À mesure que se rapproche le congrès de « Les Républicains » (LR, droite), Bruno Retailleau constate chaque jour davantage la difficulté de tenir la ligne qu’il s’est tracée : profiter de ses fonctions de ministre de l’Intérieur pour renforcer sa candidature à la présidence du parti.
Ses attaques contre l’Algérie et ses amalgames sur l’islam rentrent dans cette stratégie que d’aucuns estiment périlleuse, même si elle semble lui ouvrir les portes de la présidence de son parti.
Avec l’Algérie, les dégâts ne se mesurent plus. Pendant les longs mois de la crise déclenchée fin juillet 2024, Bruno Retailleau a constitué par ses menaces et son ton comminatoire un frein à tout rapprochement entre les deux capitales.
Des deux côtés, son action a été pointée du doigt plus ou moins directement. “Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays”, a tranché début février le président Abdelmadjid Tebboune dans un entretien à L’Opinion.
“C’est au Quai d’Orsay, sous l’autorité du président de la République, que se forge la politique étrangère de la France”, a recadré pour sa part, en mars, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. La mise au point était destinée aux immixtions répétées du ministre de l’Intérieur dans le dossier de la crise avec l’Algérie qui relève évidemment de la politique étrangère.
A la même période, un autre rappel à l’ordre est venu d’encore plus haut. “L’accord de 1968, c’est le président de la République”, a répondu le président Emmanuel Macron à l’insistance de Bruno Retailleau pour révoquer l’accord franco-algérien sur l’immigration.
Début avril, l’Algérie et la France ont retrouvé le chemin du dialogue et Jean-Noël Barrot s’est rendu à Alger pour une visite censée être celle du début du retour à la normale.
Et c’est encore le ministre de l’Intérieur qui se met au travers de cette tentative de réchauffement de la relation bilatérale. C’est du moins lui que l’Algérie a accusé, encore nommément, d’avoir fomenté l’arrestation et l’incarcération d’un agent consulaire algérien en France.
La suite, on la connaît. Alger et Paris ont procédé à un échange d’expulsions d’agents consulaires inédites depuis les accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie.
Loin de se démonter, Retailleau a, au contraire, repris ses menaces d’un “rapport de force” et de mesures de “rétorsion”. La prochaine étape pourrait être l’accord de 2013 d’exemption réciproque de visa pour les détenteurs d’un passeport diplomatique, a-t-il menacé le 23 avril.
Bruno Retailleau moins à l’aise depuis l’assassinat d’un musulman dans une mosquée
Depuis le début de la crise, le ministre de l’Intérieur semble très à l’aise dans cet exercice qui consiste à être à la fois au pouvoir et dans le rôle de l’opposant.
Mais il l’est moins depuis l’assassinat d’un musulman en train de prier dans une mosquée du Gard, vendredi 25 avril. Sa qualité de ministre de l’Intérieur, donc chargé des cultes, lui imposait d’être aux premières lignes.
Mais un Retailleau grand défenseur de l’islam et des musulmans ne pouvait pas cadrer avec l’image avec laquelle il souhaite se présenter devant l’électorat extrémiste au congrès des Républicains.
D’où des réticences, des atermoiements et même des lapsus qui lui valent d’être vilipendé, y compris évidemment par ses concurrents politiques au sein du même courant.
La veille du drame du Gard, il s’est précipité à se rendre à Nantes où un adolescent commis une attaque au couteau. À Alès, où la victime est un musulman, il a mis deux jours pour y aller, maintenant deux événements publics liés à sa campagne électorale malgré la gravité de l’acte.
Le “deux poids, deux mesures” est évident. Surtout, c’est tout son discours anti-musulman qui est remonté à la surface. Retailleau est accusé d’avoir contribué à entretenir la haine des musulmans en France par ses déclarations intempestives. “Depuis des années, vos discours répandent la suspicion et attisent la haine contre nos compatriotes musulmans ”, a fustigé la députée écologiste d’origine algérienne Sabrina Sebaihi.
“Bruno Retailleau ne peut pas dire d’un côté ‘’vive le sport, à bas le voile ! ‘ à un meeting politique le mois dernier et en même temps expliquer qu’il protège les musulmans de France ”, a noté de son côté le député Renaissance Ludovic Mendes.
Subtilement, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, a rappelé à Retailleau son devoir, qu’il soit ministre de l’Intérieur ou candidat à la présidence des LR, de prendre “en considération la parole des musulmans”, qui sont “des citoyens à part entière”.
Dans son propre camp politique, la surenchère sur des sujets comme l’Algérie et l’islam fait rage à l’approche du congrès, prévu dans deux semaines.
Laurent Wauquiez, l’autre candidat, a mis en avant la difficulté qu’aura Bruno Retailleau s’il est élu. Il sera pris entre ses idées et l’impératif de la solidarité gouvernementale.
“Si le président de LR est sous la contrainte de la solidarité gouvernementale, il ne pourra pas s’opposer (…) Moi, je pourrais. J’ai pu le dire quand Macron s’est fait humilier sur l’Algérie. Bruno ne pouvait pas ”, estimé Wauquiez.
Néanmoins, beaucoup sur l’échiquier politique français anticipent une victoire de Bruno Retailleau et, par conséquent, une rupture brutale avec l’Exécutif. L’Algérie aura en tout cas plus de facilité et de disposition à discuter avec un gouvernement français sans le ministre actuel de l’Intérieur.