Alors que l’Europe continue de se barricader contre les migrants en provenance de la rive sud de la Méditerranée, le problème migratoire est en train de se déplacer rapidement au Maghreb.
Si le Maroc utilise les migrants comme une arme contre l’Espagne notamment, la Tunisie subit de plein fouet les vagues migratoires en provenance de l’Afrique subsaharienne.
Obligée de faire le gendarme de l’Europe en échange des aides financières, la Tunisie est au centre des critiques à cause de sa politique migratoire.
Les autorités tunisiennes sont accusées par des ONG d’infliger des traitements inhumains aux migrants subsahariens expulsés vers le désert libyen.
De leur côté les autorités tunisiennes rejettent ces accusations en les qualifiant de mensongères. Après des affrontements entre migrants et habitants ayant causé le décès d’un Tunisien le 3 juillet dernier, des centaines de Subsahariens ont été expulsés à la frontière libyenne.
Ces migrants d’Afrique subsaharienne arrivent quotidiennement par centaines en Libye, après avoir été abandonnés à la frontière, en plein désert.
Dans une vidéo publiée, ce mardi 9 août, sur Twitter par le média en ligne Brut, un père raconte le destin tragique de sa femme et de sa fille de six ans, mortes de soif dans le désert, entre la Tunisie et la Libye.
«Nous avons tenté d’aller en Tunisie pour essayer d’inscrire notre enfant à l’école. Notre fille n’a jamais connu d’éducation scolaire. C’est la raison pour laquelle nous voulions partir en Tunisie», dit-il.
Ce migrant subsaharien relate avoir vécu le calvaire dans une zone aride inhabitée près de la frontière tuniso-libyenne. «Nous avons été interceptés par des policiers tunisiens qui nous ont frappés. Ils nous ont demandé de retourner d’où nous venions. Nous avons alors fait demi-tour en allant au désert. C’est là où nous avons passé toute la journée sous le soleil», raconte-t-il.
Ce jeune affirme que lui et sa famille ainsi que d’autres migrants ont été déposés par les autorités tunisiennes à la frontière. «La nuit tombée, on s’est dit que ce n’est pas évident de faire demi-tour et que vu que nous sommes presque arrivés, c’est mieux d’essayer de pénétrer et de traverser la frontière», poursuit-il.
Les migrants endurent un calvaire. «A ce poste frontalier, nous avons trouvé d’autres subsahariens, une dizaine. J’ai supposé qu’ils ont été interceptés la veille », explique-t-il. « Ils nous ont frappés, fouillés avant de nous abandonner sous le soleil. Il n’y avait aucun abri. Nous étions dans la cour, sur le sable. Ils ont récupéré nos pièces d’identité et nos téléphones qu’ils ont cassés. Ils ont roulé pratiquement 30 minutes avant de nous laisser dans le désert », relate le subsaharien.
Et de poursuivre : «Ils nous ont demandé de rentrer dans un creux. C’était déjà le territoire libyen. Ils nous ont alors menacés avec leurs armes de partir. Une fois dans le désert avec les autres, moi j’étais à bout vu que cela faisait quatre jours que je n’avais pas mangé».
https://twitter.com/brutofficiel/status/1689205478444670976?s=46&t=h2disAB7pDaXpnYYnWn9mg
Le migrant raconte encore l’enfer qu’il a vécu : «Après 30 minutes de marche dans le désert, je me suis écroulé. Je n’avais plus de force. Ma femme est restée à mes côtés avec l’enfant. Nous nous sommes mis à pleurer tous les trois. C’était dur. Je ne pouvais pas continuer. Je sentais que c’était fini pour moi. Dans ma tête c’était la mort».
Le désespoir est à son comble, le migrant demande à sa femme de partir avec sa fille. «J’ai demandé à ma femme de partir, de me laisser et d’essayer de sauver au moins l’enfant et de rattraper l’autre groupe. Si Dieu le veut, on va se retrouver en Libye», relate-t-il.
Le cauchemar du migrant est incommensurable. Sa femme et sa fille meurent ensemble dans le désert, terrassés par la soif et la fatigue. Resté sur place, le jeune migrant a pu être sauvé, mais la disparition de sa femme et de sa fille hante ses nuits.
