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« Bac + 7 + 5 + service national + service civil et puis quoi encore ? »

« Bac + 7 + 5 + service national + service civil et puis quoi encore ? »

Le CHU Mustapha Pacha d’Alger a été entouré, ce mardi 23 janvier, d’un impressionnant dispositif sécuritaire bien avant le début d’un sit-in des médecins résidents en grève. Des dizaines de véhicules de police étaient stationnés à la Place du 1er Mai, à la rue Aissat Iddir, à la rue Mohamed Belouizdad et même à côté de la porte supérieure de l’hôpital vers Meissonier.
Ce quadrillage policier, soutenu par une surveillance invisible (policier en civil), visait à empêcher les résidents grévistes à sortir dans la rue vers le bas.

Le Collectif autonome des médecins résidents algériens (Camra) n’avait, dès le départ, pas prévu cette sortie. Le 3 janvier 2018, les médecins résidents, qui voulaient manifester en dehors de l’hôpital, ont été violemment bloqués par les forces anti émeutes. Plusieurs manifestants ont été blessés. La répression a fait durcir le mouvement de protestation qui dure depuis plus de deux mois.

Ce mardi, les animateurs de Camra, munis de mégaphones, ont organisé le mouvement de protestation intra-muros pour que le sit-in évolue en marche symbolique. Des carrés ont été dégagés par wilayas ou par centre-hospitaliers pour une meilleure visibilité de la marche. Les résidents sont venus de Sidi Bel Abbès, d’Oran, de Sétif, de Constantine, d’Alger, de Tizi Ouzou et d’ailleurs.

Sur les pancartes et les panneaux étaient écrites les expressions de colère : « On ne s’arrêtera pas jusqu’à l’amélioration du niveau de la santé en Algérie », « À vous Sonatrach, à nous la matraque », « Bon sang pour bonne santé », « L’abus du résident nuit gravement à la santé », « Bac + 7 + 5 + service national + service civil et puis quoi encore? »…

« Sos, Sos, résidents en détresse »

À gorge déployée, les résidents répétaient plusieurs slogans pour exprimer leur mécontentement : « Maranach khayfin » (nous n’avons pas peur), « Résidents, en colère. Tous, tous, solidaires », « Respect, dignité, solidarité », «Qu’est ce qu’on veut? Dignité. Pour qui ? Résidents », « Jusqu’au bout, jusqu’au bout, résidents toujours debout », « Sos, Sos, résidents en détresse », « Y en a marre, ça suffit », « Yali l’âar, wizara bila karar » (Quelle honte, ministère sans décision). Dimanche 21 janvier, la première réunion de la commission créée par le ministère de la Santé pour étudier les revendications des médecins résidents n’a abouti à rien de concret après presque cinq heures de débat. « C’était une déception. On s’attendait à plus de sérieux d’une commission inter-sectorielle et par des gens haut placés qui devaient bien connaître nos propositions. Ils n’étaient même pas au courant de nos revendications. Ils n’étaient pas prêts à la réunion. Nous avons constaté la présence du SNPSSP (Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique). Quelque soit la volonté bonne ou mauvaise, nous n’avons pas à négocier en présence d’un autre syndicat qui a ses propres revendications alors que nous avons les nôtres. Nous avons écouté aussi des discours moralisateurs et paternalistes. On nous a dit que l’obligation du service civil était justifiée par la nécessité de solidarité. Les médecins algériens ont toujours étaient solidaires avec la population, pas la peine de porter des jugements à notre égard », a déclaré Mohamed Taileb, membre du Camra d’Alger et négociateur au nom des résidents. Selon lui, certains membres de la commission ont malgré tout plaidé la cause des résidents. Mokhtar Hasbellaoui, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, a assisté uniquement à l’ouverture de la séance de travail de la commission. « Il a délégué le travail au syndicat alors que sa présence est plus que primordiale d’autant plus qu’il est le président de la Commission », a relevé Mohamed Taileb. « Nous nous attendions à un peu plus de la réunion de cette commission par rapport à nos revendications. Nous nous sommes trouvés face à des gens qui n’étaient même pas briefés sur nos problèmes. Cela concerne les représentants des autres ministères. Il serait osé de ma part de dire qu’il y a un manque de sérieux, mais c’est dommage. Ce sit-in est organisé pour faire entendre notre détresse et notre désarroi face à cette situation qui perdure », a regretté Nadim Soualili, médecin résident au CHU de Sétif.

