertile sur lequel se développent la plupart des formes de criminalité économique qui alimentent aujourd’hui la chronique judiciaire et les colonnes de la presse nationale .
Réformer l’économie ou chercher des boucs émissaires ?
La gestion de l’économie fondée sur la surévaluation du dinar et les subventions généralisées étaient encore supportable dans un contexte d’abondance financière. Elle devient « insoutenable » dans une situation de réduction des recettes pétrolières. La déstructuration du système des prix et l’encouragement à l’importation et au gaspillage généralisé coûtent, sans aucun doute, des dizaines de milliards de dollars chaque année à l’économie algérienne.
Malheureusement la réaction des autorités dans cette nouvelle situation n’est pas de mettre en œuvre les réformes de l’économie nécessaire pour mettre fin au gaspillage des ressources nationales . Abdelmadjid Tebboune l’a d’ailleurs bien expliqué devant les parlementaires. À propos du « nouveau modèle économique » il a affirmé : « Ce n’est pas quelque chose qui s’improvise ou se décrète du jour au lendemain. Des pays ayant connu un même système économique administré comme le nôtre ont mis une génération et demie à la changer ».
Au cours des deux prochaines années , il y a donc très fort à parier qu’on va continuer à parler, à se concerter, et à dialoguer à propos de la « réforme du système des subventions », du processus de « mise en convertibilité du dinar » , de l’ »autonomie de gestion des entreprises publiques » et sans doute aussi de l’ « amélioration du climat des affaires ». Mais sans engager concrètement aucune de ces réformes.
Vers un retour en force de la bureaucratie économique ?
Dans les faits tout semble indiquer que la tentation actuelle du gouvernement algérien consiste au contraire dans une fuite en avant dans l’économie administrée. À entendre les déclarations du Premier ministre et celles de beaucoup de membres de son gouvernement, on a l’impression que c’est aujourd’hui le risque d’un retour en force de la bureaucratie qui semble se dessiner clairement.
L’actualité économique des derniers mois est à cet égard tout à fait éloquente : stabilisation artificielle du cours officiel du dinar, encadrement du commerce extérieur, licences d’importations, quota d’importation de pièces détachées en préparation pour les constructeurs automobiles, lutte contre la surfacturation et les trafics aux frontières etc.
La démarche actuelle de l’Exécutif semble consister pour l’essentiel à désigner les opérateurs économiques comme des boucs émissaires en renforçant encore un peu plus les moyens matériels et humains des services de contrôle et en modifiant au passage la réglementation tous les 6 mois. En somme à jouer au gendarme et au voleur.