«Jusqu’à présent, je n’arrive pas à dormir, ces images me hantent l’esprit. A chaque fois en me réveillant, j’essaye de regarder autour de moi, mais elles ne sont toujours pas là», dit-il. Le jeune migrant reprend ses esprits et son poignant récit: «J’avais des pensées qui me traversaient l’esprit, ces années passées ensemble, je ne saurais les raconter en quelques mots, mais pour moi, c’est mon esprit qui est mort. Elles sont parties avec mon âme. Je n’ai plus envie de rien. Elles ont toujours tendance à me dire de ne pas me décourager et que nous allons atteindre nos objectifs. C’était ma source de motivation. Elles étaient tout pour moi».
Le problème migratoire se déplace au Maghreb
Avec la détérioration de la situation au Sahel, le problème migratoire est en train de se déplacer au Maghreb. La situation risque encore d’empirer avec le risque de guerre au Niger où un coup d’Etat a évincé du pouvoir le président élu Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier.
De leur côté, les autorités tunisiennes se défendent de maltraités les migrants et évoquent une compagne médiatique mensongère qui vise à ternir l’image de la Tunisie.
En réponse aux accusations de racisme, le président tunisien Kaïs Saïed, a affirmé que «les immigrés reçoivent un traitement humain», rapporte Al Arabiya sur son site internet.
Le président tunisien a également répondu aux déclarations exprimant l’inquiétude internationale face à l’expulsion par la Tunisie de migrants et de demandeurs d’asile vers les frontières algéro-libyennes et les a laissés confrontés à des conditions difficiles.
Les migrants en situation irrégulière en Tunisie reçoivent un « traitement humain, contrairement à ce qui est relaté par des médias ».
Le président Kaïs Saïed a assuré que «la Tunisie traite les migrants avec humanité».
Pour le président tunisien, ces migrants ont eu un traitement humain en Tunisie qu’ils ne reçoivent jamais dans de nombreux autres pays à la lumière du silence suspect de nombreuses organisations et associations internationales qui prétendent apparemment les protéger, mais cette prétendue protection ne dépasse pas les fausses déclarations qui n’ont rien à voir avec la réalité.»
Le démenti des autorités tunisiennes
Ce démenti du président tunisien survient après les critiques émises par Farhan Haq, porte-parole du Secrétaire général de l’ONU et de plusieurs organisations non gouvernementales. Ces derniers ont exprimé leur inquiétude face à l’expulsion par la Tunisie de migrants et de demandeurs d’asile vers la frontière algéro-libyenne et en laissant seuls faire dans des conditions difficiles.
Le ministère tunisien des Affaires étrangères avait auparavant accusé des parties sans les nommer de tenter d’envenimer la situation et de dissimuler les efforts déployés par l’État tunisien pour assurer la protection, la surveillance et la prise en charge des migrants, et de tenter de nuire à l’image et aux intérêts de la Tunisie, en diffusant des mensonges et des rumeurs.
Il a souligné que la Tunisie n’a « ménagé aucun effort, avec l’aide du Croissant-Rouge tunisien, pour subvenir à tous les besoins nécessaires à ces immigrés, leur apporter les soins médicaux nécessaires et leur permettre de rejoindre leurs familles dans leur pays d’origine ».
Le Croissant rouge tunisien a, en effet, assisté des centaines de ressortissants subsahariens à Ras Jedir, zone tampon séparant Tunisie et Libye et du côté algérien.
La Tunisie se retrouve ainsi face à l’épineux problème migratoire qui était jusque-là posé avec gravité en Méditerranée où de nombreux migrants sont morts noyés après le naufrage de leurs embarcations ces dernières années, et aux frontières de l’Europe du sud, destination privilégiée des candidats çà l’émigration clandestine.
Les migrants subsahariens qui fuitent les guerres et les difficultés économiques dans leur pays se retrouvent coincés en Tunisie, en Libye et en Algérie, faute de pouvoirs poursuivre leur chemin vers l’Europe. De pays de transit, la Tunisie, l’Algérie et même la Libye sont devenus des zones d’accueil des migrants.
Comme la Tunisie, l’Algérie fait face à un flux migratoire incessant à partir de ses frontières sud. Chaque semaine, le MDN annonce l’interception de dizaines, parfois de centaines de migrants sub-sahariens qu’on voit partout dans les villes du nord du pays.
L’Algérie qui s’inquiète des conséquences de l’aggravation de la crise au Niger sur la hausse des flux migratoires vers son territoire se retrouve aussi confrontée à ce problème.
Si elle dispose de plus de moyens que la Tunisie pour surveiller ses frontières, elle gagnerait à recenser ces migrants, notamment les mineurs, pour mieux les contrôler, mais aussi pour leur permettre d’aller à l’école et de bénéficier des prestations sociales, en attendant un éventuel retour dans leurs pays d’origine.