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« Un changement profond ne se limite pas à des élections ou à une révision constitutionnelle »

« Un changement profond ne se limite pas à des élections ou à une révision constitutionnelle »

Le projet de révision de la Constitution décidé par Abdelmadjid Tebboune suscite des interrogations, voire des critiques concernant la méthode. Que pensez-vous de la démarche ?

Cherif Dris, professeur de sciences politiques, (école nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information) : quand on regarde les processus de transition vers la démocratie, la révision de la Constitution n’est pas une démarche standard applicable à toutes les situations. Vous avez par exemple comme modalité la Constituante qui a été suivie par certains pays comme la Tunisie. Il y a aussi le système de conférences nationales comme cela a été le cas dans des pays africains. Enfin, il se trouve que dans certains cas, un président élu délègue cette fonction au Parlement ou fasse appel à un collège d’experts et à qui il confie la tâche de rédiger une nouvelle Constitution.

Donc, la démarche en elle-même n’est pas inédite puisque ce procédé a déjà été expérimenté dans d’autres pays à travers le monde. Cela dit, quand bien même cette mission ait été confiée à un collège d’experts, il ne faut pas réduire ce processus de révision à une question technique c’est-à-dire à la rédaction d’un texte et en confier la tâche uniquement à des techniciens du droit, car la Constitution au-delà du fait qu’elle soit une loi fondamentale, c’est aussi un projet politique. Des considérations en rapport avec la philosophie de l’Etat, des considérations socio-économique, géostratégique et culturelle doivent être prises en compte.

Le fait de confier la responsabilité d’émettre des propositions à des experts en droit constitutionnel est-il problématique ?

Le problème ne se limite pas seulement au fait que ce processus ait été confié à un collège d’experts. L’idéal aurait été qu’il y ait une concertation élargie et que cette révision intervienne après un processus de dialogue avec les différents acteurs politiques représentés et avec les acteurs du Hirak. L’idéal aurait été que le président passe par une démarche concertée et inclusive. Mais apparemment le président Abdelmadjid Tebboune a préféré contourner ce processus de dialogue inclusif et confier la mission à un collège d’experts.

Cependant, sans préjuger de la crédibilité et de la compétence de cette équipe d’experts, la question qui se pose est la suivante : quelle latitude ou quelle est la marge de manœuvre qui sera laissée à ce collège d’experts ? On a lu qu’il y a sept axes qui ont été définis pour cette révision, ce qui n’est pas négatif en soi. On dénote même une certaine volonté d’aller vers une révision assez conséquente.

Encore une fois, le problème se posera au sujet de la marge de liberté qui sera accordée à ces experts dont on ne sait pas s’ils vont consulter d’autres acteurs de la société civile. La révision constitutionnelle ne doit pas être confinée à un simple habillage technique. Le panel dirigé par Karim Younès s’est limité à accomplir une mission purement technique : discuter des modalités de création d’une instance indépendante d’organisation des élections. Il ne faudrait pas que cette commission glisse dans les mêmes travers, à savoir vider cette révision de toute sa dimension politique globale. Une révision de la Constitution est avant tout un projet qui revêt une dimension politique, économique et sociétale… La prise en compte des avis et des attentes de tous les acteurs de la société civile et de la scène politique s’impose, à mon sens.

Un autre problème se posera également. Une fois le texte adopté par voie référendaire, il faudra que ce soit un vrai référendum à travers lequel les citoyens s’exprimeront librement et en toute indépendance. Il faudra par la suite s’y tenir et ne pas faire en sorte qu’elle soit retouchée à nouveau comme cela été toujours le cas en Algérie.

Le président Tebboune veut-il aller vite par rapport à ce qu’il a déjà annoncé durant la campagne électorale ?

Il faut dire en toute objectivité que cette Constitution est recherchée par M. Tebboune afin qu’elle lui serve de seconde légitimité. Il est certes légalement élu mais avec une légitimité dont on pourrait dire qu’elle est contestée par une large frange de la population. Elle servira, à mon sens, au président Tebboune pour conforter cette légitimité.

Une question s’impose : cette révision pourra-t-elle absorber la contestation et répondre aux revendications du Hirak ? Je pense que cela reste insuffisant. Il ne suffit pas d’adopter une nouvelle Constitution, encore faut-il s’y tenir et l’appliquer sur le terrain.

En outre, une révision de la loi fondamentale doit être suivie par la révision de certaines lois organiques, comme la loi sur l’information de 2012, la loi électorale et la loi sur les partis et les associations…Or, si on reste dans le schéma du passé – on adopte un nouveau texte et que certaines lois d’applications comme celles organisant la vie politique, associative et le processus électoral, restent inchangées-, une démarche contre-productive qui ne devrait, en aucun cas, être reproduite. Car cela serait ne ferait qu’aggraver la crise et accroitrait le fossé entre le peuple et le pouvoir politique.

Peut-on s’attendre à des changements profonds de la Constitution ? Autrement dit, la révision constitutionnelle projetée va-t-elle bouleverser le système politique ?

Un changement profond ne se limite pas à des élections ou à une révision constitutionnelle. Un changement profond c’est avant tout un changement des pratiques. Nous avons adopté les Constitutions de 1996, il y a eu une révision en 2008 et en 2016, mais cela n’a changé en rien les pratiques.

Si vous voulez, on arrive à une inflation de textes et à des révisions successives qui dénotent en soi un dysfonctionnement d’un système politique, voire une crise de ce système. L’inflation de textes constitutionnels n’est en aucun cas un signe de bonne santé politique. A mon sens, cette révision constitutionnelle reste un jalon, le plus fondamental c’est d’aller vers l’instauration de nouvelles pratiques qui passe par le respect de la Constitution. En définitive, la révision de la constitution doit servir de balise pour l’instauration de l’Etat de droit et non pas un stratagème pour la consolidation autoritaire du régime.

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