Déjà ambassadeur de France en Algérie entre 2008 et 2012, Xavier Driencourt succède officiellement à Bernard Emié ce lundi 3 juillet.
À Paris, il est l’un des diplomates qui connaît le mieux la « Maison ». Avant d’être nommé inspecteur général des Affaires étrangères au Quai d’Orsay en 2012 -un poste de prestige-, Xavier Driencourt, 63 ans, a passé de nombreuses années dans ce ministère : ressources humaines, affaires financières ou encore un passage par la direction de l’énigmatique bureau du Chiffre; le département chargé de la transmission cryptée de télégrammes.
Si son parcours est des plus classiques (Sciences Po, puis l’ENA), Xavier Driencourt, lié à la célèbre famille des Debré par sa femme, n’a pourtant pas grand-chose à voir avec l’image austère et solennelle qui colle à la peau d’un haut fonctionnaire. Celui qui se définit, à ce stade de sa carrière, « toujours aussi passionné d’histoire et de relations internationales », s’apprête -fait rare- à occuper pour la seconde fois le poste d’ambassadeur de France en Algérie. Entre Alger et le diplomate, c’est une histoire commencée il y a presque dix ans, mais à laquelle rien ne le prédestinait.
Le cercle juppéiste
En 1979, frais émoulu de l’ENA (promo Michel-de-L’Hospital), Xavier Driencourt intègre le ministère des Affaires étrangères pour y occuper différents postes. Ce premier chapitre de sa vie professionnelle le conduira à deux reprises en missions ponctuelles à Bagdad, en 1986 et 1988 pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak. Il travaille alors à la sous-direction des exportations d’armement du ministère du Quai d’Orsay.
Changement de décor en 1989. Il devient consul général de France à Sydney, en Australie. Puis retour à Paris en 1991 au service du Chiffre. Deux ans plus tard, il rejoint le cabinet d’Alain Juppé, nouveau ministre des Affaires étrangères. Il est nommé conseiller avec un certain Bernard Emié, lui-même issu du camp « chiraco-juppéiste ». En 1995, direction Matignon quand Alain Juppé devient Premier ministre. Xavier Driencourt y occupe la fonction de conseiller diplomatique. Puis, en 1998, son premier poste d’ambassadeur le conduit en Malaisie. Le diplomate qui se revendique catholique pratiquant découvre l’Asie musulmane majoritairement sunnite. Il y restera quatre ans, avant d’être rappelé au « Quai » en octobre 2002 pour préparer la réforme des structures administratives et financières de la maison.
Quand en 2008, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy (un proche d’Alain Juppé et de Jacques Chirac) lui propose le poste d’ambassadeur à Alger, Xavier Driencourt tombe des nues. « (…) ma première réaction a été de me demander si je serais à la hauteur. Alger, quelle responsabilité ! Ce n’est pas un poste banal, c’est tout sauf une affectation simple, c’est même dans la diplomatie française un poste si particulier qu’il transcende les autres ambassades », raconte-t-il dans Quatre nuances de France, un essai écrit avec trois Franco-Algériens ou Algériens d’origine en 2015.
L’Algérie ne lui est toutefois pas complètement inconnue. Trente ans plus tôt, en 1978, Xavier Driencourt effectue un bref séjour à Alger pour rendre visite à l’un de ses frères professeur. Le deuxième contact, professionnel cette fois, sera plus brutal : il est de permanence au cabinet d’Alain Juppé ce jour de Noël 1994 où 220 passagers d’un avion Air France sont pris en otage à Alger.
« Big brother »
Arrivé à Alger en août 2008, Xavier Driencourt comprend rapidement que l’Algérie est un « miroir déformé de la France ». « Pour celui qui comme moi débarque là-bas avec des fonctions officielles, l’environnement apparaît trompeur. Parce qu’Alger, ses hommes, son système, son administration, tout se présente comme un copié-coller de la France. Du coup, tout Français croît comprendre d’emblée ce pays », raconte t-il dans Quatre nuances de France.
Il va aussi rapidement saisir qu’ici -et plus qu’ailleurs- la parole d’un diplomate français n’est pas anodine. Les officiels comme la population scrutent les faits et gestes. Écoutent puis analysent la moindre déclaration. À Paris aussi, on observe. Bien sûr, il y a le Quai d’Orsay et la DGSE qui surveillent. Mais pas seulement : les binationaux sont très attentifs à ce qui se dit à Alger. Quand Nicolas Sarkozy met sur la table les questions d’identité nationale ou de burqa pendant son quinquennat, les Algériens se sentent directement concernés. « L’Algérie, c’est évidemment de la politique étrangère mais c’est un peu une part de politique intérieure française », admet le diplomate . « Nos débats de politique intérieure français deviennent des débats politiques aussi en Algérie ».
Xavier Driencourt n’échappe pas non plus à la question mémorielle qui empoissonne les relations entre Paris et Alger. Il faut donc être habile. Quand il se rend en octobre 2011 à la prison de Serkadji (aussi connue sous le nom de Barberousse pendant la colonisation) où 52 militants du FLN prisonniers furent exécutés, il appose une citation d’Albert Camus sur le livre d’or. « Dans tout coupable il y a une part d’innocence ». À une journaliste qui l’interroge sur l’identité du coupable – 45 de ces exécutions furent ordonnées pendant la période où François Mitterrand était ministre de la Justice-, l’ambassadeur refuse de rentrer dans ce genre de discussion. « Il faut bien distinguer la reconnaissance (…) et la repentance qui est autre chose ». Dont acte.
