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Au salon Vivatech de Paris, des startups algériennes ont fait leurs premiers pas sur la scène internationale

Au salon Vivatech de Paris, des startups algériennes ont fait leurs premiers pas sur la scène internationale

« Si on vient ici à Vivatech, c’est pour arriver au niveau des leaders du marché technologique. En Algérie, les jeunes motivés sont là, on a juste besoin d’une success story ». Sofiane Boudjema, jeune entrepreneur algérien, a l’enthousiasme communicatif. Sa start-up, The Office, est l’une des vingt entreprises qui ont pour la première fois représenté l’Algérie officiellement au salon Viva Technology, qui s’est tenu du 16 au 18 mai dernier à Paris.

Prestigieux rendez-vous des startups et dirigeants, organisé par le groupe Publicis et les Echos, Vivatech 2019 a accueilli plus de 124.000 visiteurs, dont les plus grands noms de la tech et des affaires, du milliardaire chinois Jack Ma aux patrons d’IBM, de HPE, Thales ou LVMH, en passant par le champion olympique Usain Bolt.

Dans la zone « AfricaTech », l’un des focus du salon, un pavillon blanc de 100 mètres carrés au design épuré est surplombé d’un drapeau algérien. Un repère que les visiteurs Algériens ne ratent pas, heureux de voir le pays enfin représenté. D’un petit stand à l’autre, le pavillon bourdonne de « bonnes idées » concrétisées par les entrepreneurs et entrepreneuses. Plusieurs sont âgés de vingt à trente ans, certains tout juste diplômés. Les femmes sont bien là, même si la parité – autre thème du salon – n’est pas encore au rendez-vous. À l’ère de la mondialisation, les startuppers ne sont pas PDG mais CEO, pas fondateur mais founder… Et souvent, dans plusieurs entreprises à la fois.

À deux pas de géants comme Google et Cisco, les Algériens présentent leurs activités diverses, qui passent toutes par les nouvelles technologies : solutions informatiques B2B, collecte de données, droit, intelligence artificielle, sorties pour enfants, robinet intelligent, écologie, formation, coworking, networking…

Un pavillon de vingt entreprises et jeunes startups algériennes

À 24 ans, Meriem Lagati est architecte et CEO de Yardin Co, plateforme de matching, lancée en février, qui répertorie les données sur les matériaux et acteurs du bâtiment en Algérie et suggère à ses clients les entreprises adaptées à leurs besoins. « Il n’y a pas de données sur les matériaux algériens, » explique-t-elle. « Nos maquettes, les BIM [Building Information Modelling, ndr], sont réalisées avec des matériaux qui existent en Amérique ou en Europe. Nous voulons créer un BIM made in Algeria ». La jeune diplômée de l’EPAU espère attirer des clients, surtout en Afrique, et importer des solutions complémentaires.

 


Yardin Co est l’une des six startups à avoir remporté le concours Algeria Innov, organisé sur une plateforme de VivaTech à l’initiative d’ADC, le Algerian Digital Cluster, et la Safex, explique Youssef Nadjib Hadidi, directeur des foires à l’étranger de la Safex. Autres gagnants du concours : The Office, Goutra, Propre Tech, Kiddy Sorties et Infiro-Roaa, qui n’a pas pu se rendre sur place.

Les autres entreprises ont été sélectionnées suite à un appel à candidature de l’Algex, qui a reçu plus de 50 postulants, indique M. Hadidi. Il s’agit de Cooffa, Synoos Studio, Inabex, Sweet Tech, Capcowork, Legal Doctrine, IB Solutions, HB Technologies, BIG Informatique, IT Land, Adex, Altius MENA, Ayrade, Formini, Cosoft et Imagine Partners.

La Safex a pris en charge 80% de leurs stands. Les autres frais ont été financés par d’autres sponsors tels que Condor, Ericsson et Aigle Azur. Le pavillon a été organisé et coordonné par la Safex, sous l’égide du ministère du Commerce, et l’ADC.

