Yasmina Sellam est née en 1955 à Mila. Elle est ingénieure agronome, cheffe culinaire, écrivaine et animatrice de télévision.
Le 19 juin, elle a remporté le premier prix du concours Gourmand World Awards 2025 à Lisbonne (Portugal), dans la catégorie « Culture Culinaire » pour son ouvrage « Le couscous. Racines et couleurs d’Algérie » paru aux Editions Anep en 2024. Dans cet entretien accordé à TSA Algérie, la cheffe culinaire algérienne évoque toutes les caractéristiques de ce met de partage et de convivialité. Elle revient également sur les origines du couscous et son rôle social.
Quels sont les différents types de couscous existants ?
Il faut bien faire la différence entre les recettes et les types de couscous. Les types de couscous dépendent d’un type de roulage particulier, classé selon la grosseur du grain, qu’on appelle la granulométrie, c’est-à-dire la grosseur du grain. Il en existe neuf environ. Nous avons des types de couscous faits avec des grains autres que le blé dur et l’orge : maïs, millet et autres céréales, sans oublier les légumineuses.
On peut donc rouler des couscous avec différents ingrédients et différentes plantes. Nous avons aussi des couscous qui sont faits avec des ajouts lors du roulage. On rajoute des macérats de fleurs à l’exemple de El Hamama, El Helhal ou des pétales de rose. On peut aussi joindre de l’encre de seiche pour obtenir un couscous noir.
Une fois le grain préparé, nous lui fabriquons une sauce. Là nous parlons de recettes de couscous, et à chaque couscous correspond une sauce. Par exemple, le gros couscous ne se mange jamais avec une sauce blanche mais plutôt rouge. C’est la tradition chez les Algériens. En hiver, avec el kedid (viande sechée), on prépare un couscous assez gros qui ressemble au berkoukes. Durant les fêtes de mariage, on prépare le couscous le plus fin accompagné d’une sauce blanche et sans légumes.
Qu’est-ce que le couscous ?
Beaucoup de gens classent le couscous au rayon des pâtes alimentaires. C’est faux ! Le couscous n’est pas une pâte alimentaire. C’est un grain de semoule élaboré grâce au roulage : on met de la semoule moyenne, on l’arrose d’eau et on rajoute de la semoule fine appelée l’habillage, ekssi en arabe. Le grain de semoule qui en résulte est un grain enveloppé d’une coque qui va l’empêcher de se transformer en pâte lors de la cuisson ou de l’hydratation.
Quelle est l’origine du couscous ?
En tant qu’intellectuelle, je ne donne jamais ma conclusion. Dans mon livre, j’ai fourni les résultats de mon enquête. Je donne les résultats, et je laisse les lecteurs tirer leurs propres conclusions.
Vous avez une spécialité : le couscous aux pétales de roses. Comment le préparez-vous et à quelle occasion est-il servi ?
Le couscous aux pétales de roses et un couscous festif. On le sert dans l’est de l’Algérie – Wilaya de Mila- le lendemain du mariage. Dans le passé, lorsqu’une fille se mariait, la famille de l’époux venait la chercher seule.
Mais dès le lendemain, sa famille lui rendait visite. Les femmes sortaient aux aurores et parcouraient à pied le trajet jusqu’à la demeure de la nouvelle mariée où elles étaient accueillies avec un plat de couscous à la rose. Un couscous qui se déguste avec un coulis de roses.
En Algérie, chaque région a son propre couscous. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Outre le couscous à la rose propre à la région de Mila, il existe un couscous à l’encre de seiche préparé par les pêcheurs des régions de Mostaganem et de Ténès. Au retour de la pêche, ces hommes colorent le couscous avec des poches à encre. Les seiches serviront ensuite à réaliser la sauce. Résultat : un couscous noir, très spécifique ! Il y a également le couscous de Timimoun ou du Touat qui est un couscous vert car, dans cette région, l’humidité relative est très basse.
Les plantes sèchent tout en gardant leur couleur verte. Les plantes sont ensuite réduites en poudre et ajoutées lors du roulage du couscous, obtenant ainsi un délicieux couscous appelé Esrayer. Je citerai également el Mziyet, un couscous fait à partir du grain fermenté. Dans El Matmourate, silos souterrains qui existaient depuis l’antiquité en Algérie, on conservait le grain. Ce dernier était protégé des rongeurs et des insectes mais pas des ruissellements d’eau. Aussi, lorsque l’eau pénètre dans la graine, celle-ci gonfle, germe et dégage une odeur particulière.
Le grain est noirci. Il est utilisé pour le roulage d’un couscous assez gros qui se décline en deux versions : l’un parfumé aux huiles des parois du silo, consommé par les riches. Les milieux moins aisés réduisent, quant à eux, les graines pour obtenir un couscous qui aura un parfum moins prononcé.
Le Maroc a-t-il raison de revendiquer la paternité du couscous ? A qui le couscous appartient-il au juste ?
Tous les pays du monde revendiquent quelque chose. La pavlova appartient à qui, l’Australie ou la Nouvelle Zélande ? À qui appartiennent la socca et la calentita ? Ces guerres entre les pays sont normales. Pour ma part, je crois qu’être continuellement dans la revendication relève de l’intolérance. Tous les pays ont un patrimoine et parfois, dans des pays voisins il y a une origine commune à cause de la proximité culturelle.
Lorsque deux civilisations se côtoient, les échanges se font toujours dans les deux sens. Arrêtons de faire ces guerres verbales qui ne servent absolument à rien ! Un patrimoine ne se vole pas car il est déjà fixé dans des livres historiques. Il nous suffit, nous Algériens, d’aller chercher dans ces ouvrages et revendiquer ce que nous voulons revendiquer.
Quelles sont les occasions où le couscous est servi aux invités ?
En Algérie, le couscous revêt un rôle social extraordinaire, depuis la Numidie et peut-être même avant. Le couscous fait partie de notre alimentation. C’est un plat convivial, un plat de partage qui joue un rôle de rapprochement des populations. En plus, dans notre société, il accompagne l’être humain de sa naissance à sa tombe. Pour toutes les circonstances, qu’elles soient heureuses ou tristes, le couscous est toujours là. Je l’appelle « le met divin » parce qu’il est au-dessus de tous les autres plats de notre gastronomie.
Vous venez de remporter le premier prix du concours Gourmand World Awards 2025, à Lisbonne dans la catégorie « Culture Culinaire ». Est-ce que vous vous attendiez à cette consécration ?
Je la voulais… mais comme j’ai déjà eu un premier prix en 2023, j’avais un doute surtout que les concurrents venaient de grands pays gastronomiques à l’instar du Mexique, la Suède, la Turquie, la France…
Je pensais peut-être arracher une deuxième ou une troisième place mais pas la première. Je suis fière d’avoir représenté mon pays et d’avoir remporté ce prix.