search-form-close
Boualem Sansal, un homme bien sous tous rapports

Boualem Sansal, un homme bien sous tous rapports

Chronique livresque. Sansal adore les critiques et les attaques de ses concitoyens. Il en fait son miel, le malin, au café de Flore, où il passe pour une victime du pouvoir algérien qui voudrait le croquer comme une samsa craquante.

Et pourquoi donc ? Parce qu’il fustige le système, parce qu’il dit sa vérité, parce qu’il ne se couche pas, parce qu’il ne doit rien à ce pouvoir, parce qu’il est un homme libre, parce qu’il est un vrai démocrate, parce qu’il a été injustement licencié à cause de ses idées et de son talent, et tutti quanti…

Si Sansal ne s’en prenait qu’au système, à la limite c’est son problème, beaucoup d’Algériens ne trouveraient rien à redire, certains applaudiraient même. Hugo a eu Napoléon III, et Les misérables, lui voudrait avoir Bouteflika et il n’a rien publié d’impérissable. Mais pour son malheur, point de Bouteflika qui l’ignore, point de poursuites, point de menaces, point de boycott. Pas même l’ombre d’un imam de pacotille pour l’attaquer. Rien de rien.

On en pleurerait presque de compassion pour un homme qui fait tout pour être persécuté, honni, pourfendu, pourchassé, mais que personne ne calcule, que personne ne voit, que personne ne connait, et plus grave encore, que personne ne lit en Algérie alors que tous ses livres sont disponibles. Offensante transparence qui fait sans aucun doute du mal à Sansal. Un coup des services algériens peut-être qu’il voit partout ? Ou d’Allah qu’il ne voit nulle part ? Sous sa plume, les attaques contre l’Algérie ne font plus recette. Contre l’islam non plus. Il y a plus saignant, plus frais et plus vrai : Daoud qui ne hait pas son peuple, il est vrai.

Sans fonds de commerce, Sansal pourrait voir s’éloigner ses relais des milieux germanopratins au profit d’autres supports algériens moins saturés. Alors il s’échine à allumer quelques feux ici ou là. Le dernier étant sa signature de l’appel du groupe des 300 contre « le nouvel antisémitisme » qui fustige, dans le même élan, tous les musulmans. Vous le pacifique qui ne ferait pas de mal à une mouche, il vous met avec le terroriste qui voudrait vous zigouiller. Tous coupables. Tous à la poubelle. Parce que tous encartés sous le générique Musulmans. Il est certain que Sansal a signé des deux mains avec jubilation en dansant de bonheur. Il n’en faut pas beaucoup pour le rendre heureux. Que sa joie demeure.

Sa recette : je brûle ce que vous aimez et j’adore ce que vous brûlez…

J’ai essayé de comprendre la démarche de Sansal. J’ai pensé, parce que je l’ai lu quelque part, qu’il en veut au pays à cause de son brutal licenciement du ministère de l’Industrie où il était haut fonctionnaire, nommé par décret svp. Autant dire qu’il appartenait à une élite, celle de la haute administration. À d’autres donc l’histoire du pauvre petit canard boiteux. Sansal était un privilégié. Il l’est toujours. Et toujours il se plaint comme tous les privilégiés.

Quand on cherche des circonstances atténuantes à quelqu’un, on en trouve toujours même à l’assassin de sa propre mère. Comprendre c’est pardonner. Et nous avons essayé de comprendre l’écrivain et sa rage contre l‘Algérie. Jusqu’au jour où je tombais chez un bouquiniste algérois sur le Journal de l’année 2000 de Revel.

Mais avant , je dois d’abord dire ce que je sais de l’œuvre de Sansal.

J’ai découvert Sansal à la sortie du roman « Le serment des barbares* ». Je n’ai pas beaucoup aimé le style dense, touffu, parfois même alambiqué, mais j’ai trouvé l’intrigue plaisante avec ce regard sans concession sur l’Algérie des années 90. Il y avait du vrai, il y avait du neuf, il y avait du Mimouni dans ce roman de la détresse d’un peuple. Mais sans la tendresse du grand disparu.

« L’enfant fou de l’arbre creux *», son second roman, m’est tombé des mains dès les premières pages. Confus, lourd. Un ratage. Mais franchement quelle drôle d’idée que de donner pareil titre à un roman. On est au moins assuré d’une chose : faire fuir le lecteur. Et là, c’est réussi. Pas fou le lecteur d’aller voir l’enfant dans un arbre creux. Pas possible. N’est pas Marques qui veut. Un génie peut tout se permettre y compris de donner comme titre à un de ses romans « Mémoire de mes putains tristes » au contenu délirant, salué par la critique du monde entier.