Qu’est-ce qui a motivé cette première participation? « Notre venue s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique de diversification économique de l’État algérien », explique M. Hadidi. « Avant, la spécialisation portait plutôt sur le secteur de l’agro-alimentaire, mais on s’est rendu compte qu’il y avait des savoir-faire divers en Algérie ».

À la fois organisateur et startupper, Mehdi Omarouayache, président de l’Algerian Digital Cluster, est aussi le CEO de Cooffa. La start-up, lancée il y a quelques mois, a déjà un « plan de déploiement dans 19 pays », avec le soutien de la Société Générale, nous explique-t-il. Cooffa fournit gratuitement aux commerçants de détail africains des « caisses intelligentes » fonctionnant avec une tablette, qui permet de collecter et faire circuler des données et « d’optimiser la distribution de produits à large consommation, » explique M. Omarouayache. Les données peuvent permettre aussi aux commerçants d’accéder au crédit bancaire.

 


Cooffa a également tapé dans l’œil de Yassine Brahimi. À tel point que la star des Verts en est devenu actionnaire et a financé une partie de sa participation à Vivatech par le biais de YLB Invest, sa société d’investissement. Par visioconférence sur l’écran géant du pavillon, le joueur a affirmé son soutien et son attachement à l’Algérie.

 


Mettre en relation les génies du sport et les génies des startups

« Nous voulons mettre en relation deux mondes qui sont proches mais ne se connaissent pas : celui des génies du sport et celui des génies des startups, » explique Karim Idir, directeur stratégie et développement de YBL. L’initiative donne des idées à d’autres sportifs algériens, assure-t-il. Zohra Brahimi, maman du footballeur et présidente de YBL, renchérit : « Ce sont tous les deux des jeunes. Pourquoi rester chacun dans son univers ? Si YBL peut apporter ce rapprochement, c’est extra. Qu’ils continuent à rêver ».

Des rêves dont certains pourraient se réaliser, si une évolution des mentalités avait lieu. « Il est clair qu’il y a en Algérie un vrai potentiel en tech, » affirme Linda Benkacem, membre du jury qui a sélectionné les startups. « Le fait d’avoir une présence physique ici, c’est reconnaître que l’écosystème algérien existe. Et l’Algérie est dans une conjoncture particulière, il y a une énergie dont on peut faire émerger des connexions à l’Afrique, à la France… »

Mme Benkacem est aussi directrice générale de The Campus, école de formation et d’innovation à Alger. «Il y a un gros problème de formation technique et de soft skills en Algérie, » déplore-t-elle. Quant aux débouchés, « c’est aux grands groupes et institutions d’intégrer les jeunes et de leur proposer des postes à valeur ajoutée. Ils doivent digitaliser leurs processus pour avoir besoin de ces jeunes. »

L’un des entrepreneurs, Walid Ghanem, a pour sa part eu l’idée de digitaliser tous les textes juridiques algériens. Après huit ans passés à compiler ces textes, il a fondé Legal Doctrine, plateforme en ligne qui donne accès, moyennant un abonnement, à toutes les lois, circulaires, jurisprudence et autres textes de droit mis à jour. Une initiative qui a du succès en Algérie mais aussi auprès des business étrangers, indique M. Ghanem.

« Faire de grands pas dans le digital »

Sur le pavillon aux côtés des jeunes, quelques « anciens », dont l’entreprise est bien implantée en Algérie. Vivatech est pour eux l’occasion d’échanger en personne avec de futurs partenaires et clients à l’international, surtout en Afrique. Parmi eux, IB Solutions, partenaire de Microsoft et fournisseur de solutions B2B depuis 2006 « Vivatech, c’est le top, » se réjouit Mohamed Walid Yousfi, consultant. « Avant, on se disait que ce n’était pas pour nous. Venir à des salons comme celui-ci permet à l’Algérie de faire de grands pas dans le digital. »