Abroger l’obligation du service civil

Mohamed Taileb a rappelé que les médecins résidents veulent l’abrogation de l’obligation du service civil en apportant des propositions pour que le citoyen « bénéficie toujours » de la présence de médecins dans les zones isolés. « Mais, une présence efficace. Ces 32 dernières années, il a été constaté que cette présence ne donnait pas de résultats malgré l’obligation d’assurer le service civil. Nous avons demandé des moyens mais aussi la régularisation de la situation vis à vis du service militaire. Nous revendiquons l’application de l’article 32 de la Constitution qui garantit l’égalité entre tous les concitoyens algériens. Autrement dit, nous demandons la dispense, comme les autres citoyens » , a déclaré Mohamed Taileb. Selon lui, le ministère de la Santé aurait promis de transmettre les doléances des résidents à propos du service militaire au ministère de la Défense.

« Attirer les médecins vers les déserts médicaux »

« Il y a un décret qui dispense tous les Algériens à titre égal du service militaire (après l’âge de 30 ans). Nous voulons être traités comme tous les citoyens algériens sachant que le médecin résident est le seul à faire deux services obligatoires, civil et militaire. L’une de nos propositions est de faire un service mixte pour pouvoir régler cette situation. Nous voulons une amélioration du service civil. L’obligation doit être du côté des autorités locales et du ministère de la Santé pour attirer les médecins spécialistes vers les déserts médicaux pour pouvoir les garder sur place le plus longtemps possible et éviter la fuite des cerveaux. Dès qu’ils terminent leur services militaire et civil et puisqu’on les oblige à faire tout ce parcours pour récupérer leurs diplômes et avoir l’autorisation d’exercice, les médecins spécialistes quittent le pays ou s’installent à titre privé. Or, le but est de pallier au vide qui existe dans les déserts médicaux. Il faudrait trouver de nouvelles solutions pour assurer la même qualité de soins à tous les Algériens au Sud, au Nord et dans les Hauts-Plateaux », a expliqué, pour sa part, Yassine Balhi, membre du Camra. La levée de l’obligation du service civil pour les médecins résidents va, selon lui, changer la donne. « Les hôpitaux ne vont plus prendre comme otages les médecins spécialistes. L’ouverture des postes se fait d’une manière anarchique. Il y a des postes dans des régions où il n’y a pas de grand besoin pour certaines spécialités, par exemple. Dans d’autres régions, il faut des pôles d’excellence avec des équipes mono et multi disciplinaires dotées d’un plateau technique adéquat pour chaque spécialité aux fins d’affronter les situations difficiles et éviter de réorienter les patients vers les grands CHU. Aujourd’hui, plus de la moitié des patients pris en charge dans ces grands CHU viennent des régions qui subissent l’échec du service civil », a détaillé Yassine Balhi. Selon lui, les médecins résidents sont souvent livrés à eux même sur le plan pédagogique en absence de moyens de formation. « Nous sommes obligés de faire beaucoup de tâches qui ne relèvent pas de nos prérogatives. Nous assurons plus d’heures de travail qu’il en faut sans récupération, sans rien, dans des conditions difficiles. Il n’y a pas de sécurité, ni moyens nécessaires. Même au niveau du Nord du pays, les mêmes problèmes se posent. Nous demandons donc l’amélioration des conditions de travail tout en améliorant la formation pédagogique pour avoir des médecins spécialistes de qualité », a souligné Yassine Balhi.

