Après des mois d’incertitude, le groupe espagnol Inditex -maison mère de Zara, Bershka, Bull&Bear et Stradivarius- va rouvrir ses boutiques en Algérie. Mais au-delà de ce retour, c’est la réalité du marché de la mode en Algérie qui interpelle.
Avec ses 47 millions d’habitants et un immense potentiel commercial, le pays reste encore peu développé sur le plan de la distribution de la mode. Une situation qui tend à changer avec une jeune génération avide de nouveautés. En 2025, ces éléments font de l’Algérie un marché attractif pour les grandes marques internationales.
Les pionniers de la fast fashion s’implantent en Algérie
Dans les importants malls, comme celui de Bab Ezzouar à Alger, les marques étrangères de prêt-à-porter prennent le pouls du marché de la mode. La marque espagnole Mango y a ouvert une boutique, doublée d’un second point de vente monomarque à travers son partenaire franchisé local MDS Textile.
L’autre géant de la fast fashion, Zara, est également présent dans le centre commercial, bien que depuis décembre, Zara et les autres marques du groupe Inditex ont dû temporairement fermer boutique.
Pour Sara Makhloufi, mannequin à Oran, la suspension d’Inditex ou d’autres entreprises de prêt-à-porter ne doit pas être inquiétante.
Elle affirme au site d’information Business of Fashion (BoF) : « Je ne pense pas qu’il faille paniquer sur l’état général du marché. La mode rapide se vendra toujours en Algérie. La demande est énorme ».
Aujourd’hui, Inditex exploite 19 magasins en Algérie via ses marques Zara, Bershka, Bull&Bear et Stradivarius. Une expansion réalisée via un accord de franchise avec la société Azadea Group.
D’autres acteurs de la grande distribution se sont implantés dans le pays, typiquement les chaînes turques LC Waikiki, DeFacto et Daniel Rizotto, et les marques françaises Celio et Antonelle.
Le groupe Mercure International, basé à Monaco, est également présent avec sa chaîne multimarque City Sport qui distribue Puma, Adidas et Lacoste. De même que la marque américaine de chaussures Skechers, avec des boutiques à Alger, Oran, Sétif, Constantine, Annaba, Boumerdès et Blida.
Un marché de la mode colossal à exploiter
D’après les chiffres d’Euromonitor International, société indépendante d’études de marché, le marché de la mode en Algérie pesait 7.7 milliards de dollars en 2023.
La valeur des ventes au détail de vêtements, de chaussures et d’accessoires en Algérie est donc le double du Maroc et un milliard de plus que l’Égypte, pourtant deux fois plus peuplée.
Selon le même organisme, ce chiffre devrait atteindre les 10.6 milliards de dollars en 2026, soit une croissance fulgurante de 37 %.
La dynamique des ventes de la mode en Algérie est portée par divers facteurs économiques, notamment l’amélioration des revenus des ménages et du niveau de vie.
En 2023, sa croissance de 4.1 % du PIB a permis à l’Algérie de passer dans la catégorie des revenus moyens supérieurs, d’après la Banque mondiale. Globalement, cela permet aux ménages une plus grande accessibilité aux produits de mode, notamment pour la jeune génération friande de tendances.
Djamila Ayadi, animatrice de radio-télé à Alger, explique : « Les investisseurs qui envisagent de s’implanter en Algérie doivent garder à l’esprit deux choses : la causalité et le climat. L’âge médian des 47 millions d’Algériens est inférieur à 30 ans, et c’est ce groupe qui domine les marques de haute couture et de fast-fashion ».
Et de poursuivre : « Ils veulent être cools et élégants en été pour leurs sorties décontractées. Et puis il y a les collections de vêtements d’extérieur avant la saison froide. Cela pourrait être la meilleure période de vente pour la plupart des marques, car tout le monde a tendance à acheter de nouveaux vêtements d’hiver pendant cette période, et pas seulement les jeunes ».
Quid de la place du luxe ?
En dépit de ces chiffres impressionnants, force est de constater que le manque de centres commerciaux de classe A (haut de gamme) freine l’implantation des marques prestigieuses de haute couture.
Le marché du luxe reste à la traîne, et de grandes maisons comme Gucci et Louis Vuitton, visibles au Maroc par exemple, sont absentes en Algérie. D’après Business of Fashion, cela s’explique par l’expatriation de la classe moyenne supérieure.
Les données de Henley & Partners, cabinet de conseil en migration d’investissement, indiquent que le nombre de personnes fortunées en Algérie a baissé de 26 % entre 2012 et 2022 ; tandis que les demandes de résidence alternative ou de citoyenneté de riches Algériens ont augmenté de 85 % en 2022, selon Dominic Volek, chef de groupe des clients privés chez Henley & Partners.
Quant à la clientèle fortunée résidant encore en Algérie, elle préfère faire ses achats à l’étranger, à Paris, Istanbul ou Barcelone, plutôt que localement.
« Même si des marques internationales de luxe sont présentes en Algérie, les élites préfèrent accéder aux dernières collections et aux pièces uniques disponibles en Europe, qui ne sont pas toujours commercialisées localement. Il y a aussi un prestige associé au shopping en France ou en Espagne, qui conserve une forte valeur symbolique, surtout pour les produits de luxe », explique Amor Guellil, créateur de mode algérien.
Le made in DZ traditionnel se fait une place dans la mode
Face au vide laissé par les marques de luxe, le savoir-faire local s’est imposé comme une référence en termes de créativité et de qualité. Des artisans et des artisanes brillent par leur maîtrise de la couture.
Ainsi, les tenues traditionnelles brodées, telles que le caftan, le karakou et la gandoura, et les autres robes et costumes, principalement féminins, qui composent le patrimoine culturel vestimentaire algérien, sont sans cesse réinventées avec des inspirations contemporaines. Cela bien que leur popularité soit avant tout nationale, même si certains créateurs séduisent au-delà des frontières.
Nawel Nedjar, fondatrice de la Semaine de la mode d’Alger (Alger Fashion Week) et de Dzina, le premier magazine international de mode algérien, souligne : « Avec la guerre d’indépendance, l’Algérie n’a pas eu le temps de développer la commercialisation de ses tenues traditionnelles à l’étranger ».
Cette industrie renaît aujourd’hui de ses cendres, et les jeunes Algériens ne sont pas en reste. Comme le rappelle Amor Guellil, « ils restent attachés à la mode traditionnelle lors des événements spéciaux tels que l’Aïd el-Fitr et les mariages, mais dans la vie quotidienne, la plupart d’entre eux préfèrent la mode occidentale, qu’ils trouvent attrayante parce qu’elle est plus accessible ».
En somme, le marché est là, et la jeunesse est prête. Sara Makhloufi l’a bien résumé : « Même si Inditex devait se retirer pour des raisons qui lui sont propres, cela ne ferait qu’ouvrir des opportunités pour de nouveaux investisseurs ».
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