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Ce ras-le-bol que Bouteflika et le pouvoir n’ont pas vu venir

Ce ras-le-bol que Bouteflika et le pouvoir n’ont pas vu venir

ANALYSE. La contestation du cinquième mandat a pris une telle ampleur ce vendredi qu’il ne serait pas inopportun de parler dorénavant d’un avant et d’un après 22 février.

C’est la première fois en presque vingt ans qu’une marche « politique » imposante est organisée dans les rues d’Alger et que les Algériens sortent simultanément dans plusieurs villes aux quatre coins du pays – nous avons compté au moins 30 manifestations à travers tout le pays – pour scander le même mot d’ordre.

Et quel mot d’ordre ! Dire non au maintien du président Bouteflika au pouvoir. Pour le régime, un tel scénario était impensable il y a seulement quelques semaines. Les prémices d’un soulèvement étaient visibles, depuis plusieurs années même, mais Bouteflika, ses soutiens et ses « stratèges », ont fini par se convaincre que le peuple ne se soulèvera pas pour des raisons autres qu’économiques.

C’est ainsi que l’achat de la paix sociale a été érigé en priorité pour le pouvoir qui a axé toute sa communication ces dernières années sur les « réalisations », les acquis sociaux, les logements livrés, le raccordement aux réseaux d’eau et d’énergie…

Purges au sein du régime

Les recettes du pétrole ne sont certes pas ce qu’elles étaient lors des trois premiers mandats, mais ce n’est pas encore la dèche. La planche à billets a permis d’ajourner les douloureuses réformes et aucune mesure antisociale n’a été prise par le gouvernement depuis la chute brutale des prix du brut fin 2014.

Pour le reste, le peuple n’a pas l’habitude d’être regardant, pensent-ils. Surtout que, en plus du pain, le pouvoir garantit la « stabilité » et la sécurité, l’autre cheval de bataille de la communication officielle depuis au moins la vague des printemps arabes.

Du reste, Bouteflika n’a jamais pris pour argent comptant les contestations qui s’élèvent en dehors du système. Pour lui, la seule opposition à sa personne ne peut venir que de l’intérieur du système, comme dans tout système autoritaire qui se respecte.

C’est ainsi qu’il s’est cru immunisé en procédant à des purges régulières au sein de l’administration, de la justice, des partis proches du pouvoir, de la police et surtout de l’armée qui a connu bien des changements ces dernières années, dont le plus retentissant demeure la mise à la retraite en 2015 du général Toufik, puissant patron jusqu’alors des services secrets.

Or, à voir la tournure prise par les événements, c’est ce qu’on peut appeler se tromper sur toute la ligne. Les imposantes marches de ce vendredi ont démontré que le peuple algérien ne soulève pas que pour réclamer du pain, que l’épouvantail du chaos à la syrienne ou à la libyenne ne fait plus d’effet, que la contestation, la vraie, ne peut venir que de la société et, surtout, que la jeunesse algérienne est mature, consciente et sait s’exprimer sans violence. C’est sans doute la grande leçon de ce 22 février.

Que fera Bouteflika ?

Que reste-t-il maintenant à faire pour le pouvoir ? Sans doute très peu de choses. De là à prédire un retrait de la candidature de Bouteflika, il y a un pas qu’on n’osera pas franchir. Lui qui a même songé dans les derniers mois de l’année passée à reporter l’élection pour s’assurer une « sortie honorable », ne consentira pas à accepter une telle fin. Le retrait est une carte que le président n’abattra pas avant d’avoir tenté de contenir la colère de la rue.

Hasard de calendrier, on est à la veille de la commémoration du double anniversaire de la création de l’UGTA et de la nationalisation des hydrocarbures. Si son déplacement ce dimanche en Suisse pour raisons médicales ne l’empêche pas d’adresser son traditionnel message aux travailleurs, ce sera peut-être l’occasion pour Bouteflika de rattraper les ratés de sa lettre-programme du 10 février dans laquelle, par exemple, son état de santé, qui lui vaut toute cette contestation, a été à peine évoqué. Il pourrait s’en expliquer plus.

Aussi, il n’est pas trop tard pour Bouteflika de prendre un engagement qui manquait dans sa lettre-programme, celui de faire de ce cinquième mandat, le dernier. Dans son message du 10 février, il avait certes parlé de « devoir ultime », mais c’était une vague insinuation qui ne lui a pas évité des soupçons de briguer la présidence à vie.

Néanmoins, il n’y a que peu de chances de voir le président, dont l’envie de mourir au pouvoir est un secret de polichinelle, prendre un tel engagement qui lui serait opposable s’il est encore en vie à l’issue du mandat qu’il sollicite.

Il lui reste à se montrer plus explicite sur son projet de réformes, avec des engagements concrets et un calendrier précis. Des promesses d’ouverture concrètes pourraient aider à calmer les ardeurs des jeunes, même si ceux qui sont sortis ce vendredi dans la rue veulent un changement et non des « réformes ». Ils voudront aussi l’entendre prononcer ces promesses de vive voix. Cela, hélas, il ne pourra pas le faire. Et c’est là tout le problème…


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