« Zéro CHU dans le sud du pays » !

Parmi les arguments avancés par le ministère de la Santé pour maintenir l’obligation du service civil est l’égalité des soins entre tous les citoyens. Brahim Maouas, médecin résident, estime que cet argument n’est pas valable. « Nous parlerons d’égalité des soins, si nous avions l’égalité des moyens. Nous avons zéro CHU dans le sud du pays. C’est une énorme anomalie. Nous ne demandons pas de ne pas travailler dans le sud, nous voulons y aller mais pour être efficaces. Et pour l’être, il nous faut des moyens. Je vous donne un exemple hors médecine. Imaginez que vous avez un local à louer et que vous savez qu’un locataire viendra de façon obligatoire, allez vous aménager ce local ? Impossible. C’est ce qui se passe avec le service civil. Les autorités locales disent que les médecins résidents seront obligés de venir, pourquoi se casser la tête et leur offrir des conditions. Nous voulons aller d’une manière libre vers le service civil. Pour cela, il faut être motivé », a estimé Brahim Maouas. Une fois motivés, les médecins résidents iront, selon Yassine Balhi, de leur propre gré par amour du métier dans toutes les régions. « Et peut-être qu’ils vont rester dans ces régions pendant une durée plus longue que le service civil parce que là, on se retrouve sans aucune continuité. Le malade va avoir plusieurs médecins spécialistes qui se succèdent », a-t-il appuyé. Brahim Maouas se pose, lui, des questions : «  Quelle sera la situation d’un médecin radiologue qui va rester deux ans dans une région sans scanner ? À quoi va-t-il penser ? À partir ! ».

« Rediscuter le statut du résident »

En 2011, un statut de médecin résident a été signé par le Premier ministre. « Ce statut définit le résident comme un médecin qui a acquis son diplôme de médecin généraliste et qui est en cours d’une formation spécialisée. Nous ne savons toujours si nous sommes en formation post-graduée seulement, et donc, sommes étudiants, ou bien nous sommes considérés comme des fonctionnaires. Il faut savoir que nous avons des fiches de paie et que nous cotisons pour la sécurité sociale. Il faut clarifier ce statut », a proposé Brahim Maouas. La question a été abordée lors de la réunion de la commission au ministère de la Santé, dimanche 21 janvier. « Nous demandons la rediscussion du statut du résident. Nous avons évoqué aussi certaines spécialités telles que la médecine dentaire, la biologie, etc », a relevé, pour sa part, Mohamed Taileb. Pour Yassine Balhi, un médecin résident doit bénéficier d’une résidence. « Il doit habiter à côté de l’hôpital sachant que la majorité de résidents ne viennent pas des grandes villes où se trouvent les CHU. La moitié du salaire du résident ira dans la location des maisons déjà coûteuse. Quand nous partons dans les cités universitaires, on nous dit vous n’êtes pas des étudiants ! C’est toute l’ambiguïté de notre statut », a-t-il souligné. « En gros, nous avons les deux statuts sans bénéficier des droits des deux », a résumé Brahim Maouas. « Ce vide juridique n’est pas en notre faveur. En formation, le médecin résident ne peut pas être tenu pour responsables pour les soins qu’il prodigue parce qu’il est chapeauté par un maître assistant ou un professeur au niveau du service. Il y a, là aussi, un manque de texte de loi. Cela a ouvert la voie aux dérapages », a averti Nadim Soualili. « Nous espérons qu’il existe une réelle volonté du ministère de la Santé de régler les problèmes et pas une envie de gagner du temps. Nous ne voulons pas que la grève dure. Le ministre semble avoir cette volonté mais il faut lui donner carte blanche pour pouvoir réaliser ces objectifs. Nos propositions sont réalisables dans l’immédiat », a noté Yassine Balhi. « Nous allons tout faire pour qu’ils nous entendent. Nous sommes des gens civilisés, nous sommes prêts au dialogue », a repris, de son côté, Mohamed Taileb.

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