Quelques mois avant le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, Xavier Driencourt propose, dans le cadre du 14 juillet 2012, d’inviter l’armée algérienne à participer au traditionnel défilé. Une initiative controversée en période pré-électorale… qui pourrait sérieusement irriter un vivier d’électeurs : la communauté pied-noir et harkis. Cette idée sera finalement entendue par François Hollande : le 14 juillet 2014, des militaires algériens paradent sur les Champs Élysées pour commémorer le 100e anniversaire du début de la Première guerre mondiale.
Non, l’Algérie ne sera pas victime de « l’effet Domino »
Le premier passage de Driencourt par Alger restera surtout marqué par les « révolutions arabes » qui bouleversent le Maghreb début 2011. La plupart des observateurs de la région répètent en chœur que l’Algérie -confrontée alors à des manifestations- sera victime de « l’effet Domino ». Xavier Driencourt n’y croit pas. « Chacun a ses spécificités dans le monde arabe », martèle-t-il.
Auditionné par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2011, quatre jours après la chute de Ben Ali en Tunisie, il livre son diagnostic.
« Le pouvoir algérien est plus diffus et complexe qu’en Tunisie, où le régime était de nature clanique, et même familiale. En Algérie, le pouvoir se partage entre plusieurs cercles ; c’est un système à la fois égalitariste et éclaté dans lequel différents cercles interviennent ».
Mais pour l’ambassadeur, « la décennie noire » est l’argument le plus important : « La principale différence entre les deux pays tient à ce que l’Algérie a connu une guerre civile de quinze années. De ce fait, la population éprouve une réserve, et même une crainte face aux mouvements de rue. Les forces de police et de gendarmerie, fortes d’une longue expérience de la lutte antiterroriste dont elles continuent de payer le prix aujourd’hui, adoptent sans doute une approche sécuritaire plus « subtile » qu’en Tunisie ».
Le virus algérien
Avril 2012. Quelques jours avant la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy nomme un nouvel ambassadeur. Un certain André Parant, très proche du président sortant. Pour Driencourt, il est donc temps de partir. À sa réception de départ, il lâche à son auditoire qu’il est « malheureux » de quitter le pays.
De retour à Paris, Driencourt continue d’entretenir un intérêt « de moins en moins professionnel et de plus en plus personnel » pour l’Algérie. L’intérêt nourrit la réflexion et les rencontres. Quelques années plus tard, il propose au journaliste d’origine algérienne Rachid Arhab avec qui il a tissé des liens d’amitié, à Nacer Safer -un ex-sans papiers algérien qu’il a aidé à être régularisé-, et à Karim Bouhassoun -jeune conseiller politique binational « coaché » par l’ambassadeur-, d’engager un dialogue sur les sujets qui crispent la société française : identité, intégration ou assimilation, islam, incompréhension du concept de laïcité, avec en toile de fond la relation complexe qui unie Alger et Paris. L’ouvrage Quatre nuances de France est le fruit de cette expérience algérienne.
La question de la colonisation est évidemment omniprésente, même si elle n’a évidemment pas la même signification pour les nouvelles générations, reconnaît Driencourt. « La guerre d’Algérie, pour moi, c’est encore de la mémoire, mais pour la génération suivante ? Ce n’est pas de la mémoire, ni de l’histoire car elle est peu enseignée à l’école », confie-t-il à TSA. « Faut-il rouvrir cette plaie ? Il y a des « pour » et des « contre » », admet-il.
Un diplomate attendu
Sa connaissance et son intérêt pour l’Algérie permettront à Driencourt d’être rapidement opérationnel. Il revient aussi dans un contexte globalement plus apaisé : avant que la Cour d’appel de Paris ne lui accorde un non-lieu, les rebondissements dans l’affaire Mohamed Ziad Hasseni (le diplomate algérien suspecté d’être l’organisateur de l’assassinat, en 1987 à Paris, de Ali Mécili porte-parole de l’opposition algérienne en France) détériorent sérieusement la communication entre Paris et Alger.
Si les relations se sont réchauffées pendant le quinquennat de François Hollande, et que la victoire d’Emmanuel Macron « un ami de l’Algérie » a suscité une vague d’enthousiasme, le nouvel ambassadeur est attendu de pied ferme. Les propos du nouveau président sur la colonisation (qualifiée de « crime contre l’humanité ») ont suscité beaucoup d’espoir. Son « attitude pionnière » le place « dans la position-clé de protagoniste (…), du parachèvement d’une réconciliation authentique entre nos deux pays », a même écrit la présidence algérienne au lendemain de sa victoire. Mais aujourd’hui élu président dans un pays très divisé, Emmanuel Macron prendra-t-il le risque de remettre sur la table la question mémorielle, un dossier toujours aussi clivant ? Une des premières questions à laquelle M. l’Ambassadeur devra répondre.