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Accord Maroc – UE : comment la Commission européenne cherche à contourner l’arrêt de la Cour de justice

Accord Maroc – UE : comment la Commission européenne cherche à contourner l’arrêt de la Cour de justice

Commission européenne
Federica Mogherini, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la CE, a reçu Nasser Bourita, ministre délégué marocain auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération.

INFO TSA. Cinq mois après l’arrêt de la Cour de justice européenne sur l’accord agricole entre Bruxelles et le Maroc, on commence enfin à entrevoir comment la Commission européenne veut contourner l’obstacle dressé sur son chemin par les magistrats qui siègent au Luxembourg.

On perçoit aussi comment le Front Polisario, l’Algérie et surtout ceux qui au Parlement européen et dans les parlements nationaux soutiennent l’indépendance du Sahara occidental vont s’efforcer d’empêcher que l’organe exécutif de l’Union européenne ne parvienne à ménager le Maroc qui contrôle depuis 1975 cette ancienne colonie espagnole.

Une action dans la clandestinité

La Commission, en contact permanent avec les autorités marocaines, agit pratiquement dans la clandestinité. Elle a demandé, le 19 avril, le feu vert des 28 États membres de l’UE pour négocier avec Rabat des adaptations aux accords pour qu’ils tiennent compte du fameux arrêt de la Cour.

L’arrêt stipule que le Sahara occidental est un territoire « distinct et séparé » du Maroc et ne relève donc pas du champ d’application de l’accord d’association et de celui de libéralisation conclus entre l’UE et Rabat. Pour qu’ils puissent être élargis à ce territoire, il aurait fallu que « le peuple du Sahara occidental ait manifesté son consentement à être lié » par ces accords, ce qui n’a jamais été le cas.

La Commission de Bruxelles n’a pas dévoilé une ligne du mandat de négociation qu’elle cherche à faire approuver, mais des conversations informelles de certains de ses fonctionnaires avec des députés européens et un débat en commission au Parlement danois, le 10 mai, donnent malgré tout quelques indications sur ses intentions.

« Population du Sahara »

Elle ne veut négocier qu’avec le Maroc et considère que « le peuple du Sahara occidental » que mentionne la Cour pourrait être remplacé par « la population du Sahara » qui donnerait son consentement à travers ses représentants dans une institution marocaine. Ce serait, par exemple, les députés élus dans les circonscriptions du Sahara qui seraient amenés à approuver les accords mis à jour. Une telle formule semblerait convenir au Maroc, selon des sources diplomatiques.

Dans ce contexte, à l’initiative du député Florent Marcellesi, français mais élu en Espagne sur la liste du parti écologiste Equo, 23 députés de cinq groupes différents (socialistes, écologistes, libéraux, Gauche Unitaire Européenne et les droitiers d’Europe de la liberté et de la démocratie directe) qui siègent au Parlement européen ont adressé mardi une lettre à Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, et aux commissaires européens au Commerce, Cecilia Malmström, et à l’Économie, Pierre Moscovici.

Ils demandent à la Commission d’être « transparente » car ils la soupçonnent de vouloir « contourner » l’arrêt de la Cour. Pour éviter qu’elle n’ait la tentation de se réfugier dans l’opacité si chère aux bureaucrates européens, les élus annoncent le lancement d’une campagne pour exiger à la Commission qu’elle mette cartes sur table. Ils rappellent aussi que la population du Sahara occidental est aujourd’hui majoritairement composée de non-Sahraouis et que Bruxelles ne peut donc faire le tour de passe-passe qu’elle esquisse. C’est, d’après eux, avec le Front Polisario que l’intégration du Sahara dans les accords devrait être discutée et pour ce faire la Commission doit solliciter un mandat.

« Nous sommes déterminés à ce que la réponse de l’UE à ce jugement historique de la Cour sur le Sahara occidental confirme les droits fondamentaux du peuple sahraoui ; qu’elle garantisse aussi notre crédibilité collective en tant que bloc régional respectueux de la loi et assure la sécurité juridique pour nos entreprises européennes », ajoute la lettre dont nous avons obtenu une copie.

Une fois que la négociation entre Bruxelles et Rabat lancée, le Parlement européen pourra la suivre de près à travers la Commission de commerce international. Il devra enfin se prononcer par un vote sur son résultat final. Si les sympathisants des indépendantistes sahraouis perdent le vote, ils peuvent toujours, sous certaines conditions, demander à la Cour de justice de se prononcer à nouveau. C’est donc parti pour des mois, voire des années, de tiraillements entre l’Exécutif européen et au moins une frange du Parlement.

Des débats dans les parlements nationaux

La lettre de ce groupe de députés, les débats que les verts ou certaines formations de gauche veulent susciter dans certains parlements nationaux -le Danemark a été pionnier en Europe-, s’ajoutent à d’autres démarches entreprises par le Front Polisario dont le délégué auprès de l’UE, Mohamed Sidati, a lui aussi écrit, le 8 mai, à Federica Mogherini pour lui rappeler que l’Assemblée générale de l’ONU le reconnaît comme représentant du peuple du Sahara occidental. Il a donc voix au chapitre dans la future négociation, souligne Sidati.

Le fameux arrêt de décembre a d’ailleurs été l’un des arguments invoqués par les avocats du Polisario pour convaincre un tribunal civil maritime de Port Elizabeth (Afrique du Sud) d’ordonner, au début de ce mois, la rétention du cargo NM Cherry Blossom, battant pavillon des Îles Marshall, pour vérifier si son chargement de 54 000 tonnes de phosphates provenant du Sahara occidental et exporté en Nouvelle Zélande, contrevient la légalité sud-africaine et internationale. L’audience est fixée au jeudi 18 mai.

L’hyperactif ambassadeur d’Algérie auprès de l’UE, Amar Belani, s’est lui aussi mis de la partie. Il dénonce notamment dans des interviews « le ballet de visites effectuées en toute discrétion par ces responsables européens à Rabat, [qui] suggèrent que les deux parties travaillent main dans la main pour trouver les moyens techniques de contourner cet arrêt de justice ».

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