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Affaire Ouyahia et les lingots d’or : ce qu’il faut retenir

Affaire Ouyahia et les lingots d’or : ce qu’il faut retenir

Ahmed Ouyahia, qui est poursuivi dans plusieurs affaires dans lesquelles il a écopé de lourdes peines, a fait hier samedi un aveu incroyable et jeté un gros pavé dans la marre du système algérien.

En avouant devant la Cour d’Alger avoir revendu au noir des lingots d’or qu’il a reçu comme présents en tant que haut responsable de l’État algérien, il a sans doute porté l’estocade, pas seulement à sa propre défense, mais à tout le système qui a régi l’Algérie ces vingt dernières années, et même avant.

En ce sens qu’il n’a pas été un simple figurant dans la hiérarchie de l’État. Conseiller à la présidence, plusieurs fois chef du gouvernement et Premier ministre, directeur de cabinet de la présidence, secrétaire général du deuxième parti en termes de sièges dans les assemblées élues…

Entre 1995 et 2019, Ouyahia a traversé deux régimes, celui de Liamine Zeroual et celui de Abdelaziz Bouteflika, qu’il a servis au plus haut niveau de responsabilité, avec un zèle assumé jusqu’à s’auto-infliger le qualificatif d’homme des « sales besognes ».

Pendant toutes ces années, l’opinion nationale avait la naïveté de penser que ces « sales besognes » se limitaient aux actions peu populaires que le commis de l’État engageait pour le compte du système et assumait à son corps défendant, comme les compressions d’effectifs dans les entreprises publiques et l’administration, les poursuites contre les gestionnaires des entreprises publiques, les ponctions sur salaires des fonctionnaires, les lois liberticides…

On lui a prêté un rôle dans l’immense empire de transport universitaire constitué par l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, mais personne n’a jamais rien prouvé, même les juges qui l’ont condamné à un total de plus de 40 ans de prison.

Jusqu’à ce qu’il avoue lui-même que pendant le quart de siècle qu’il a passé dans les hautes sphères du pouvoir, il ne s’est pas contenté de servir le système pour lequel il s’était un jour dit « prêt à mourir ».

Il s’est aussi servi, et de la plus basse des manières. Il a donc revendu au marché noir pour 350 millions de dinars de lingots d’or offerts par des émirs du Golfe. Les Algériens sont sonnés par l’aveu que beaucoup n’arrivent pas à s’expliquer.

Quelle mouche a donc piqué Ouyahia du fond de sa prison à El Abadla dans le grand sud algérien, pour se faire hara-kiri au moment où rien ne semble l’y obliger ?

Comme stratégie de défense, cela ne tient pas. Selon les comptes rendus des médias, l’ancien Premier ministre est passé à table quand le juge lui a demandé de justifier les avoirs trouvés dans ses comptes.

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Acte de folie ou geste calculé ?  

La même question lui a été posée lors de ses nombreux procès et, s’il n’a pas apporté de réponse convaincante, il reste qu’il ne s’est pas enfoncé. Pourquoi le faire pendant ce troisième procès ordonné par la Cour suprême après cassation et censé être celui, à défaut d’une réhabilitation, d’une réduction de peine ?

À moins que l’homme ait perdu la tête après tant d’épreuves. Fin 2018, il se voyait sur la plus haute marche de la hiérarchie de l’État Algérien. Six mois plus tard, il se retrouve dans un panier à salades de la police, sous les huées d’une foule déchaînée, direction la prison d’El Harrach.

La chute ne pouvait pas être plus brutale et le destin plus cruel. Au cours de son séjour à l’ombre, il perd son frère et avocat et se montre au cimetière dans une posture pitoyable, menotté et entouré de gendarmes.

Si Ahmed Ouyahia a suffisamment de force mentale pour ne pas flancher, il resterait l’hypothèse de l’acte désespéré, mais calculé. Si son but est d’entraîner dans sa perte un système qui l’a sacrifié sans états d’âme, on ne peut pas dire qu’il n’a pas bien visé.

Les Algériens savaient que leur pays était mal géré, que la corruption était généralisée, mais ne se doutaient pas qu’une telle pratique, la vente de l’or au marché noir, pouvait s’exercer au sommet de l’État.

Ils n’ignoraient rien des agissements des richissimes émirs du Golfe, mais nul ne pouvait penser qu’ils pouvaient s’offrir de hauts responsables de l’État avec une telle facilité. S’ils ont pu graisser la patte au Premier ministre ou au chef de cabinet de la présidence, ils ont dû le faire pour d’autres responsables de haut rang.

Lesquels, dans quelles proportions et surtout en contrepartie de quoi, si l’on admet que la chasse à l’outarde ou à la gazelle ne vaut pas de telles quantités d’or ?

En un mot comme en mille, le système algérien a atteint le fond et Ahmed Ouyahia, dans sa chute, vient d’arracher la dernière feuille de vigne à ce qui lui restait de pudeur.

Ce qu’il faut retenir

Il reste enfin l’hypothèse probable d’une opération télécommandée en vue de quelque agenda à venir. Il serait en effet très imprudent de tout mettre sur le compte de la perte de discernement ou de la rancœur d’un homme blessé.

Quoi qu’il en soit, la leçon vaut pour tout le monde et les Algériens gagneraient à la retenir : un système bâti sur l’allégeance, sans élections libres, sans justice ni presse indépendantes ne peut produire que de la gabegie, de la déliquescence, du sous-développement et des scandales retentissants.

Avec des contrepouvoirs véritables, de telles déviances et leurs auteurs ne tiendraient pas un quart de siècle au sommet de l’État. Les dégâts causés par ce système sans contre-pouvoirs à l’Algérie sont incalculables.

Des générations entières ont été sacrifiées, et le développement du pays retardé alors que l’Algérie de par son histoire, sa position géographique, ses richesses naturelles et humaines surtout peut devenir une véritable puissance régionale.

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