Autres « anciens » : BIG Informatique, créée il y a 25 ans, qui propose une plateforme de management aux entreprises algériennes; Adex Technologies, qui propose des solutions informatiques et un suivi par des consultants, ou Altius MENA, dont les solutions informatiques pour améliorer la relation client se vendent surtout en France, le sujet n’étant pas encore une préoccupation en Algérie, explique Imane Boumaza, CEO. « Il y a beaucoup de potentiel et de compétences en Algérie, mais les entreprises n’ont pas les mêmes facilités qu’en Europe. » Faut-il se décourager pour autant ? « Pas du tout ! » s’exclame-t-elle. « Ça nous pousse à aller de l’avant. »

 


Et comme la motivation seule ne suffit pas, plusieurs startups ont dirigé leurs efforts vers la formation, le networking et la création d’opportunités. The Office a créé une plateforme qui aide à se faire un réseau et fait correspondre des entreprises cherchant un local et des entreprises de même secteur qui en louent.

 


À Alger, le centre de formation Formini, créé en 2016, propose aussi des formations en présentiel et en ligne, ainsi que des examens de certification de grandes entreprises, telles que Cisco ou IBM. Meroua Yaiche Achour, directrice générale, estime que les Algériens sous-estiment leurs propres compétences. « Les Algériens eux-mêmes ont encore un a priori négatif sur les formateurs algériens, » déplore-t-elle. « Pourtant, nos formateurs sont certifiés par Vmware ! Et les formateurs algériens s’impliquent émotionnellement, ils ne comptent pas leurs heures ».

 


« Nous voulons garder nos cerveaux »

À Hydra, Capcowork a mis en place un espace de coworking, qui propose notamment des rencontres thématiques et un incubateur privé de startups. « Longtemps, on a été ignorés, alors que nombreux sont ceux qui s’activent, et que les Algériens à l’étranger réussissent, » remarque Hamid Bakli, CEO de Capcowork. « Nous voulons que le rêve devienne réalité en Algérie. Nous voulons garder nos cerveaux. »

 


Encore faut-il donner des opportunités à ces cerveaux. Abdellah Aouf, fondateur de la start-up Go Platform, se souvient : « Quand j’ai eu mon diplôme d’ingénieur, à Blida, je ne trouvais pas de travail. Alors j’ai créé mes opportunités ». Sa start-up recense les opportunités dans toutes les régions du pays : emplois, stages, bourses, formations tous frais payés à l’étranger… Objectif : l’égalité d’opportunités quels que soient la région ou le sexe.

Certaines entreprises ont déjà une place de choix en Algérie, mais l’export est une autre paire de manches. HB Technologies, lancée en 2004, fabrique des cartes à puce et fournit terminaux de paiement, back-office et autres services connexes aux grandes entreprises et institutions algériennes. « En Algérie, nous n’avons pas de concurrence, » affirme Rafik Younsi, directeur commercial. « Mais à l’international, la concurrence est rude, et nous sommes seuls face à des multinationales et des lobbies ».

Ailleurs à Vivatech, des Algériens qui ne font pas partie du pavillon officiel se sont aussi fait remarquer, comme Katia Sahi, jeune algérienne dont l’équipe a gagné le projet IBM lors du hackaton Vivatech, compétition entre 60 équipes autour de cinq projets. Un chèque de 5000 euros sous le bras, elle est venue partager la nouvelle en fin de journée avec le pavillon algérien. « Nous avons développé une app qui permet de détecter le profil et l’état d’un patient et d’aider le médecin à le soigner grâce à un système de prédiction, » explique-t-elle. Avec son collègue marocain Younes, elle s’est occupée de la partie intelligence artificielle.

Pour plusieurs entreprises, c’était le coup d’envoi ; elles envisagent à présent de participer à d’autres salons, événements locaux algériens ou grands événements internationaux comme le Gitex à Dubaï, voire même le CES aux États-Unis. Toutes espèrent revenir à Vivatech l’an prochain.

« Maintenant, les opérateurs économiques doivent être dynamiques pour trouver des débouchés et pénétrer d’autres marchés, » espère M. Hadidi, « Sachant qu’exporter, ça s’étudie, c’est un métier. »













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