Autre roman encore plus accablant : « Le village de l’Allemand* » là, il y va un peu fort notre Sansal : c’est sur l’ALN qu’il tape en faisant d’un de ses combattants, un ancien nazi. Et du particulier fictif, on peut, pour peu qu’on ne connaisse pas la réalité historique, généraliser et penser, entre deux verres, que l’ALN était composée de nazis, une lointaine cousine de la Wehrmacht. Bigre, il faut vraiment vouloir faire plaisir à ceux qui n’ont pas encore pardonné à l’Algérie son indépendance pour trouver ça. Que dire à Sansal sinon : bien joué mec ! C’est un investissement rentable.

Le retour sur investissement ne s’est pas fait attendre : pour ce roman invraisemblable et pour les suivants, Sansal a glané tous les prix. Pas besoin de sortir de la cuisse de Jupiter ou de Gallimard pour comprendre que ce ne sont pas ses romans qu’on prime, mais lui le preux chevalier qui attaque tout ce que les Algériens aiment, tout ce que les musulmans aiment. Sa recette : je brûle ce que vous aimez et j’adore ce que vous brûlez. Pas mal comme démarche qui lui a rapporté gros. Chapeau l’artiste !

« Au cœur de chaque Algérien un appétit de violence… »

Mais revenons au livre de Revel dont la lecture de certains passages m’a fait comprendre que Sansal n’attaque pas pour se venger de son licenciement, mais juste pour se placer dans le milieu germanopratin. C’est le Bel Ami de Maupassant. Sans moustache et sans femmes. À moins qu’il cache sa moustache, son jeu et le reste ? Peu importe. L’important c’est Revel qui parle de Sansal rencontré dans un dîner privé le 15 novembre 2000 : « L’invité d’honneur est un écrivain algérien, Boualem Sansal, haut fonctionnaire de son métier (…) Cet homme d’une cinquantaine d’années, aussi intelligent que calme, nous trace de l’Algérie actuelle un tableau d’autant plus terrifiant que le ton sur lequel il parle est plus détaché. Bouteflika n’a selon lui aucun pouvoir. Le seul pouvoir réel est aux mains de l’armée, d’un nombre limité de groupes, dont ce qui survit du FLN ».

Ce qui va suivre relève de la causerie au coin du feu : « Il attribue à l’armée elle-même un grand nombre de massacres de villageois dont le pouvoir accuse ensuite les islamistes, qui en commettent beaucoup aussi, bien sûr. Le but de l’armée dans ce double jeu est de légitimer, par la persistance des tueries, la loi martiale permanente qui lui permet de régner sans partage ».

Mais le plus grave est ce qui va suivre. C’est là où il touche le mou, ce qui fait notre identité et celle de nos ancêtre dans les siècles : « Mais il y a aussi, croit-il, au cœur de chaque Algérien un appétit de violence et de mort dont l’origine mériterait une recherche historique et psychologique ; ce sentiment n’existerait ni chez les Marocains ni chez les Tunisiens, qui d’ailleurs détestent les Algériens, lesquels le leur rendent bien ». Terribles ces mots qui auraient prêté à rire s’ils n’étaient pas repris par l’une des plus grandes figures intellectuelles françaises de la fin du siècle passé.

Sansal, l’Algérien qui accrédite une thèse coloniale faisant de nous des sauvages affamés de sang et de violence donnant ainsi du grain à moudre à tous les nostalgiques de la colonisation dont l’objectif, on le sait bien, était de nous civiliser. On croirait lire le témoignage perfide d’un ignorant enseigne de vaisseau, prisonnier vers 1840 du magnanime Abdelkader que cite M.C. Sahli dans son livre : « L’Émir Abdelkader chevalier de la foi » : « Cet éloignement pour tout ce qui vient des Européens, sous quelque forme que ce soit, ne tire pas seulement sa source de l’horreur que leur inspire notre foi religieuse, mais encore de cet instinct qui fait reculer l’homme inculte et barbare devant toutes les modifications, tous les changements que le contact d’une nation civilisé doit apporter dans ses habitudes, ses mœurs, son genre de vie ».

Niveau d’un enseigne de vaisseau contredit par ses chefs, Bugeaud et le Duc d’Aumale, qui ont loué la générosité, l’ouverture d’esprit et la culture de Abdelkader. Mais chacun voit l’autre à son niveau. Si on a l’esprit bas, on ne voit que des bassesses. Pour voir haut, il faut de la hauteur et du cœur… Sansal as-tu du cœur ?


*L’œuvre intégrale de Boualem Sansal est disponible dans les librairies algériennes.

  • Les derniers articles

close